Tu viens d’où ? T’es quoi ? Je suis Afropéen.

Depuis mon plus jeune âge, je tente de me définir, de me connaître. Qui suis-je, lorsque je suis né dans la petite commune de Sierre, avec des parents qui sont arrivés de la Somalie quelques petits mois avant ma naissance ? Est-ce qu’il y a un mot pour me définir ? Suis-je Suisse ? Suis-je Somalien ? Suis-je Européen ? Suis-je Africain ? La réponse à ces interrogations se trouve peut-être dans ce terme : Afropéen.

Tu viens d’où ? Cette question revient sans cesse dans mon existence et c’est quasiment à chaque fois le même embarras et la même incertitude qui me traversent au moment de répondre à cette question qui pourtant semble si anodine. Dans les années 1990 et 2000, le jeune écolier lausannois que je suis répondait simplement à cette question par la référence à mon origine africaine. J’étais donc somalien. C’était de cette façon que mes copains de classe me définissaient… Puis, au début des années 2000, une vague d’arrivée de réfugiés somaliens en Suisse m’a très rapidement confronté à une réalité ; pour ces ‘’compatriotes’’, que mes parents accueillaient parfois pour un repas ou simplement pour prendre le thé à la maison, je n’étais pas somalien, j’étais un Suisse. Dans leur esprit, comment un enfant d’immigré, qui n’a jamais mis les pieds en Afrique, qui ne parle pas très bien la langue et qui ne comprend pas les coutumes du pays de ses parents, peut se revendiquer somalien ? Le débat semblait clos, j’étais Suisse.

La naturalisation à l’adolescence 

En 2007, après 14 ans de vie sur le territoire helvétique, mon pays, ”ma nation”, j’ai dû demander la nationalité suisse. J’obtiens la nationalité suisse via une longue procédure de naturalisation. Naturalisation. Un terme qui me semblait tellement étrange si jeune. Qu’est-ce qu’il y’a à naturaliser chez moi ? me demandais-je naïvement. Ce moment est un tournant pour moi : l’obtention de ce passeport rouge liait à jamais mon avenir avec cette communauté nationale helvétique dont j’étais un fier représentant et un membre à part entière. Hélas, je me trompais ! C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à être confronté à de plus en plus de doute et de remise en question.

Arrivé au gymnase, je me retrouve dans une classe avec une grande diversité. Notre enseignant d’histoire, qui était un amoureux du Valais, prônait toujours ses origines alpines. Lors d’un cours, je signifie devant toute la classe que moi aussi, je suis originaire de ce beau canton. Très rapidement, mes camarades de classe me taquinent en me disant que je devais arrêter mes bêtises, car j’étais somalien et ça se voyait très bien à ma couleur de peau et à mon prénom. Retour à la case départ : mais qui/que suis-je ?

Début en politique et de plus en plus de questions

En 2016, je décide d’adhérer au Parti socialiste. Très rapidement, je prends goût au débat et en 2018, je deviens délégué vaudois pour les assemblées des délégués de la section nationale. Je rencontre énormément de camarades venus de part et d’autre de la Suisse. C’est en 2019 que je suis confronté à un événement qui va changer ma vision des choses de manière radicale. Lors de l’une de ces assemblées, à Berne, je suis avec un camarade francophone durant la pause. Nous entamons une petite discussion. Nous parlons politique et soudain, le camarade me demande d’où je viens. Je suppose qu’il souhaite savoir quel canton je représente. Je lui réponds donc que je suis vaudois. Il rétorque en reposant ça question différemment : D’accord, mais tu viens d’où réellement ? Interpellé et presque agacé, je lui réponds que je suis originaire du Valais, de Sierre plus précisément. Agacé à son tour, il me répète : oui, mais avant ça ? Je lui réponds très sèchement que si ce qu’il veut savoir c’est l’origine de mes parents, ils viennent de Somalie. Évidemment que ce camarade socialiste n’était pas mal intentionné, mais cet incident m’a amené à énormément me questionner. Après le sentiment d’énervement retombé, je me suis demandé pourquoi cette interaction m’a autant posé de problèmes. Avais-je honte de mes origines ? Ne serais-je donc jamais suisse ? Après plusieurs mois de réflexion et d’innombrables discussions avec des connaissances afrodescendantes, j’ai trouvé la réponse : je suis finalement les deux, Suisse et Somalien, Africain et Européen, un Afropéen.

