Day of the Tentacle Remastered

Les jeux suisses à la « Game Developers Conference 2017 », troisième partie

La rédaction de l’article pour Le Temps consacré à la présence d’une sélection de jeux suisses à la Game Developers Conference (GDC) de San Francisco est terminée. Celui-ci paraîtra prochainement.

Place maintenant à l’avant-dernière partie (le mercredi) de ce journal de bord débuté ici et poursuivi ici.

 

Mercredi

C’est le jour de l’ouverture du salon d’exposition de la GDC. Celui-ci occupe deux parties : au nord, on trouve les délégations nationales et les indépendants. Il s’agit principalement de jeux en cours de développement ou sortis récemment. Ils sont pour la plupart jouables et les auteurs ne sont jamais loin.

Au sud, on retrouve les grosses boîtes et les très nombreux intermédiaires (game engines et autres applications utiles dans la création, propriétaires de plateformes, studios importants et toutes sortes d’acteurs et intermédiaires du jeu vidéo). Les jeux jouables sont là par contre très rares. Mais en cherchant bien, les goodies, eux, sont nombreux.

 

10h. #SwissGames

Le mercredi matin, les choses sérieuses débutent pour les créatrices et créateurs suisses présents [voir le communiqué de presse]. Un déjeuner est même organisé au milieu de l’espace occupé par la délégation : une technique au succès garanti pour capter l’attention des visiteurs de la halle.

 

 

La délégation doit compter 20 jeux et applications mais Dacuda, start-up suisse active dans les technologies de scanning, a annulé sa venue puisqu’une de ses divisions vient d’être achetée par Magic Leap, une start-up américaine active dans la réalité augmentée.

 

 

Dans cette halle où l’on joue, teste, s’amuse, découvre, fait des rencontres, les organisateurs ont décerné des prix nommés « Best in Play » à 8 jeux et « Best in Play – Honorable Mention » à 8 autres jeux. Ces prix mettent en évidence les œuvres qu’ils jugent les plus prometteuses.

Confirmation de la solidité de cette délégation, six jeux suisses ont été retenus.

 

 

… sans oublier Splash Blast Panic.

 

alt.ctrl et jeu vidéo patrimonial

On trouve également dans cette halle nord une sélection de jeux utilisant des contrôleurs alternatifs pour un résultat bien frappé, comme on peut le voir dans la vidéo ci-contre.

 

 

Un peu plus loin, on tombe sur un espace dédié à plusieurs fondations dont la mission est la sauvegarde du jeu vidéo. Celles-ci exposent d’anciennes machines et autres reliques du passé.

 

 

Pour terminer avec la halle nord, on y découvre aussi les stands de quelques universités et hautes écoles américaines proposant des formations dans le jeu vidéo, ainsi qu’un espace business.

Nous reviendrons dans d’autres billets sur les jeux suisses et le soutien de Pro Helvetia à ceux-ci car le mercredi je suis surtout allé voir des conférences.

 

11h. Breath of the Wild

Petit événement le mercredi matin, Hidemaro Fujibayashi (Game Director), Satoru Takizawa (Art Director) et Takuhiro Dohta (Technical Director) de Nintendo viennent donner un talk nommé « Change and Constant: Breaking Conventions with ‘The Legend of Zelda: Breath of the Wild ».

Il y est question de la genèse et de la réalisation de Breath of the Wild, le dernier épisode de la série The Legend of Zelda. C’est un petit événement car le talk avait été annoncé seulement un mois avant la conférence. Le jeu sortant deux jours plus tard, qu’est-ce qui a poussé Nintendo – pas forcément la boîte la plus encline à communiquer sur l’envers du décor – à venir faire une communication devant un partenaire de techniciens à un moment crucial pour la promotion de la Switch et du nouveau Zelda ?

 

 

La réponse se révèle à un moment de la présentation : Nintendo est venu pour séduire les développeurs.

Les slides sont magnifiques, bien pensées, tout est sous contrôle. Elles donnent beaucoup de détails sur un jeu qui n’est pas encore sorti et dont le succès pourrait décider à peu de choses près de la survie de Nintendo comme créateur de consoles. Le compte Twitter officiel de Nintendo of America se charge du live-tweet. Chaque intervenant possède son traducteur attitré sur scène, le public est bon enfant et rit à toutes les blagues. C’est un moment convivial et privilégié.

