Coupe du Monde de football : doit-elle être élitiste ?

A tout seigneur tout honneur! Pour cette première rubrique de ce blog qui a pour ambition de décoder les manœuvres politiques dans le sport, le football sera à la une.

Le 10 janvier 2017, la FIFA a annoncé que la Coupe du Monde allait passer, dès l’édition 2026, de 32 à 48 équipes. Si la décision a été prise à l’unanimité par le Conseil de la FIFA, le moins que l’on puisse dire est que cette réforme fait l’objet de critiques nourries, principalement en Europe. La FIFA est ainsi accusée d’avoir pris une décision servant avant tout ses intérêts économiques, contre les intérêts du jeu. Nombreux sont ceux qui pensent que le niveau de jeu de la compétition sera affaibli avec ce nouveau format ;  48 participants c’est beaucoup trop ! La Coupe du Monde doit rester une compétition élitiste. On ne peut pas faire plaisir à tout le monde.

L’image de la FIFA est écornée depuis les nombreux scandales qui l’ont touchée. Cette fédération sportive, dont le président a quasiment le statut d’un chef d’Etat, est le symbole de la dérive du sport-business. On parle presque autant de corruption, de magouilles, de petits arrangements entre amis que de football. Dans ce contexte, il est de bon ton de critiquer toutes les décisions prises par l’instance dirigeante du football. La réforme de la Coupe du Monde ne fait pas exception; on y voit qu’une décision politique destinée à ramener plus d’argent dans les caisses de la FIFA, pour ne pas dire de ses dirigeants.

Pourtant, à y regarder de plus près, il n’y a pas à hurler avec les loups.

Bien sûr que les intérêts financiers ont été pris en considération lors de la refonte du format de la Coupe du Monde. Un rapport parle d’un gain financier supplémentaire de l’ordre de 640 millions de dollars. Il est incontestable que la nouvelle formule permettra à la FIFA d’empocher plus d’argent. Et alors ? Ce n’est pas un mal : selon le « modèle de solidarité » adopté par la FIFA, plus de 70% des revenus de la Coupe du Monde sont redistribués au monde du football. Ne faudrait-il pas se féliciter que de nouveaux projets au quatre coins du monde puissent ainsi être financés?

L’affaiblissement du niveau de jeu, dénoncé par certains, n’est de loin pas garanti. Un examen sommaire du classement FIFA permet vite de comprendre que certaines nations du football, mal classées, savent néanmoins jouer au football. On peut citer le Nigéria (50e), la Russie (56e) ou le Cameroun (62e). Certes, ce ne sont pas les 48 meilleures nations du classement FIFA qui sont qualifiées et cet exemple est schématique. Mais y a-t-il véritablement une grande différence de niveau de jeu entre certaines équipes d’ores et déjà qualifiées parmi les 32 participants et les 16 nouvelles équipes susceptibles de rejoindre la compétition ? On peut en douter.

Quant à l’argument élitiste – la Coupe du Monde doit être réservée uniquement « aux grands du football » – il n’est guère séduisant. La FIFA compte beaucoup de fédérations membres; elle en dénombre actuellement 209. Une qualification de 48 équipes à la Coupe du Monde équivaut à moins d’un quart des membres. Cela correspond plus ou moins à la proportion des Championnats du Monde de hockey qui regroupent 16 équipes, sachant que la Fédération internationale de hockey sur glace compte 77 fédérations affiliées. Que moins de 25 % des équipes nationales puissent se qualifier à la grande fête du football est loin de correspondre au format naguère adopté par Jean-Jacques Martin dans « l’Ecole des fans », comme le clament ceux qui voudraient conserver un cercle restreint. La périodicité de l’événement, qui n’a lieu que tous les quatre ans, est suffisante pour conférer un caractère exclusif à la compétition.

Le football est le sport populaire par excellence et l’élargissement du nombre d’équipes qualifiées permettra, pour reprendre les mots du Président Infantino, à plus de pays de rêver. Ce n’est pas un mal. Grâce au nouveau format de la Coupe du Monde, plus de pays vibreront pour la compétition. Plus de supporters seront concernés. Plus de footballeurs pourront vivre leur rêve de participer à cette compétition prestigieuse. “Du pain et des jeux” diront d’autres en référence au poète latin Juvenal qui a inspiré le titre de ce blog pour dénoncer une manœuvre permettant au président en exercice de s’attirer non seulement la bienveillance du peuple, mais surtout des voix supplémentaires lors de la prochaine élection.

La Coupe du Monde, ce doit être la fête du football au niveau planétaire. Élargir le nombre de participants va bien dans ce sens, sans pour autant dénaturer la compétition. La nouvelle formule permettra à coup sûr l’émergence de surprises qui font la beauté du sport. L’Euro aussi s’est élargi ; il s’est longtemps joué à huit. Il se déroule depuis l’année dernière à 24 équipes (ce qui correspond à 45 % des fédérations européennes de football). Cela n’a pas empêché les Pays-Bas d’échouer en qualification et les Islandais de se révéler en réalisant un superbe parcours lors du dernier Championnat d’Europe. Qui peut s’en plaindre ?

S’il devait exister un inconvénient à la réforme votée par la FIFA, c’est de donner du fil à retordre au pays organisateur. Ce sera le vrai challenge de la FIFA : trouver des pays prêts à être candidats et disposant d’infrastructures pour accueillir 48 équipes. Il ne faudrait pas que l’organisation de la Coupe du Monde devienne si compliquée et onéreuse que plus aucun pays ne veuille l’organiser. Demandez au CIO ce qu’il en pense…

Au final, prenons le contre-pied des critiques et saluons la décision de la FIFA. Et c’est tout de même un monde qu’une première chronique, consensuelle, devienne presque subversive à la lumière des critiques. C’est dire que le chemin de la FIFA est encore long pour redorer son blason.

Yvan Henzer

Avocat spécialisé en droit du sport, Yvan Henzer est un observateur privilégié des manœuvres politiques qui font l’actualité sportive et se trouve au cœur de l’action au gré des affaires qui occupent son quotidien.

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