Megan Rapinoe : auto-goal sur terrain judiciaire

Le 24 mars marquait le “Equal Pay Day” – jour de l’égalité salariale – aux Etats-Unis. L’occasion pour le nouveau Président Joe Biden de recevoir des personnalités à la Maison blanche pour s’exprimer sur le sujet, dont Megan Rapinoe, superstar du football féminin et ardente défenderesse de nombreuses organisations LGBT.

Megan Rapinoe a profité de cette tribune pour tenir des propos extrêmement forts:

Malgré les victoires, j’ai été dévalorisée, on m’a manqué de respect et on m’a écartée parce que je suis une femme. Et on m’a dit que je ne méritais pas plus mais moins, parce que je suis une femme.

Elle a aussi profité de son passage à Washington pour témoigner devant une chambre du Congrès en déclarant notamment:

L’équipe nationale féminine a remporté quatre Coupes du monde et quatre médailles d’or olympiques au nom de notre pays. Nous avons rempli des stades, battu des records d’audience et vendu des maillots jusqu’à la rupture de stock. Pourtant, malgré tout cela, nous sommes toujours moins bien payées que les hommes – pour chaque trophée, chaque victoire, chaque match nul, chaque fois que nous jouons. (le témoignage peut être lu ici dans son intégralité)

De tels propos font écho aux revendications de l’équipe nationale féminine qui n’a pas hésité à attaquer en justice la fédération américaine de football pour discrimination salariale. Un tel combat est légitime et l’exemple du football américain devrait être un cas d’école: comment se fait-il que la meilleure équipe féminine de football au monde – l’équipe qui a remporté les deux dernières Coupes du monde au Canada et en France – soit moins bien payée que son homologue masculin qui ne s’était pas même qualifié lors du dernier “Mundial” en Russie?

Une telle inégalité serait scandaleuse et les propos pour le moins percutants tenus par la star du football américain seraient à la hauteur de l’injustice vécue. Pourtant, l’équipe américaine a perdu son procès. Et si l’équipe américaine a échoué sur le terrain judiciaire, ce n’est pas qu’elle a été arbitrée par un juge misogyne ou que l’avocat n’était pas à la hauteur de ses illustres mandantes. Le fait est que cette défaite était justifiée. Oui, derrière les vibrantes déclarations de Mme Rapinoe, on ne décèle pas la moindre inégalité salariale, à tout le moins pas lorsqu’elle est rémunérée pour porter, avec talent, les couleurs de l’équipe nationale.

Dans un jugement rendu le 1er mai 2020 par l’honorable juge Gary Klausner, que vous pouvez lire ici, on apprend tout d’abord que les équipes nationales masculines et féminines négocient, par l’intermédiaire de leur syndicat, des contrats collectifs avec la fédération nationale. Il ressort du jugement que les négociations entre les syndicats des joueurs et US Soccer sont intenses. A ce stade, on pourrait se dire que si discrimination salariale il y a vraiment, c’est que les joueuses américaines ne sont pas aussi revendicatrices que les hommes dans leurs négociations, ce qui trancherait alors frontalement avec l’image véhiculée par Megan Rapinoe dans les médias. Mais l’hypothèse de femmes négociant moins bien que les hommes doit ici être écartée.

Ce qui est intéressant est que les hommes ont négocié un contrat-cadre simple qui repose sur l’octroi de bonus pour chaque match joué, bonus qui varie en fonction du résultat et de l’importance du match en question (“pay-to-play agreement). A l’inverse, les femmes ont longuement négocié un contrat cadre offrant de nombreux avantages sociaux. Contrairement aux joueurs masculins, les membres de l’équipe féminine ont souhaité obtenir des garanties. Ainsi, les cadres de l’équipe nationale bénéficient d’un salaire annuel, d’une protection sociale par le biais de diverses assurances (invalidité, maternité, etc…), ainsi que des primes de match. Les femmes ont donc joué la carte de la sécurité alors que les hommes ont pris des risques: si un joueur américain n’est pas sélectionné, il ne recevra rien alors que la joueuse faisant partie du cadre national qui est n’est pas retenue pour un match reçoit néanmoins une rémunération. Je ne pense pas qu’on puisse y voir une différence de mentalité entre des “hommes joueurs” et des “femmes prudentes”. C’est certainement le contexte qui est différent puisque les hommes peuvent prendre le risque d’un système fondé uniquement sur des primes dans la mesure où ils gagnent suffisamment bien leur vie en club, contrairement aux femmes.

Dès lors que la structure des contrats est fondamentalement différente, il est clair que les primes de match allouées aux femmes sont intrinsèquement inférieures à celles données aux hommes. Mais c’est oublier qu’elles bénéficient en contrepartie d’un salaire annuel et d’autres avantages sociaux. Difficile donc de se montrer convaincu par les arguments d’une prétendue discrimination salariale. Ceci est d’autant plus vrai que si l’on additionne tous les revenus et les avantages, les joueuses américaines ont en fait mieux gagné leur vie que les hommes. Ainsi, elles ont gagné en moyenne 220’747 dollars par match, contre 212’639 dollars par match pour les hommes. Alors discrimination, vraiment?

Dans un dernier arguments, les joueuses disaient que si elles bénéficiaient du même contrat que les hommes, elles auraient alors gagné beaucoup plus que ce que leur offre leur propre contrat. Il est évident qu’en ayant gagné les deux dernières Coupes du monde, les joueuses américaines auraient décroché la timbale par un système de primes. Mais un tel argument ne tenait pas sachant que le syndicat féminin avait expressément refusé dans les négociations un pay-to-play agreement similaire à celui négocié par les hommes!

La lecture du jugement enseigne de façon convainquante qu’il n’y a pas de discrimination qui tienne. C’était un mauvais procès fait à la fédération américaine, laquelle avait offert des contrats identiques pour les deux équipes nationales, ce que le syndicat des joueuses avait refusé en préférant obtenir une couverture sociale adéquate. Décliner un système égalitaire pour ensuite s’offusquer de ses propres choix relève à mon sens d’une certaine témérité; mais cela personne ne s’en émeut.

Au final, qui se soucie de la lecture d’un jugement? C’est tellement plus simple que de se fier à des déclarations fracassantes pour ensuite mieux crier au scandale.

Yvan Henzer

Avocat spécialisé en droit du sport, Yvan Henzer est un observateur privilégié des manœuvres politiques qui font l’actualité sportive et se trouve au cœur de l’action au gré des affaires qui occupent son quotidien.

4 réponses à “Megan Rapinoe : auto-goal sur terrain judiciaire

  1. Je vous souhaite beaucoup de courage si votre article devait tomber dans les mains des SJW.
    L’objectivité ne sert à rien car votre avant-dernier paragraphe est un manspreading.

    1. Celles qui prônent l’égalité feraient bien de la reconnaître lorsqu’elle existe – au risque de perdre toute crédibilité quand elles dénoncent de vraies discriminations.

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