Le cas Ben Arfa et le droit de jouer à haut niveau

Après les transferts retentissants de Neymar et Mbappé, le Paris Saint Germain continue d’alimenter l’actualité dans un autre registre. C’est cette fois Ben Arfa qui est à l’ordre du jour puisque l’on apprend qu’il est écarté sans ménagement de l’équipe première pour être relégué en CFA (le championnat de France amateur). Il aurait semble-t-il court-circuité son entraîneur ainsi que le président du club pour aller plaider directement sa cause (et sûrement son mécontentement) auprès de l’Emir du Qatar, propriétaire du club. Cela aurait déplu.

Le précédent de Xamax

Au-delà de l’immense gâchis sportif que représente cette mise à ban, ce nouvel épisode n’est pas sans rappeler une affaire qui avait occupé les instances judiciaires suisses il y a quelques années. On ne parle plus du PSG mais de Neuchâtel Xamax, saison 2005-2006, alors que l’entraîneur Blazevic était aux commandes.

Les faits sont les suivants: à la mi-temps d’un match, le capitaine de l’équipe critique ouvertement une option tactique du coach. Mal lui en prend car son intervention lui vaudra son exclusion immédiate de l’équipe première. Ce joueur, rétrogradé ensuite dans l’équipe des moins de 21 ans, décide alors de résilier son contrat avec effet immédiat, avant d’ouvrir action en justice contre son ancien club. Avec succès.

Sur le plan pénal d’abord, le joueur obtient la condamnation de l’entraîneur qui l’avait qualifié dans la presse de “traître” et d'”imbécile”. Sur le plan civil ensuite, il a également gain de cause en obtenant des dommages-intérêts, notamment une indemnité pour tort moral. Certes, on est bien loin des millions du dernier mercato (l’indemnité pour tort moral a été fixée à CHF 15’000), mais les enseignements à tirer de ce litige sont importants.

Le droit de jouer à haut niveau

Dans un arrêt du 28 avril 2011 (ATF 137-III-303), le Tribunal fédéral confirme les décisions rendues à l’échelon cantonal en faveur du joueur. Il était dans son bon droit de résilier son contrat de travail et son éviction de la première équipe a été jugée excessive. Le considérant suivant est particulièrement digne d’intérêt:

“Il est évident qu’un footballeur professionnel jouant en première division doit, pour conserver sa valeur sur le marché du travail, non seulement s’entraîner régulièrement avec des joueurs de son niveau, mais aussi disputer des matchs avec des équipes du niveau le plus élevé possible. Or, l’intimé n’avait plus aucun espoir de disputer un match et n’était plus admis qu’à s’entraîner avec une équipe d’un niveau inférieur au sien. Fondée sur une réaction disproportionnée, l’attitude du club lésait gravement l’intérêt de l’intimé à exercer l’activité pour laquelle il avait été engagé. A cela s’ajoute que l’entraîneur – qui était son supérieur hiérarchique et représentait l’employeur – s’était exprimé, par la voie de la presse, en qualifiant l’intimé de traître et en montrant qu’il le tenait pour un imbécile. La situation était ainsi devenue insupportable pour l’intimé, de sorte que l’on peut aisément comprendre qu’il n’ait pas voulu continuer de rester, jusqu’à l’échéance du contrat, dans un club où il était méprisé et où il n’avait plus la possibilité d’être sélectionné pour un match. L’attitude adoptée par le club vidait le contrat de son sens. Dans ce contexte, on ne pouvait pas exiger de l’intimé la continuation du rapport de travail. Les conditions d’une résiliation immédiate pour justes motifs au sens de l’art. 337 al. 1 CO étaient donc réunies.”
En d’autres termes, les juges fédéraux consacrent pour les joueurs de football professionnels un véritable droit à travailler (pourtant, un employé normal voit plutôt dans le travail qu’il accomplit une obligation plutôt qu’un droit…). Mieux, ils ont le droit de pratiquer le football au niveau qui est le leur et non pas dans une équipe de réserve.

Moralité

Pour revenir au cas Ben Arfa, il a annoncé qu’il allait saisir les instances du football pour réintégrer la première équipe. Si l’affaire devait être résolue selon le droit suisse, nul doute qu’il pourrait se prévaloir du précédant du Neuchâtel Xamax. Personnellement, si j’étais le joueur, et à la lumière de la jurisprudence citée plus haut, je résilierais mon contrat avec effet immédiat pour m’engager dans un club qui n’évoluerait pas en CFA, ce qui aurait aussi le mérite de priver mon club de toute indemnité de transfert. A tout le moins, j’utiliserai l’argument pour négocier un transfert et sortir de l’impasse.

 

Yvan Henzer

Avocat spécialisé en droit du sport, Yvan Henzer est un observateur privilégié des manœuvres politiques qui font l’actualité sportive et se trouve au cœur de l’action au gré des affaires qui occupent son quotidien.

Une réponse à “Le cas Ben Arfa et le droit de jouer à haut niveau

  1. Le problème, c’est que Ben Arfa veut absolument toucher l’intégralité de ses salaires jusqu’à la fin de son contrat… C’est évidemment une goutte d’eau pour son employeur, qui semble en faire une histoire de principe en n’acceptant pas.

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