Quand on s’en remettra, on ira, oui, mais où ?

Il y a maintenant un an le souffle de la pandémie commençait à se faire sentir assez fortement chez nous. Le virus, cette chose qui ne peut être vivante qu’en s’installant dans la cellule d’un hôte, allait rapidement entamer notre quotidien. C’est peu dire, car plus que nos routines, ce sont les fondements démocratiques et économiques qui ont été touchés. Quand on fait le bilan, le phénomène d’inversion est impressionnant : des libéraux qui se retournent vers l’Etat, des démocrates qui plaident pour la mise entre parenthèse de droits élémentaires, des scientifiques qui ne savent pas vraiment, qui tâtonnent, qui hésitent, des charlatans dotés d’un vague talent oratoire et de connaissances très lacunaires qui jouent dangereusement aux professeurs, des autoritaristes qui deviennent les défenseurs de nos libertés. Campés sur l’axe de rotation de ce grand renversement, les gouvernants s’épuisent à prendre les décisions les moins mauvaises et à parer les attaques de ceux qui, bien souvent, n’auraient guère fait mieux à leur place. Corolaire de l’inversion, l’amplification de la cacophonie dans les débats, une seule chose est certaine : le virus, cette chose silencieuse et apolitique, nous aura fait parler plus fort mais pas de manière plus cohérente, à l’exception de cette période – presque bénie – du premier confinement où l’union de toutes et tous reposait finalement sur la croyance que tout ceci ne durerait pas.

Ça a duré, ça dure, et c’est pénible, parce que la menace est lourde à porter, les conséquences toujours plus graves mais aussi parce que, avec le temps, nos convictions s’érodent et qu’à un moment ou à un autre on a tous fait l’expérience – enfin, c’est une hypothèse, je parle un peu pour moi – d’une sorte de lâcher prise : se dire que l’on en fait tout de même un peu trop, que les vieux empêchent les jeunes de vivre, espérer que le virus disparaisse de lui-même, qu’il n’est pas si grave, qu’on y échappera ou qu’on en est déjà protégé parce que, sans le savoir, on l’aurait eu mais sans symptômes. Ce mélange d’abattement, d’espérance, de fausse naïveté dont on ne sait pas s’il est un tour de force contre les mesures sanitaires ou un moment de faiblesse, est en fait une absence de dogme face à un organisme qui n’en a pas non plus. On se reprend, parce que la gorge pique, que le COVID long est une réalité et qu’on a lu un tweet assez alarmiste et convaincant. On défend une chose, son contraire, puis on contredit sa propre contradiction.

Tout ceci cache notre impréparation face au changement, à l’imprévu, à l’incertain, face à des vulnérabilités que l’on fait mine de découvrir. On comble une attente. Deux pas en avant pour deux pas en arrière, vulnérabilité contre vulnérabilité, quand on se remettra à avancer on ira, oui, mais où ?

Yannis Papadaniel

Yannis Papadaniel est anthropologue, titulaire d'un doctorat obtenu à l'Université de Lausanne et à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris. Il est spécialiste de questions liées à la santé et à la médecine. (Photo: Olivier Maire) Il est responsable santé à la Fédération romande des consommateurs (les opinions exprimées ici ne l'engagent toutefois que lui)

5 réponses à “Quand on s’en remettra, on ira, oui, mais où ?

  1. Ce résumé est si bien dit ! Sera-t-il compris ? On va où ? Si justement ce virus est venu pour nous faire comprendre d’arrêter de courir en tous sens! Vite en week end, vite aux ateliers créatifs, vite en vacances……vite au travail car il faut bien payer toute cette consommation …. Vite vite …. Courir après la vie pour avoir l’illusion de la ” vivre pleinement ” aller où ? Nulle part ? Peut-être ? Prendre le temps de se poser devant sa porte, de discuter avec son voisin, ” la vie est courte !!!!ne soyons pas si pressé !!!” Vite vite vers la dépression amenée par cette frustration de ne pas avoir, de ne pas pouvoir. Le moment est peut-être propice pour pousser sur le bouton STOP est descendre du manège ? Qui sait ? On n’aura pas découvert tous les continents mais on sera , peut-être plus apaisé?

  2. Bravo et merci. Enfin une analyse qui prend un peu de hauteur par rapport à cette crise que les “faut tout fermer” suivi de “faut tout rouvrir”.

