Le petit pays qui croit à sa presse

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Au centre de Helsinki, entre la gare centrale et le Parlement, se dresse un récent immeuble design de verre abritant une institution que les Finlandais ont appris à respecter : le Helsingin Sanomat, la Gazette de Helsinki. Ce nom désigne le principal quotidien de la capitale finlandaise, qui fait autorité dans tout ce pays nordique.

Lorsque l'on y est accueilli, l'impression qui se dégage est celle du sérieux, du respect de l'institution et des personnes qui y travaillent. L'accueil est formel, sérieux, les procédures de sécurité effectives. Une fois ces obstacles franchis, le visiteur est dirigé vers l'une des salles de réunion du sous-sol faites de bois clair, de mobilier design, de moquette épaisse et de discrétion. Si le rendez-vous est fixé à midi, il s'accompagne d'un repas, servi par les cuisines du journal. En Suisse, on ne trouve tel accueil guère que dans les banques et les sièges de grandes sociétés, mais en tout cas pas dans les médias.

Le Helsingin Sanomat emploie près de 400 journalistes, photographes, monteurs, ce qui, pour un pays de quelque cinq millions d'habitants, représente une force de frappe conséquente. C'est comme si la Suisse romande, forte de ses deux millions d'habitants, était capable de nourrir un journal de référence fort de 160 personnes !

Or, comme on le sait, la rédaction commune du Temps et de L'Hebdo a été jugée trop bien dotée par son éditeur, alors qu'elle n'employait que 112 personnes pour produire un quotidien et un magazine, tous deux référentiels. Le résultat est connu : L'Hebdo est mort, Le Temps est menacé, 36 personnes ont été mises à la porte.

Pourquoi la Finlande parvient-elle à maintenir son patrimoine de presse écrite alors que la Suisse romande échoue à faire de même ? La question est d'autant plus pertinente que les deux pays ne sont pas si différents : minoritaires, entourés – ou bordé, dans le cas finlandais – de grands ensembles, ils doivent se battre pour affirmer leur existence et leur originalité. Dans le cas finlandais, la défense culturelle est une évidence depuis l'éveil du XIXe siècle qui a vu émerger une littérature originale en langue finnoise en opposition aux puissances colonisatrices suédoise, puis russe. C'est dans cet esprit que le Helsingin Sanomat a vu le jour.

La Suisse romande aussi doit se battre pour faire valoir sa personnalité et son originalité aussi bien face à la majorité alémanique que par rapport à la France. Mais elle ne semble pas vraiment en avoir pris conscience. Sinon, pourquoi laisserait-on mourir deux de ses principaux journaux ?

Il est vrai que la Suisse romande n'a pas toujours ressenti ce besoin. Les écrits intelligents sont fournis par la France ou la Belgique à bien moindre coût que s'ils sont faits à domicile. Quant au reste, Berne pourvoira. Pendant des siècles, ce pays était surtout le fait de paysans, d'horlogers, d'agents immobiliers et de mini-oligarchies urbaines cantonales qui ne voyaient pas vraiment le besoin de développer des références culturelles communes. Ce besoin n'est, somme toute, que récent, avec le réveil culturel du dernier tiers du XXe siècle qui a vu la multiplication des théâtres et des festivals. Il n'a donc pas encore eu le temps de pénétrer suffisamment les esprits pour faire éclater son évidence.

Dommage ! La Suisse romande, qui a su si bien rattraper son retard économique, technologique et culturel ces trente dernières années avec le développement des ses universités, de l'EPFL, de grandes entreprises ouvertes sur le monde et de son exceptionnelle densité de théâtres, de cinémas et d'événements en tous genres, va faire un immense pas en arrière. Un peu comme si l'on décidait de fermer l'EPFL, la jugeant insuffisamment rentable. Il y a eu un précédent récent : la fermeture de Merck Serono. Les dégâts ont été considérables.

Sans presse de qualité, sans véhicule sérieux, crédible et respecté, l'information ne circule plus qu'imparfaitement, le débat ne parvient plus à se former. Puisque les éditeurs commerciaux n'y croient plus – c'est leur droit – qu'attend-on pour mobiliser les moyens d'une renaissance ? Parce que ce que la Finlande réussit, la Suisse romande peut le réaliser aussi.

Yves Genier

Journaliste économique depuis le milieu des années 1990, historien de formation, je suis particulièrement intéressé aux questions bancaires, financières, fiscales et, naturellement, macroéconomiques et leurs conséquences politiques et sociales.