Lutte contre le dopage: l’heure des sanctions collectives a-t-elle sonné?

Depuis le 13 novembre 2015, la Fédération Russe d’Athlétisme est suspendue de la fédération internationale d’athlétisme (IAAF) à la suite de multiples affaires de corruption et de dopage. Les effets de cette suspension se sont notamment fait ressentir lors des derniers jeux olympiques à Rio lors desquels aucun athlète russe n’a été admis à participer, à l’exception de la seule Darya Klishina, finalement repêchée par le Tribunal Arbitral du Sport dans des circonstances rocambolesques.

Il y a quelques jours, le 6 février dernier, l’IAAF a annoncé que la Russie demeurait suspendue ; toutefois, un programme est mis en place pour que les athlètes russes les plus honorables puissent participer aux compétitions internationales, notamment aux prochains championnats du monde, sous couleurs neutres. L’intérêt individuel de ceux qui peuvent établir leur innocence est ainsi préservé.

La suspension d’une fédération nationale est une sanction sans précédent et qui marque les esprits dans la mesure où la Russie est un acteur de premier plan en athlétisme, le sport roi du programme olympique. Toutefois, que la Russie demeure suspendue est loin d’être une surprise compte tenu des révélations qui ont fait l’effet d’une bombe l’été dernier. La bombe en question est le fameux « Rapport McLaren » qui a révélé un vaste système de falsification destiné à protéger des athlètes russes dopés.

Pour rappel, ce rapport, qui se fonde essentiellement sur les déclarations de l’ancien directeur de laboratoire anti-dopage russe Grigori Rodtchenkov, apprenait que les russes, avec l’aide des services secrets (!), avaient réussi à ouvrir et manipuler des échantillons scellés qui étaient pourtant réputés inviolables. Ces manipulations étaient couvertes par le fameux Rodtchenkov si bien qu’un nombre incalculable d’échantillons positifs sont passés entre les mailles du filet, permettant ainsi à de nombreux sportifs de bénéficier sereinement d’un programme de dopage robuste depuis (au moins) les jeux olympiques de Londres 2012.

La deuxième partie du rapport McLaren souligne que plus de 1’000 athlètes russes de sports d’été, de sports d’hiver et de sports paralympiques avaient potentiellement bénéficié de la conspiration mise en place par les plus hautes instances russes.

A la lumière de faits aussi accablants, la suspension des russes in corpore ne semble pas choquante. Aussi dur soit-il, le bannissement des russes n’a pas eu pour effet de faire sourciller les dirigeants russes, qui restent droits dans leurs bottes, à commencer par le Président Poutine : celui-ci nie bien évidemment l’implication de l’état dans cette fraude à grande échelle. Dans la même veine, le ministre des sports au moment des faits Vitaly Mutko, désormais promu au rang de vice-premier ministre (!), s’est particulièrement distingué en affirmant, pour expliquer que certains échantillons d’athlètes russes contenaient plusieurs traces d’ADN, que cela pouvait s’expliquer par des relations sexuelles pouvant fausser les résultats des tests anti-dopage, notamment ceux des femmes qui garderaient en elles, selon lui, l’ADN masculin après un rapport sexuel. Globalement, la version russe est qu’il s’agit d’un complot ourdi par les nord-américains contre eux.

L’absence de tout repentir a bien évidemment pesé lourd dans la décision de l’IAAF de maintenir les sanctions.

Il semblerait toutefois que la position russe commence à fléchir puisque pas plus tard que le 7 février, le vice premier ministre déclarait à la presse que « des athlètes ont violé les règles et que beaucoup d’entraîneurs ne comprenne pas comment travailler sans avoir recours au dopage et qu’il était temps pour eux de se retirer ».

L’intransigeance de l’IAAF semble donc gentiment à porter ses fruits, même si la faute est mise sur des cas individuels, épargnant ainsi l’Etat.

La vaste conspiration organisée par les russes a mis au grand jour les failles de la lutte contre le dopage : scellés pas fiables, manipulations au sein de laboratoires accrédités, corruption à divers étage de la hiérarchie…

Une réforme du système est nécessaire. Au niveau des sanctions, le monde du sport se dirige peut-être vers des sanctions collectives dans les cas les plus graves.

Dans le sillage de l’IAAF, la fédération internationale d’haltérophilie a par exemple aussi suspendu la fédération nationale bulgare, à la suite de contrôles inopinés lors d’un camp d’entraînement établissant que toute l’équipe prenait des produits interdits.

Dans le passé, plusieurs affaires de dopage étaient organisées à grande échelle. On pense par exemple aux athlètes chinoises – l’armée de Ma – qui, durant les années nonante battaient soudainement les records du monde les uns après les autres dans les courses de fond et demi-fond, sans parler de l’équipe de natation qui n’était pas en reste. L’explication alors donnée était une recette miracle : la prise de décoctions à base de sang de tortue à carapace molle… A l’époque, il n’était pas question de suspendre la fédération chinoise quand bien même le nombre de cas de dopage avérés par la suite démontrait un dopage organisé. En serait-il de même aujourd’hui ?

Maintenant que le monde du sport entend serrer la vis, la punition collective pourrait-elle devenir une arme pour combattre le dopage quitte à sacrifier certains athlètes propres dont la seule tare est d’être ressortissant d’un pays fraudeur ? Cela ouvre assurément des perspectives intéressantes !

Yvan Henzer

Avocat spécialisé en droit du sport, Yvan Henzer est un observateur privilégié des manœuvres politiques qui font l’actualité sportive et se trouve au cœur de l’action au gré des affaires qui occupent son quotidien.