    Quelques idées pour compléter votre propos: ces 40 dernières années ont vu récompenser les valeurs d’individualisme et de compétition dans un darwinisme social mesuré par notre capacité à consommer plus que notre voisin alors que nos besoins de base étaient déjà largement satistaits.

    Cette société d’enfants gâtés semble toutefois bien moins bien armée pour faire face à ce type de crise et, paradoxalement, les pays qui ont preservé une vision plus collective de la société avec des valeurs de partage semblent s’en sortir mieux.

    C’est pour cela que les propositions qui envisagent de sacrifier (totalement car la mort n’est pas réversible) une partie de la population pour préserver une autre partie me semblent erronées. Il n’a aura pas d’autre solution que de faire tous certains sacrifices pour nous sauver tous.

    Les conséquences du virus sur la santé sont des paramètres sur lesquels nous pouvons difficilement agir à court terme (si ce n’est grâce aux progrès de la science). Les autres conséquences (financières et morales) ne sont que le fait de l’homme et donc affaire de partage, de solidarité, d’attitude et de valeurs. Cela s’appelle s’adapter et nous semblons le faire moins bien que le virus.

  3. bonjour;
    je ne suis pas d’accord avec cette phrase:
    Tout ceci cache notre impréparation face au changement, à l’imprévu, à l’incertain, face à des vulnérabilités que l’on fait mine de découvrir;
    je suis convaincu que seuls les décideurs ont failli, nous entraînant dans une crise aux effets dramatiques, ici en France assurément; je ne m’informe qu’auprès de quelques personnes, Pr Didier Raoult, à l’IHU de Marseille, Mme Alexandra Henrion Caude, et le Dr Louis Fouché à Marseille, qui expliquent et donc rassurent !
    https://www.mediterranee-infection.com/
    https://www.simplissima.org/articles
    http://www.reinfocovid.fr
    une interview: du Pr Raoult
    https://www.youtube.com/watch?v=Pop-blG2M0g&ab_channel=JRX24
    (cette interview montre bien l’ineptie, souvent, du discours “officiel” tout a fait décalé par rapport au discours scientifique, l’intervieweur n’écoutant pas, ou même ne comprenant rien à ce qu’il fait mine d’écouter, guettant une fin de phrase pour poser une question sinon stupide du moins sans intérêt par rapport au thème abordé)
    une interview d’Alexandra Henrion Caude:
    Alexandra Henrion Caude, Post Covid-19. Sommet pour la Paix de Stockholm, 19 décembre 2020
    202PARTAGERENREGISTRER
    https://www.youtube.com/watch?v=_xH616CUvrQ&ab_channel=s0p0a0c0e0
    les covid et autres stras courrent depuis longtemps et nous concernent tous; booster son système immunitaire est d’actualité;
    constater que seuls les pays “occidentaux” ont dramatiquement mal supporté cette épidémie, est consternant et nous invite à remettre en cause la crédibilité de nos gouvernants !
    merci pour votre article !

  4. Combien de fois j’entends dire qu’autrefois la vie était plus simple, qu’il était possible d’être heureux avec ce que nous avions. Ce sont les souvenirs courants des personnes de mon âge qui réussissent à bercer l’esprit des jeunes : la vie était plus facile. Elle ne l’était pas pour beaucoup de monde, la notion de « minimum suffisant » pour vivre n’était pas celle d’aujourd’hui, nous n’avons pas durant ces soixante dernières années évolué que vers « l’inutile » ou de « fausses valeurs » pour enfants gâtés, et je vois une forte différence entre les « gâtés » actuels et ceux d’hier : Le gâté d’hier s’ennuyait, travaillait peu ou pas du tout, se lassait vite de ce qu’il pouvait s’offrir. Celui que l’on dit gâté aujourd’hui profite de ce qu’il obtient en travaillant sans relâche, c’est du temps parfois « brûlé » tous les jours, dans une famille où le père et la mère ont perdu « le luxe » des modestes et des pauvres, mais aussi de l’ancienne catégorie financière moyenne : la maman et ses enfants à la maison, ensemble toute la journée (excusez-moi les féministes). Oui je regrette le passé de mon enfance et ma jeunesse, celui où jusqu’à l’âge de dix ans nous mangions des sardines Pilchard sur une table pliante dans le corridor, où ma « chambre » avait la dimension de mon lit entouré de jouets, derrière un paravent contre le lit de mes parents. J’avais le salon pour jouer au ballon, me fabriquer des maisons avec des cartons, donner du sucre à mes amies les fourmis, pendant que ma mère souriait devant sa merveilleuse machine à coudre Elna que j’avais un jour transformée en locomotive électrique, pendant que mon père sciait des cornières pour fabriquer six grands aquariums pour poissons heureux.

