Don de sperme : le droit d’avoir un enfant prime-t-il le droit d’avoir un père ?

C’est dans l’euphorie médiatique la plus totale que l’Assemblée fédérale a adopté le 18 décembre dernier la loi instituant le mariage homosexuel. Pourtant, au-delà de cette « avancée historique », l’on ne peut que regretter que la question de la PMA ait été ajoutée au projet. Par la petite porte, le Parlement empêche un vrai débat sur les droits des enfants.

Car en réalité, le réel sujet des votations du 26 septembre prochain ne sera pas le mariage pour tous, mais bien la question de la filiation et du don de sperme pour les couples de lesbiennes.

Alors que, pour le Tribunal fédéral, « le bien de l’enfant constitue la maxime suprême du droit de l’enfant […] tandis que les intérêts et les souhaits des parents passent au second plan »[1], il faut se demander comment l’on a pu en arriver à faire primer le droit d’avoir un enfant sur le droit d’avoir un père.

Interdire aux enfants de connaître leur père ?

Un enfant conçu par don de sperme au sein d’un couple lesbien n’aura pas le droit de connaître ne serait-ce que le nom de son père avant sa majorité. Durant toute son enfance et son adolescence, lorsqu’il tentera de se construire et qu’il traversera des phases de questionnement quant à son identité et cherchera des repères, la loi lui interdira de savoir qui est son papa.

Il ne pourra demander des informations sur ce dernier qu’à 18 ans révolus. Nom. Prénom. Date et lieu de naissance. Formation. Profession. Domicile. Description physique. Aucun droit de rencontre ou de contact. Encore moins le droit de faire reconnaître une filiation.

Résumer le rôle d’un père à quelques mots transmis par l’Office fédéral de l’état civil, voici un élément qui entachera durablement l’introduction du mariage pour tous en cas d’acceptation du projet le 26 septembre (soit exactement 365 jours après que le peuple a reconnu le rôle des pères en leur accordant un congé paternité, ironie de l’histoire).

En rien comparable à l’adoption ou à la PMA des couples hétérosexuels

La nouvelle loi n’est en rien comparable à la situation qui prévaut en matière de don de sperme pour les couples hétérosexuels. En effet, le recours à la PMA présuppose pour ces derniers une situation indépendante de leur volonté, à savoir la stérilité du couple ou le risque de transmission d’une maladie grave.

Cette condition disparaît dans la loi soumise au vote : un couple de lesbiennes pourra prendre sans raison médicale la décision de mettre un enfant au monde en le séparant volontairement et durablement de son père biologique, sans possibilité pour lui de s’identifier à un père par filiation.

Une telle situation n’est pas non-plus comparable à l’adoption car, là-aussi, l’absence d’un parent résulte d’événements indépendants de leur volonté. Le droit d’adoption vise à rétablir une situation de fait et de droit dans l’intérêt des enfants au moyen d’une filiation. Au contraire, la nouvelle loi donne le droit à deux personnes de concevoir un enfant en sachant qu’il ne pourra jamais avoir de père, biologique ou juridique.

Qu’en est-il des enfants nés sans recours à un donneur ?

En ce qui concerne les enfants nés d’une grossesse naturelle, il convient de rappeler que la loi – initialement centrée sur les réalités biologiques – ne prévoit pas la coexistence de trois parents juridiques.

Ainsi, une femme désirant se marier alors qu’elle se trouve être enceinte privera son enfant de toute relation avec son père – et cela quel que soit l’avis de ce dernier. Tant qu’elle vivra avec sa compagne, l’enfant ne pourra pas faire reconnaître sa filiation paternelle, quand bien même il entretiendrait une relation privilégiée avec lui.

Là encore, la loi créera artificiellement des situations dans lesquelles le rapport père-fils ou père-fille sera aboli sur l’autel de l’idéologie et du progrès. En d’autres termes, la possibilité pour un enfant d’avoir un père dépendra de la seule volonté de sa mère. S’agit-il réellement d’une avancée sur le plan du droit ?

Le mariage pour tous sera entaché durablement par une loi injuste

Le 26 septembre, nous ne voterons pas pour ou contre le mariage homosexuel. Alors que, dans les milieux concernés, nombre de personnes attendaient cette réforme depuis longtemps, ils devront pour l’accepter consentir à une loi injuste.

