“RF”, comme signé Federer?

L’été dernier, lors de l’entrée en lice de notre Roger national à Wimbledon, un petit événement s’était produit. Rien de particulier à signaler au niveau du jeu puisque Federer avait passé le premier tour sans encombre; mais grande nouveauté sur le terrain puisqu’il arborait pour la première fois les couleurs de son nouvel équipementier japonais après avoir toujours été habillé par Nike. Dans un article du 2 juillet 2018, Le Temps avait rapporté les grandes lignes de la transaction avec la marque Uniqlo: un contrat de 300 millions de dollars sur 10 ans.

Le passage inattendu d’une marque à l’autre ne s’est pas fait sans encombre, comme en témoigne l’abandon de la ligne de vêtements “RF”. Ayant perdu son champion, Nike ne produit plus de nouveaux produits affublés du célèbre logo; quant à la société Uniqlo, elle ne peut manifestement pas utiliser le design développé par Nike, au grand dam des supporters et de Federer himself.

Dans un récent interview, il ne cachait pas sa frustration, même s’il restait optimiste:

«J’espère que Nike saura se montrer courtois et serviable. C’est quelque chose de très important pour moi et mes fans (…) La bonne nouvelle, c’est que cela va se faire. Ce sont mes initiales, après tout. C’est bien qu’elles ne leur (à Nike) appartiennent pas pour toujours. Cela va bientôt se faire et c’est ce qui compte.»

Bon communiquant, Federer met l’accent sur ses initiales “RF” dont il se retrouverait aujourd’hui (injustement) dépourvu. Mais la question n’est pas l’usage de ses initiales: Uniqlo pourrait parfaitement développer une nouvelle identité visuelle pour son nouvel ambassadeur et Nike n’y pourrait pas grand chose. Le problème qui tourmente notre champion est bien le droit d’utiliser une marque car c’est bien d’une marque dont il s’agit.

J’ignore tout du contrat qui liait Federer à Nike, mais il est certain que le titulaire de la marque “RF” est Nike qui semble ainsi tenir le couteau par le manche.

Fait intéressant: alors que la période de protection de la marque arrivait récemment à échéance sur le territoire suisse, Nike l’a renouvelée jusqu’en 2028. Nul doute que la période de protection a été prolongée dans le monde entier par le fabricant américain. Il y a donc bien une bataille dans les coulisses entre Nike et Federer puisque la célèbre marque américaine ne lâche pas son os. Sous réserve de clauses contractuelles contraires, Federer reste donc à la merci de son ancien sponsor. Car prétendre à la récupération de ses initiales semble extrêmement délicat, même si le logo est intimement lié à sa personnalité.

Dans le domaine de la propriété intellectuelle, on sait que le nom ne l’emporte pas toujours sur la marque. En cas de litige, le juge doit, dans chaque cas particulier, peser les intérêts en présence, afin de parvenir à la solution la plus équitable possible. Ainsi, le juge n’accorde pas de prééminence de principe au droit au nom; l’existence d’une marque célèbre antérieure justifie par exemple que l’on impose au nouveau concurrent des restrictions quant à l’utilisation d’un homonyme. Par exemple, si un dénommé Jordan, et il en a beaucoup dans le Gros-de-Vaud, décide de lancer une gamme de vêtement de sport en utilisant son nom de famille, ce qui paraît légitime, il risque bien de se heurter à Nike qui utilise une marque similaire du nom de l’ancien Numéro 23 des Chicago Bulls. Nike pourra se prévaloir de l’antériorité et de la notoriété de sa marque pour faire obstacle à ce Jordan de Mézières dont le seul tort était de vouloir utiliser son patronyme.

Pour en revenir au Maître, il pourra difficilement se prévaloir de son nom pour faire plier Nike! Il est aussi douteux que Nike se montre “courtois” et “serviable”, comme l’espère Federer, car les règles de la bienséance triomphent rarement dans le cadre d’une négociation commerciale.

Par contre, il est à parier que Nike est surtout soucieuse de préserver son image et d’éviter de fâcher les fans de Federer, et il y en a beaucoup! Ne souhaitant certainement pas être perçue comme la marque qui empêche l’icône du tennis mondial d’utiliser “son” logo, Nike n’aura pas d’autre choix que de se montrer serviable. Et comme Federer a 300 millions en poche, tous les ingrédients devraient être réunis pour trouver un accord permettant à Federer d’utiliser à nouveau son logo “RF”.

Yvan Henzer

Avocat spécialisé en droit du sport, Yvan Henzer est un observateur privilégié des manœuvres politiques qui font l’actualité sportive et se trouve au cœur de l’action au gré des affaires qui occupent son quotidien.

6 réponses à ““RF”, comme signé Federer?

  1. Pourriez-vous nous éclairer sur le cas du grand couturier Christian Lacroix, qui a perdu sa maison de couture propriétaire de la marque Christian Lacroix (ou elle a fait faillite je ne sais pas) et qui, d’après ce que j’ai entendu dire, se voit interdire d’utiliser son nom pour une nouvelle maison de couture s’il voulait en fonder une. Connaissez-vous ce cas ? J’aimerais bien savoir ce qu’il en est.

  2. Cher Monsieur Heinzer,
    J’ai trouvé deux fautes dans votre texte: japonais ne prend pas deux n et “quanT” à la marque Uniqlo ne s’écrit pas avec un d.
    Meilleures salutations,
    Felicitas Cepleanu

  3. Au delà du droit des marques, il est intéressant de voir qui paie mieux le maître, la Chine.
    Et Rodger est malin, car il ne va encore faire dix ans et Nike ne travaille pas sur des sportifs retraités.

  4. Uniqulo semble avoir payer plusieurs centaines de millions pour faire porter ses maillots par le maître. Nous nous pourrions pas pleurer, ni de nous rouler par terre, pour le sort de la marque RF – ni de nous émouvoir dans une lutte entre des géants milliardaires. Chaque chose a un prix et RF a abandonné ses initial pour de l’argent en toute connaissance de cause.

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