Un tout, entier et sans compromis

Aux États-Unis, le concept d’Afro-Américain est profondément ancré historiquement dans le langage courant. En Europe et en Suisse, c’est totalement différent. Le concept d’afropéen n’est pas du tout encore répandu, mais il permet pour beaucoup d’afrodescendant-e-s de se reconnaître, de se définir et de concilier cette identité multiple à travers un mot. L’utilisation et l’affirmation de ce terme permettent une autoconsidération comme étant entier, sans passer par une double explication ou définition, c’est une réelle réappropriation très importante de son identité pour nombre de personnes dans ma situation. Dans son Essai ‘’ Afropéens. Carnet de voyage au cœur de l’Europe noire’’ Johny Pitts explique comment ce terme a ‘’ouvert un espace dans lequel la culture noire participait à la formation de l’identité européenne en général.’’ À mon sens, l’utilisation de ce mot permet la convergence de mes deux cultures, africaines et européennes, sans l’utilisation d’un trait ‘’d’union’’, sans détour et sans compromis.

 

 

Impasse électorale en Somalie : un jeu d’échecs sans fin

La Somalie se retrouve une fois de plus dans une impasse électorale et voit ses récents progrès en termes de sécurité et de stabilité politique mis en danger. Depuis maintenant plusieurs mois, les leaders politiques de ce pays de la corne de l’Afrique se disputent sur les différentes modalités de ces élections qui devaient se tenir le 8 février dernier. Plusieurs acteurs, nationaux et étrangers, s’affrontent dans l’arène politique afin d’obtenir le saint Graal, le siège du président à la Villa Somalia (Résidence du président de la République fédérale de Somalie). Pour comprendre les raisons de cet interminable jeu d’échecs, il faut saisir la complexité du système politique somalien et disposer d’une vision d’ensemble des différents acteurs impliqués de près ou de loin dans cette crise politique.

Processus électoral remis en question 

Après 20 ans de guerre civile, la Somalie a adopté en août 2012 une constitution provisoire. Ne pouvant se permettre de mettre en place une élection sous le modèle du one man one vote au vu de l’insécurité chronique dans le pays, les leaders politiques somaliens adoptent un modèle coutumier se basant sur la tradition clanique. Chacun des clans de la Somalie propose le même nombre de ”grands électeurs” qui éliront le parlement fédéral. C’est ensuite au tour de ce pouvoir constitué de désigner le président. Ce dernier nomme pour finir un Premier ministre qui à son tour constitue son gouvernement.

Ce système d’élection est cependant contesté depuis de nombreuses années. Il favorise les clans dits ”majoritaire” et exacerbe les pratiques de corruption. L’écrasante majorité de la population somalienne est donc écartée du choix de leurs instances politiques. C’est d’ailleurs l’une des promesses électorales de l’actuel président du pays, Mohamed Abdullahi Faramaajo ; la mise en place d’un système représentatif à l’élection au suffrage universel. Or, après 4 ans à la tête du pays, le président et ses deux gouvernements successifs n’ont pas réussi à mettre en place les conditions requises pour la tenue d’un tel scrutin. Ne pouvant garantir une élection démocratique sur ce modèle, le président et son gouvernement avaient pour mandat de proposer fin 2020 un nouvel agenda et des règles pour la tenue d’une élection à mi-chemin entre le système coutumier et représentatif.

Des États dans l’État et une opposition organisée

Sa présidence touchant à sa fin le 8 février dernier, le président Faramaajo n’a pas pour autant laissé son siège de chef d’État vacant. Pour justifier ce retard : la pandémie du coronavirus et le blocage institutionnel des États fédéraux. L’opposition voit ces justifications comme un prétexte de la part du président afin d’étendre son mandat d’une année au minimum. La difficulté à trouver un accord découle en premier lieu de la complexité du système politique somalien ; 5 états semi-indépendants ainsi qu’une région administrative constituent l’État fédéral somalien : le Puntland, le Jubbaland, le Galmudug, le Southwest State, le Hirshabelle et la région administrative du Banadir (la capital Mogadiscio). Chacun de ces états-membres porte des intérêts parfois diamétralement opposés, ce qui ralentit considérablement les négociations. Depuis le 8 février, les dirigeants du Puntland et du Jubbaland ne reconnaissent plus l’autorité du président Faramaajo, ce dernier les accuse en retour de bloquer les discussions. Finalement, une large coalition de plusieurs partis politiques avec à sa tête les deux anciens présidents du pays, Hassan Sheikh Mohamoud et Sheikh Sharif Ahmed s’opposent farouchement au gouvernement et demandent sa démission. D’autres personnalités politiques de haut rang ont rejoint cette coalition qui fait figure d’opposition au gouvernement du président.