Il ne s’agit ni plus ni moins que de rendre le droit d’avoir un enfant plus grand que le droit d’avoir un père. Il s’agit d’interdire à des enfants un lien de filiation paternelle  dans le but d’autoriser un lien de filiation maternelle à certains couples.

Quel que soit notre avis sur l’union des personnes de même sexe, force est de constater que la loi proposée ne peut pas être acceptée en l’état. Je la refuserai lors des votations de septembre et invite les citoyens à se demander, au moment de remplir leur bulletin, quel prix ils sont prêts à payer pour aller dans le sens de l’histoire.

 

[1] ATF 142 III 612 c. 4.2

Yohan Ziehli

Né à Lausanne en 1993, Yohan Ziehli a grandi entre les vignes de Lavaux et de la Riviera. Amateur de produits du terroir, lecteur compulsif et pianiste à ses heures perdues, il travaille pour le groupe de son parti au parlement fédéral en tant que juriste, spécialisé dans les questions de politique extérieure, institutionnelle et démographique. Il est conseiller communal et vice-président de l’UDC Vaud.

19 réponses à “Don de sperme : le droit d’avoir un enfant prime-t-il le droit d’avoir un père ?

  1. Votre citation tronquée […] de l’arrêt du TF me laisse perplexe…

    Le TF écrit : “Denn nach der Rechtsprechung gilt das Kindeswohl als oberste Maxime des Kindesrechts; es ist für die Regelung des Eltern-Kind-Verhältnisses demnach immer der entscheidende Faktor, während die Interessen und Wünsche der Eltern in den Hintergrund zu treten haben”

    C’est pas bien d’enlever le milieu…

    Et j’aurais adoré voir un UDC citer la convention internationale des droits de l’enfant 🙂

    1. Ce serait mal d’enlever le centre si je ne l’avais pas signifié par des crochets et des points et si cela en changeait le sens. Comme aucune de ces conditions n’est remplie, il s’agit d’un choix visant à alléger et préciser la lecture.

      Je suis par ailleurs tout à fait conscient de la convention dont vous parlez et je suis étonné de voir avec quelle facilité l’intérêt supérieur (pour reprendre la terminologie de l’ONU) de l’enfant peut être oublié quand on va dans le sens du vent.

      1. Oh, le diable est dans l’application.

        Après les scandales, la Suisse a interprété l’intérêt supérieur de l’enfant de telle manière qu’il est devenu (quasi) impossible d’adopter.

        Vous vous battez contre l’ouverture de nouveaux droits alors que c’est l’application qui posera éventuellement problème. Et comme votre parti est le premier de Suisse, vous avez pléthore de juges/fonctionnaires pour interpréter la loi…

        Pour votre citation, vous donnez l’impression qu’elle pourrait s’appliquer à la pma/gpa, alors que le tf parle exclusivement du droit de garde.

        1. Vous dites que mon parti a “pléthore de juges/fonctionnaires pour interpréter la loi”. Vous semblez oublier qu’il est le seul a avoir refusé cette loi – avec une partie du centre. Loin de faire une majorité donc. Comprenez que les juges et fonctionnaires affiliés aux partis opposés sur le sujet sont plus nombreux.

          Par ailleurs, en lisant mon article, on constate que je ne critique pas tant l’application que la loi elle-même. C’est bien l’essence des nouvelles normes sur le don de sperme qui sont complètement faussées.

          Quant à ma citation, ne vous en déplaise, elle est tout à fait claire et non trompeuse. Elle s’applique à l’ensemble des rapports parents-enfant, comme c’est le cas dans mon article

          1. En ce qui concerne cette jurisprudence, plutôt que de débattre sans fin de sa portée, je me permets de donner l’avis du Conseil fédéral à ce sujet :

