Le sensationnalisme des histoires de Bitcoin qui finissent mal n’a pas de limite. À chaque fois que le prix monte, on nous ressert les mêmes contes de fées. Démoniser Bitcoin profite à beaucoup de gens qui le craignent et/ou veulent s’enrichir avec.
Le New York Times publiait hier un article parlant de Stefan Thomas qui aurait “perdu la clef de ses bitcoins”, et possède donc des millions de dollars auxquels il n’a pas accès.
L’article raconte qu’il aurait reçu 7’002 de la part d’un autre enthousiaste en 2011, pour le remercier d’une vidéo explicative qu’il avait fait sur Bitcoin. Son portefeuille était sur un disque dur chiffré protégé par mot de passe, mais comme ces BTC ne “valaient rien” à l’époque, il n’y a pas prêté attention et a oublié le mot de passe du disque, rendant celui-ci impossible à ouvrir aujourd’hui.
Inexactitudes et exagérations
En réalité, cette histoire n’a rien à voir avec la technologie de Bitcoin. Il s’agit simplement de quelqu’un ayant perdu le mot de passe de son disque dur.
Voilà le problème quand on parle de Bitcoin ou de technologie en général sans vraiment le comprendre.
Quand le prix de Bitcoin monte, beaucoup de gens se précipitent pour clamer leur expertise, soit pour s’approprier plus de Bitcoin, soit pour promouvoir leur propre projet, à travers l’escroquerie par association par exemple.
Cette histoire parle de la technologie du disque dur utilisé, et surtout du laxisme de Thomas à gérer ses mots de passe. S’il y avait mis des photos de mariage au format JPEG ou un document Word de son premier roman, ceux-ci seraient également inaccessibles.
Rien à voir avec Bitcoin.
Quand vous oubliez vos clefs dans votre voiture, vous blâmez les industries automobile et de l’acier?
L’histoire prétend que Thomas n’a pas fait attention à ces bitcoins parce qu’ils n’avaient presque aucune valeur à l’époque, et n’as donc pas fait d’effort pour se rappeler le mot de passe du disque dur.
C’est malheureusement faux, pour deux raisons.
Tout d’abord, comme c’est expliqué dans l’article, il a reçu ces bitcoins comme remerciements de la part d’un autre bitcoiner pour avoir créé une vidéo explicative intitulée “qu’est-ce que Bitcoin?” Même s’il ne s’attendait pas à ce que le cours atteigne les prix records qu’on a atteint ces jours, il en connaissait suffisamment bien la technologie pour en connaître la valeur et le potentiel à long terme.
Et aussi et surtout, en 2011, le prix du BTC atteignait déjà US$ 8, ce qui donnait à son portefeuille une valeur de US$ 50’000!
Mensonges et tours de passe-passe
Alors pourquoi raconter autant de faussetés? À qui une telle affabulation peut-elle profiter?
Penchons-nous un peu sur le protagoniste de l’article, le malheureux étourdi, enrichi puis ruiné par le méchant Bitcoin.
Comme je le mentionnais plus haut Stefan Thomas n’est pas simplement un passant qui se trouverait là par hasard, il était déjà impliqué dans Bitcoin en 2011, lorsqu’il en faisait des vidéos d’introduction. Comme plusieurs passionnés de cette époque, il a eu l’occasion d’accumuler des BTC à un moment où ceux-ci étaient encore très abordables. S’il décide un jour de vendre ou d’échanger ses bitcoins contre des dollars, le fisc États-Unien le taxera donc sur l’importante plus-value de ces jetons.
Il est alors probable qu’il préfère tenter de les faire disparaître sous le tapis momentanément. Ce n’est pas nouveau: le mot de passe “oublié” ou la perte de smartphone contenant les clefs privées lors d’un accident de bateau sont des blagues potaches qui reviennent à chaque montée du cours, au sein de la communauté Bitcoin.
Coincidences
Mais à mon avis, c’est encore ailleurs qu’il faut regarder. Thomas n’est pas qu’un amateur des débuts de Bitcoin. C’est aussi un des premiers employés de Ripple, la société derrière le jeton du même nom (XRP), et son CTO (Directeur Technique) de 2013 à 2018.
Ripple se présente comme une alternative à Bitcoin, un réseau se voulant plus rapide et puissant, mais mettant de côté l’indépendance et la décentralisation car dirigé et contrôlé par la société Ripple. Celle-ci possède d’ailleurs entre 50 et 60% de la totalité des jetons créés, dont elle en vend périodiquement une petite partie sur le marché. Ses fondateurs dirigeants se partagent 10 à 20% du reste selon les estimations.
Ripple est officiellement la 4e cryptomonnaie, avec une “capitalisation” de 30 milliards de dollars, mais dont seulement la moitié des jetons sont en circulation sur le marché, et ses fondateurs et dirigeants se partagent donc entre 3 et 6 milliards de dollars de la masse monétaire en circulation, reçus à la création du réseau.
Alors depuis décembre Ripple est poursuivie par la SEC (l’organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financier) qui accuse la société et deux de ces dirigeants d’avoir levé plus de 1,3 milliard de dollars dès 2013 par le biais d’une “offre non enregistrée d’actifs numériques ”.
Et Stefan Thomas, le pauvre étourdi qui a oublié le mot de passe de son disque dur est donc l’ancien Directeur Technique d’une start-up multimilliardaire ambitionnant de révolutionner les cryptomonnaies, accusant la technologie concurrente et leader —Bitcoin— d’être trop bien construite et trop décentralisée, tout en protégeant ses propres finances au cas où ça commencerait à sentir le roussi du côté de la justice ou des impôts.
Moralité(s)
Protégez vos données de valeurs derrière un bon mot de passe, et ne l’oubliez pas.
La morale de cette morale: ce n’est pas parce que le New York Times le dit que c’est forcément vrai. Comme on dit dans la communauté Bitcoin “Ne faites pas confiance; vérifiez!”
(Et aussi, faites attention aux projets dont la société elle-même et ses fondateurs gardent plus de la moitié des jetons et du contrôle?)