Football – la comédie du marché des transferts

Les compétitions sont (presque) terminées, l’été est là, les agents de joueur s’agitent, les rumeurs les plus folles circulent. Pas de doute, nous voilà à nouveau en pleine période des transferts. Le “mercato” a commencé. Ou plutôt la “commedia dell’arte“, tant certaines négociations virent à la comédie. Va-t-on assister au transfert du siècle? A quelle rumeur puis-je me fier? Quel sera le feuilleton de l’été? Et comme chaque année, on a droit à notre lot d’agacements. Certains joueurs se comportent comme des divas, mais ont-ils des circonstances atténuantes?

Quand les contrats ne valent plus rien

En football, les contrats sont en général conclus pour un nombre déterminé de saison. A priori, chacun devrait y trouver son compte: le footballeur obtient la garantie d’avoir un club pour une certaine durée; quant à l’équipe, elle sait qu’elle peut compter sur un joueur pour plusieurs saisons et peut ainsi construire un effectif sur la durée.

En théorie, tant les clubs que les joueurs doivent respecter les contrats jusqu’à leur échéance. En bonne logique, un transfert ne devrait être évoqué qu’en fin de contrat. En pratique toutefois, on s’assied sur les contrats et on assiste à de belles parties de poker menteur. Les rumeurs vont bon train, les médias s’en régalent et les fans peuvent disserter sans fin sur le visage que présentera leur équipe lors de la nouvelle saison.

Le cas d’école est le suivant: un joueur prolonge son contrat pour quelques saisons supplémentaires en obtenant au passage quelques millions en plus. Or, la signature du contrat n’est pas encore sèche que ce même joueur émet soudainement le souhait de changer d’air. Son salaire n’est plus à la hauteur de ses dernières prouesses, les supporters se montrent ingrats, l’équipe n’est pas au niveau de ses ambitions, une nouvelle recrue a mieux négocié que lui, etc… Le club lui manquerait donc de “respect” en ne lui offrant pas un meilleur salaire, même si le contrat a déjà été renégocié à la hausse il y a juste quelques mois. Pour mettre toutes les chances de son côté, ce joueur pourra compter sur son agent pour obtenir des offres d’autres clubs pour négocier en position de force et, si cela ne suffit pas, il passera au boycott de la reprise de l’entraînement. Toute ressemblance avec un cas réel est bien sûre involontaire.

Dans ce grand jeu, chacun prend grand soin de véhiculer des rumeurs et de promulguer de fausses informations. Alors certes, cela anime la période estivale, mais le spectacle est souvent pathétique. Franchement, est-ce trop demander à un joueur qui gagne des millions de faire preuve de loyauté?

Les plus romantiques voudraient que ces vedettes montrent un peu d’attachement à leur maillot. Plus prosaïquement, le moins que l’on puisse attendre d’un joueur est qu’il respecte son contrat. N’est-ce pas là son devoir le plus élémentaire? Si on s’engage pour jouer pour un club pour une durée déterminée, alors on respecte la parole donnée et on ne fait pas de chantage en cours de contrat pour obtenir d’avantage. Aussi puissants peuvent-ils être, les footballeurs restent des employés, avec les obligations que cela entraîne.

Des footballeurs mercenaires

Depuis l’adoption de la libre-circulation des travailleurs en Europe et le fameux arrêt Bosman, les footballeurs sont devenus des mercenaires. On ne joue plus pour le club de sa ville, de sa région ou de son pays, comme au temps où les frontières existaient encore. Désormais, le marché est globalisé et on joue pour le club qui paie le plus.

A vrai dire, ce n’est pas là que le bât blesse; franchement, nous sommes tous comme les footballeurs: si une entreprise nous offre de meilleures conditions, on change d’employeur. Business is business. On peut difficilement reprocher à quelqu’un d’accepter une offre d’un employeur plus généreux, surtout lorsque l’on a que quelques années pour gagner sa vie comme les sportifs professionnels.

Ce qui interpelle est que les engagements ne sont plus respectés, à tout le moins par les footballeurs qui sont suffisamment puissants pour imposer leurs propres règles. C’est la loi du plus fort alors que les contrats sont précisément conclus pour éviter de tels dérapages.

A la décharge des footballeurs, le problème peut aussi être vu sous un autre angle: les carrières sportives sont courtes. S’engager par exemple pour cinq saisons, soit un tiers de sa carrière, peut paraître excessif. Imaginez qu’on vous demande de travailler un tiers de votre carrière pour le même employeur, sans possibilité de changement. Qu’en penseriez-vous? On sait que si le cadre est trop rigide, il finira par éclater.

Un club est comme une entreprise: le patron et les collègues peuvent changer; l’ambiance peut devenir mauvaise, etc… Dans un tel cas, l’employé a la liberté de résilier son contrat. Le footballeur doit avoir cette même liberté. La décision d’un joueur de quitter son club peut être légitime, par exemple à la suite d’un changement d’entraîneur. On voit bien que des contrats de durée déterminée, conclus pour plusieurs saisons, ne sont pas la panacée.

Un modèle à changer

Dès lors que le football (professionnel) n’est devenu qu’un grand business, que l’amour du maillot ne signifie plus grand chose et que la parole donnée n’a plus aucune valeur, allons jusqu’au bout de la libéralisation. Plutôt que d’offrir des contrats de durée déterminée, que le monde du foot passe à des contrats de travail de durée indéterminée, résiliables à la fin de chaque saison, moyennant un préavis.

Au moins, on n’assisterait plus à des prolongations de contrat qui virent parfois à la mascarade et on arrêterait d’assister à des parties de poker insupportables pour renégocier des contrats, au mépris de la parole donnée.

Avec de tels contrats, qui sont la règle en droit suisse du travail, les négociations seraient plus équilibrées entre les clubs et les joueurs. Les indemnités de transfert deviendraient raisonnables, voire seraient carrément abandonnées, puisque le joueur ne serait plus considéré comme un actif comptable que le club peut amortir sur la durée du contrat prévue. Des contrats de durée indéterminée seraient aussi conformes à la réalité puisque l’expérience montre qu’un club ne peut de toute façon pas retenir un joueur qui ne veut plus jouer, même s’il s’y était engagé contre quelques millions.

Mais bien évidemment, beaucoup auraient à perdre avec un tel système et la fin des indemnités de transfert, si bien que le jour n’est pas encore venu où la FIFA passera à un modèle basé sur le marché du travail que nous connaissons en Suisse et qui a pourtant fait ses preuves.

Yvan Henzer

Avocat spécialisé en droit du sport, Yvan Henzer est un observateur privilégié des manœuvres politiques qui font l’actualité sportive et se trouve au cœur de l’action au gré des affaires qui occupent son quotidien.

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