            ” Le Tribunal fédéral renvoie, dans sa jurisprudence, à l’idée maîtresse de l’article 3 de la CDE, et de l’article 11 alinéa 1 de la Constitution, selon laquelle l’intérêt de l’enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions qui le concernent (ATF 143 I 21 consid. 5.5.2). Il faut noter à titre complémentaire que les termes “bien de l’enfant” et “intérêt de l’enfant” sont utilisés comme synonymes dans la jurisprudence du Tribunal fédéral. Le bien de l’enfant doit, partant, être considéré chaque fois qu’une décision est prise et ce, compte tenu de la situation et de l’enfant concerné par la décision. C’est ainsi que le Tribunal fédéral s’exprime dans sa jurisprudence sur le droit de la famille: “Le bien de l’enfant constitue la maxime suprême du droit de l’enfant […]; il est donc toujours le facteur décisif dans la réglementation des relations parents-enfant, tandis que les intérêts et les souhaits des parents passent au second plan” (ATF 142 III 612 consid. 4.2, extrait traduit de l’original en langue allemande).”

            Je pense que l’on peut difficilement m’accuser d’utiliser cette jurisprudence dans un mauvais sens.

            Qu’importe, au final : mon article dans son entier vise à prioriser l’intérêt des enfants sur celui des parents – d’où le choix du titre par exemple

          2. On tourne en rond… Vous me répondez sur la première partie de votre citation, alors que je critique le côté tronqué de sa fin.

            Je dis qu’une chose: “les intérêts et les souhaits des parents passent au second plan” ne s’applique qu’au droit de garde.

            Or vous faites comme si le tf l’appliquerait pour la pma/gpa. Ce qui est donc faux.

            Et, si je me trompe, il vous sera facile de me montrer un seul autre arrêt qui appliquerait la fin de votre citation à une autre situation que le droit de garde… Être péremptoire ne suffit pas; prouvez-moi votre hypothèse.

            C’est par ailleurs ce que je déteste chez les étudiants en droit. Ils prennent un bout de citation d’un arrêt, puis le colle dans un tout autre contexte… le droit demande rigueur et précision; pas des raisonnements par analogie ou des extrappollations. Nous ne sommes pas en sociologie 😉

          3. Vous avez raison, on tourne en rond. Car que vous le vouliez ou non, si le “bien de l’enfant” est la maxime suprême, il va de soi que les “intérêts des parents” soient secondaires. Tout le reste n’est que discussion vide de sens. Je vais ainsi citer une autre jurisprudence qui va dans le même sens:
            “Mit Art. 11 BV geniesst das Kindeswohl Verfassungsrang, und es gilt in der Schweiz als oberste Maxime des Kindesrechts in einem umfassenden Sinne (BGE 132 III 359 E. 4.2.2 S. 373; BGE 129 III 250 E. 3.4.2 S. 255); damit werden die mit der KRK garantierten Rechte verankert (BGE 126 II 377 E. 5d S. 391).”

            Je trouve par ailleurs particulier de critiquer mon prétendu ton “péremptoire” avant de critiquer les “étudiants en droit” et d’enseigner la distinction entre droit et sociologie. Pourquoi parler d’étudiants en droit ? Si vous ne l’êtes pas, il n’y en a point ici. Le reste de votre paragraphe n’est qu’une tentative douteuse d’amener un argument d’autorité. Admettez que c’est peu pertinent en l’occurrence.

  2. Bravo à M.Ziehli pour son article et ses répliques à son interlocutrice. Il reste à espérer que les cantons refuseront cette loi scélérate; car j’ai bien peur qu’elle passe devant le peuple dont la majorité urbaine est faite de bobos irresponsables.

  3. De guerre lasse le parlement a voté enfin cette loi pour que les militants LGBTQIR+ (j’espère que cet acronyme est correct) arrêtent de nous casser les pieds. L’enjeu pour les politiques est de se montrer en phase avec la société, dite moderne, et afin que leurs homologues de l’UE ne les taquinent avec la mélodie que nous sommes le dernier pays à empêcher ceci et cela. Pour le peuple la tendance est de dire “oui” afin d’augmenter les possibilités et de ne pas priver les quelqu’un.es de faire à leur tête. Le droit de l’enfant n’existe pas car il n’est pas représenté. Il y a plus parmi nos concitoyens qui pensent à Exit vers la fin qu’à avoir plus d’enfants. Je pensais à tort que le sort va nous épargner le drame qui se construit par cette loi, mais la tendance est forte en faveur du démantèlement du rempart, qui est cette institution du mariage ! Une fois que cette loi est définitivement en force ces gens risquent de réclamer la fin de l’enfantement naturel et que tous les nouveaux nés soient produits par une GPA par souci égalitaires !

