Les réanalyses d’échantillons : un instrument de lutte équitable contre le dopage ?

Dans le cadre de son plan de lutte contre le dopage, le Comité International Olympique (CIO) a décidé de procéder à de nouvelles analyses sur plus de 1’500 échantillons prélevés lors des Jeux Olympiques de Pékin (2008) et de Londres (2012). Le but de ces réanalyses est de déceler de nouveaux cas positifs grâce à des méthodes d’analyses plus performantes qui n’existaient pas encore au moment des premiers tests. En clair, la volonté du CIO est d’attraper les tricheurs qui étaient passés entre les mailles du filet grâce à des méthodes de dopage alors indécelables.

Les dernières décisions disciplinaires du CIO sont tombées au début du mois de février 2017 ; certaines d’entre elles sont d’ores et déjà contestées devant le Tribunal Arbitral du Sport. On pense notamment à l’appel déposé par le sprinter jamaïcain Nesta Carter qui s’est vu retirer la médaille d’or obtenue lors du relais 4x100m des Jeux Olympiques de Pékin, avec pour conséquence de privé ses trois coéquipiers, dont Usain Bolt, du métal gagné.

A ce jour, 101 athlètes, dont 52 médaillés, ont été disqualifiés rétroactivement. Deux sports comptent un triste palmarès : l’haltérophilie recense 47 cas positifs et l’athlétisme 43. 29 haltérophiles se sont vus intimer l’ordre de retourner leurs médailles, ce qui représente un tiers des médailles attribuées lors de ceux deux olympiades ! Autant dire que les podiums sont décimés.

Un coup d’œil aux nations concernées permet de réaliser que la grande majorité des athlètes qui se sont fait attraper provient de l’ancien bloc de l’Est, les russes arrivant en tête avec près d’un tiers des cas.

Au vu des chiffres qui précèdent, nul doute que les campagnes de réanalyses initiées par le CIO sont efficaces. Si le CIO se félicite de défendre sa politique dite de « tolérance zéro » contre le dopage, cela ne va toutefois pas sans poser des problèmes délicats.

Du point de vue de l’athlète visé tout d’abord, il lui est pour le moins difficile de réunir des moyens de preuves en vue de démontrer son innocence lorsque les procédures disciplinaires sont initiées des années après (actuellement, le délai de prescription est de dix ans alors qu’il était de huit ans jusqu’en 2015). Prenons le cas d’un athlète dont le cas positif pourrait s’expliquer par la prise d’un supplément alimentaire contaminé, comme cela arrive fréquemment. Comment peut-il encore démontrer une négligence près de dix ans après les faits ? Il existe un véritable problème du côté des droits du sportif.

La disqualification des athlètes dopés a pour corollaire un réaménagement, parfois en profondeur, des classements. Des sportifs disparaissent des tabelles tandis que des médailles sont réattribuées à d’autres. Mais les classements corrigés ne sont pas forcément cohérents car les athlètes ne sont pas toujours contrôlés. On peut donc parfaitement imaginer qu’une médaille soit redistribuée à un athlète considéré comme « propre » pour la seule raison qu’il n’avait pas été sélectionné pour un contrôle anti-dopage. Le CIO en est bien conscient, ce qui le conduit à régler ce genre de situation au cas par cas ; ainsi, le CIO peut décider de ne pas réattribuer certaines médailles à des athlètes louches. Là aussi, il y a un problème : quand faut-il décider de ne pas réattribuer une médaille à un vient-ensuite ? Il est difficile d’être équitable.

Certes, lorsqu’une médaille est redistribuée, cela fait naître un certain sentiment de justice mais l’athlète repêché sera de toute façon privé de l’essentiel, à savoir des émotions ressenties lorsqu’une médaille est gagnée au bout d’une compétition haletante. Ce n’est quand même pas la même chose que de se voir décerner une médaille des années après, dans l’indifférence générale, que d’avoir droit à une cérémonie de remise des médailles avec, si l’or est décroché, l’hymne national joué en guise de triomphe ! C’est à se demander s’il ne faudrait pas organiser une cérémonie consacrée aux athlètes décorés après coup. Avec brin de provocation, on pourrait même se demander s’il ne faudrait pas organiser les cérémonies de remise des médailles 10 ans après les compétitions, une fois le délai de prescription échu.

Ensuite, du point de vue de la prévention, les réanalyses atteignent-elles vraiment un tel but ?  Les disqualifications surviennent potentiellement près de dix ans après les compétitions. Est-ce que cela va vraiment dissuader l’athlète de se doper ? Ne va-t-il pas plutôt prendre le risque de tricher ne serait-ce que pour goûter à un moment de gloire, quitte à tout perdre plus tard, une fois qu’il aura vécu comme une idole et se sera enrichi grâce aux sponsors qui auront vogué sur sa renommée ?

Quant au sport lui-même, il n’a à vrai dire pas grand-chose à gagner de voir l’image des compétitions ternie par de vieilles affaires de dopage qui resurgissent des années après.

Au final, les réanalyses des échantillons semblent poser plus de problèmes qu’elles n’en résolvent réellement. Il existera toujours des tricheurs et il existera toujours des sportifs qui échapperont à des sanctions puisque les laboratoires ont souvent une longueur de retard.

Face à ce triste constat, il faudrait savoir tourner la page. Chambouler des classements, parfois plus de dix après les compétitions, ne fait pas toujours du sens. Dans le souci de préserver à la fois les intérêts des athlètes propres et une certaine cohérence dans l’attribution des résultats, il serait judicieux de réduire le délai de prescription à 4 ans, ce qui correspond à un cycle olympique. Ainsi, l’ensemble des affaires de dopage seraient refermées une fois pour toute avant l’ouverture de nouveaux jeux olympiques.

Une telle proposition serait de nature à faciliter quelque peu la défense des athlètes tout en ne remuant pas de trop vieilles affaires. Surtout, l’effet préventif serait bien réel puisque l’athlète qui par hypothèse serait passé entre les gouttes lors des Jeux Olympiques précédents encourrait alors le risque bien réel de rater les jeux suivants en cas de réanalyse positive.

Yvan Henzer

Avocat spécialisé en droit du sport, Yvan Henzer est un observateur privilégié des manœuvres politiques qui font l’actualité sportive et se trouve au cœur de l’action au gré des affaires qui occupent son quotidien.