Les États-Unis, l’Union européenne, les États du Golfe, la Chine, la Turquie, les pays africains de la région et plein d’autres encore… Mais pourquoi ?

Pour ne pas faciliter la tâche, les acteurs internationaux soutiennent différents camps. Américains et Européens sont de grand soutien du gouvernement, idem pour la Chine et le Qatar. Trois des quatre pays de la région, l’Éthiopie, l’Érythrée et Djibouti soutiennent également Faramaajo. Les états fédéraux dissidents et la coalition d’opposition quant à eux bénéficient du soutien des pays du Golfe, notamment l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes Unis. La Turquie, qui gagne de plus en plus d’influence dans la région, et notamment en Somalie depuis maintenant une dizaine d’années, adopte une posture ambiguë en ne soutenant pas de manière claire l’un des deux camps. Le gouvernement kenyan quant à lui soutient l’opposition et plus précisément l’État-membre dissident du Jubbaland, depuis que la Somalie et le Kenya ont récemment rompu les liens diplomatiques à cause d’un contentieux vis-à-vis des frontières maritimes.

On peut alors se demander quelles sont les raisons qui poussent tant de pays à interférer et s’immiscer dans les affaires électorales de ce pays d’Afrique de l’est. Sans être exhaustif, nous pouvons au moins citer deux enjeux qui revêtent d’une grande importance économique, mais également stratégique : les ressources pétrolières et gazières offshore encore inexploitées dans les eaux somaliennes ainsi que la position géostratégique du pays sur l’une des voies maritimes les plus empruntées au monde, le golfe d’Aden. Depuis la guerre froide, la Somalie est devenue un lieu de haute importance stratégique de par sa position à la croisée entre l’Afrique et le monde arabe.

Le parlement octroie une extension de deux ans au mandat du président Framaajo

Coup de théâtre, le lundi 12 avril, la chambre basse du parlement somalien a accordé une extension de deux ans au mandat du président et de son gouvernement pour tenir des élections démocratiques au suffrage universel. Réunis en session extraordinaire, 149 des 153 député-e-s présent-e-s ont alors fait passer cette résolution qui consiste à renouveler le mandat du parlement, du président et du gouvernement afin de transformer le système électoral coutumier de la Somalie. La chambre haute du parlement, le sénat, a de son côté rejeté ce vote considérant qu’il est anticonstitutionnel. L’opposition crie au scandale et dénonce un tour de passe-passe du président Faramaajo et de son gouvernement. Les leaders de l’opposition et notamment Abdirahman Abdishakur, président du parti d’opposition Wadajir, menacent de former des instances politiques (parlement, gouvernement et tribunaux) parallèles au gouvernement du président.

Les espoirs d’une démocratie inclusive s’éloignent de plus en plus

À l’unisson, la communauté internationale a condamné l’extension du mandat du parlement et du gouvernement craignant davantage de division dans ce pays déjà très fragile. L’Union africaine craint que cette crise permette au groupe terroriste Al-Shabab de profiter de la situation pour prendre du terrain et gagner des régions du pays.

Considéré comme le deuxième pays le plus défaillant au monde selon le ”Fragile state index 2020”, les leaders somaliens vont devoir prendre leurs responsabilités afin de retourner sur le chemin du progrès politique, économique et sécuritaire à travers le dialogue. Après une vingtaine d’années de guerre civile, des famines à répétition, la piraterie et les attentats terroristes, le peuple somalien continue d’espérer des jours meilleurs. Malgré de récentes avancées dans la reconstruction du pays, la Somalie peine à réaliser une transition du pouvoir en douceur depuis la chute du régime de Siad Barre en 1991. Paix, stabilité et sécurité ne sont que des utopies pour la plupart des Somaliennes et Somaliens. La prochaine génération de politiciennes et politiciens dans le pays aura une multitude de défis à relever pour enfin permettre à ce peuple de transformer ces utopies en réalité.

Références : 

Austrian Red Cross : Clans in Somalia 

US Department of State : 2018 Report on International Religious Freedom: Somalia

Fragile State Index

Al-Jazeera : US, EU condemn move to extend Somalia president’s term

Voice of America : Somali Lower House of Parliament extends President’s term for two years

SwissInfo : Somali government troops face off with forces loyal to sacked police boss

Bookings Institution : Africa in the news: Ethiopie, Republic of Congo, Kenya, and Somalia updates

Image : UNSom