  4. Ce n’est pas parce que votre constitution identitaire s’est manifestement faite uniquement (selon vos dires) grâce une présence paternelle que vous pouvez universaliser ainsi votre expérience.
    Ce qu’il faudrait tout d’abord, avant de s’essayer à écrire un commentaire de blog tel que le votre, c’est d’interroger les principaux concernés, c’est-à-dire les enfants de couples homosexuels. Or, ceux-ci ne se disent pas dérangés pas leurs parents de mêmes sexes. Ils commencent éventuellement à le devenir lorsqu’ils réalisent que ce n’est pas considérés comme normal par les autres. Ce n’est donc qu’une construction sociale, qu’il s’agit de déconstruire, notamment à un niveau légal.
    Pour plus d’informations, je ne peux que vous renvoyer à toute la littérature scientifique est qu’il existe sur le sujet.

    1. Je vous remercie pour votre commentaire, bien que vous n’ayez visiblement pas lu mon article.

      Premièrement, vous prétendez que mon identité n’a été constituée que par ma présence paternelle. D’où sortez-vous cela ? C’est infondé et faux .

      Deuxièmement, votre tendance au présupposé atteint un niveau extrême. En disant que les “enfants de couples homosexuels” ne se disent pas “dérangés par leurs parents de même sexe” et que les soucis viennent des constructions sociales, vous faites un joli raccourci qu’aucun sociologue sérieux n’accepterait. (idem avec votre dernière phrase plus hautaine que sérieuse).

      Troisièmement (but not least), vous démontrez encore une fois ne pas avoir lu l’article durant votre deuxième paragraphe. Vous parlez d’acceptation des enfants de couples homo pour leurs parents. Là n’est pas la question. Je ne dis pas que les enfants sont dérangés par le couple qui les élève. Je parle de l’interdiction d’avoir un père, instituée par la nouvelle loi.

      Bref, vous parlez à peu près du sujet, certes, mais pas de mon article. Dommage.

  5. @ Rebeca: L’on pouvait s’attendre à ce que l’un de vos contradicteurs nous lance cette triste histoire dans la figure, mais pas vous. Par votre exemple, vous confirmez qu’il serait préférable que les choses passent d’une façon naturelle, sans artifices juridiques dégu…. et sans luttes contre les voies naturelles qui ont fait le monde actuel dans lequel la majorité d’entre nous y vive !

    1. Non.
      Je suis une fan de la fécondation in vitro (pma).

      Je suis également une supportrice du droit à l’enfant, quand le couple s’aime et veut fonder une famille, et pas seulement des droits de l’enfant.

      J’ai des réticences importantes pour la gpa et les différentes théories du genre.

      Je trouve que je suis donc cohérente.

      Pour avoir un enfant, une lesbienne devait avant fréquenter des bars puis oublier ce qui s’était passé (y compris le nom du donneur). Maintenant, les donneurs sauront ce qu’ils font et l’enfant sera aimé par ses parents 1 et 2 (ou les services sociaux interviendront, comme pour n’importe quel couple).

      Nous manquons de bébés en Occident; je suis ravie que quelques bébés naissent en plus.

      1. “Nous manquons de bébés”, c’est vrai, vous avez touché le point le plus sensible, pourquoi? De mon point de vue parce que les dirigeants occidentaux de notre époque (post Reagan et Thatcher) sont en général des malhonnêtes, tordus, vendus, arrivistes, naïfs, etc. qui font du mal à leur concitoyens respectifs qui les élisent. Ils ont choisit pour nous une vie plutôt confortable à condition de ne pas enfanter, une vie sans perspective. Le peuple ordinaire a peur de son avenir et ne trouve pas d’arguments pour faire l’effort d’engendrer beaucoup d’enfant, car techniquement au bout de leur vie il ne va pas rester grand chose pour le passer aux générations suivantes. Sachez que le peuple dira oui au “mariage pour tous” sans réflexion stratégique puisque le mariage traditionnel demeurera. Les mentalités n’évoluent pas très rapidement mais la tendance est à octroyer plus de choix et à plus de liberté.

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