    Après mes dix ans nous avions déménagé dans un appartement bien plus grand, nous ne mangions plus des sardines ou de la charlotte aux tomates, je n’allais plus jouer au parc durant les vacances d’été ou d’hiver, mais sur les plages où des jeunes femmes en bikini riaient en montant à bord d’un Riva d’acajou et de chrome, avant que de grosses vagues recouvertes de mousse ne renversent ma bouée : « Oh c’est ce que j’aurai plus tard ! »

    Est-ce que je dérivais déjà vers ce qu’il y a de plus inutile et illusoire, pendant que mes copains dont les parents n’étaient pas devenus « dignes et riches » allaient nager et crier à la piscine Haldimand ? Non, je me réjouissais de les retrouver à mon retour pour faire toutes les bêtises possibles qui ne coûtent rien : Faire des accidents de trottinette, aller faucher des fruits dans les jardins de personnes âgées, ramener un bouquet de fleurs pour ma mère, et plus tard filer sur un scooter sans plaques sur la toute nouvelle autoroute, et plus fort et pire encore, tout ce qui faisait plaisir sans dépenser un sou.

    Aujourd’hui, cinquante-cinq ans plus tard, je n’ai pas trop changé. Je ne suis pas devenu riche comme mon père parce que sur ma tombe, personne n’aura l’idée de graver « le travail fut sa vie ». Mais je ne suis pas pour autant pauvre puisque j’ai une voiture comme un suisse sur deux, et que je vais à la Migros où je mange quand même de bonnes choses même si dans ce magasin « le franc devient de plus en plus petit ». Alors quel est mon luxe ? Qu’est-ce que pourrais m’offrir de stupide avec l’argent de mon héritage et ma retraite ? Pour savoir comment c’est d’être quelqu’un de gâté de nos jours ? J’ai essayé ! Je suis allé à Berlin, pour y passer trois jours, mais j’avais chaque fois envie de pleurer le jour du départ, et finalement j’ai réussi à dire adieu à cette fantastique ville après trois semaines : « Mais pourquoi est-ce que j’ai attendu d’avoir soixante-sept ans pour y aller ?.. » Parce que pour y aller encore jeune, ou pas déjà vieux, comme beaucoup de monde aujourd’hui, j’aurais dû travailler plus, rentrer le soir fatigué, et renoncer à tout ce qui est « perdre son temps ». Vous comprendrez ainsi que j’ai de la peine à penser que tous ceux et celles que je vois courir tous les jours, se faire du souci pour leur promotion, sont des enfants gâtés qui vont s’ennuyer à Berlin le week-end, ou se trompent en croyant que deux jours dans un magnifique hôtel avec SPA n’apportent rien de plus que de griller des cervelas entre amis dans notre belle campagne.

    « Quand on se remettra à avancer, on ira, oui, mais où ? »

    Le temps de l’enfance, de la jeunesse, et à l’âge adulte, file bien plus vite en 2021 que dans mes années de croissance et de maintien. Avant de prendre ma retraite je disais à mes collègues : « Mais… On dirait que le vendredi est un jour qui existe beaucoup plus souvent que les autres, pour vous aussi ?.. » Ils riaient et me disaient : « C’est parce que tu n’as pas le temps de voir passer, nous aussi on fait des sauts de semaine en semaine. On croit chaque fois que le week-end est immense, parce qu’en réalité il dure plus longtemps en plaisir, deux jours peuvent en contenir beaucoup ». Ils avaient raison, deux jours pour filer à Berlin, pour que toute la vie ne file pas comme du lundi au vendredi, pour ne pas penser un jour à l’EMS : « Maintenant que je n’avance presque plus, et que je sais où j’irai… J’aurais dû filer loin, partout où j’en avais envie, comme un fou ! »

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