 

 

L’instant-clé se trouve à 52 min 30 environ dans la vidéo ci-dessus quand Takuhiro Dohta, directeur technique, évoque la consigne reçue en cours de développement de sortir le jeu non pas uniquement sur Wii U, mais également sur la Switch.

 

 

La présentation passe à ce moment-là en mode promo pour développeuses et développeurs et décrit comment le jeu a pu être porté sans difficultés, et d’ajouter qu’il pourrait facilement être porté sur PC ainsi que d’autres supports.

Il s’agit là clairement d’un appel du pied à la communauté pour l’inviter à porter ses jeux sur la Switch. À voir comment cela se traduira dans les mois à venir, puisque souvent Nintendo cherche à obtenir au passage une exclusivité sur sa console.

En tout cas, j’ai eu de nombreux échos de personnes approchées par Nintendo durant la GDC, un révélateur de l’importance d’être présent à San Francisco si l’on est intéressé à développer sur leurs plateformes.

 

 

14h. Le postmortem de Seaman

Un postmortem est une présentation où l’auteur d’un jeu fait le bilan du développement et de la distribution de celui-ci. Il passe en revue le processus créatif, la réalisation, la vente, la promotion en revenant sur ce qui a marché et n’a pas marché.

Depuis plusieurs années, la GDC pousse le concept un peu plus loin en invitant des auteur-e-s de jeux célèbres à venir faire des postmortems de nombreuses années après la sortie de leurs jeux. Il s’agit à chaque fois de jeux occupant une place importante dans l’histoire : l’aspect autocritique est donc moins important que dans un postmortem habituel. Il est souvent remplacé par des anecdotes originales et une certaine dose d’humour.

Ces postmortems de jeux classiques sont une mine d’or pour les chercheuses et chercheurs. On en trouve un certain nombre dans le GDC Vault – le « coffre » de la conférence – où l’on peut accéder à des captations vidéo des années précédentes.

Le premier des quatre postmortems organisés à la GDC 2017 était consacré à Seaman, un jeu de Sega pour la Dreamcast datant de 1999 où il s’agit d’interagir avec un poisson à tête humaine dans un aquarium.

 

 

Le talk est difficile à suivre et un peu confus. Néanmoins, il y a une certaine émotion à être dans la salle pour découvrir les secrets d’un des jeux les plus bizarres ayant jamais existé. Yoot Saito, auteur de Seaman, est une personne très sympathique et généreuse dans ses anecdotes, ce qui compense avec les petits soucis de la présentation [vidéo]. C’est aussi l’occasion de découvrir qu’il a percé dans l’industrie du jeu vidéo grâce à sa première œuvre, SimTower, un jeu sur lequel mon frère et moi avons passé tellement d’heures… En entendant cette révélation, j’étais ému simplement d’être dans la même pièce que ce monsieur..

 

Yoot Saito
Yoot Saito

 

15h30. Remastering ‘Day of the Tentacle‘ and ‘Grim Fandango

Les jeux d’aventure ont bercé l’enfance de très nombreuses personnes. Parmi les gens de ma génération, chacun a son favori et il s’agit le plus souvent d’un jeu LucasArts : Maniac Mansion, Zak McKracken, Indiana Jones, The Secret of Monkey Island, Monkey Island 2, Day of the Tentacle, Full Throttle, Sam & Max, Grim Fandango

Les jeux d’aventure ont quasiment disparu après la sortie de Grim Fandango, puis ont fait un retour remarqué avec la campagne participative réussie du studio Double Fine de Tim Schafer (3.34 millions de dollars obtenus pour un capital demandé de 400’000 dollars). Tim Schafer est l’auteur notamment de Day of the Tentacle et Full Throttle, deux jeux dont la qualité de leurs narrations m’ont marqué. Récits, dialogues et mise en scène inégalés : tout était génial.

Le jeu réalisé avec ce financement, Broken Age, mérite également l’attention. Sorti en 2014, il est très beau, contient de nombreux dialogues de qualité et une histoire intéressante. Il restera notamment dans l’histoire du jeu vidéo pour le documentaire en vingt épisodes décrivant toutes les étapes du développement du jeu – une promesse faite lors de la campagne de financement participatif.

Je l’ai regardé pendant mon séjour à San Francisco et je recommande.

 

 

Bref, le rachat de LucasArts par Disney a permis de remettre les droits de ces jeux sur le marché, et Tim Schafer s’est empressé de les acquérir afin de proposer des versions remastérisées de ses jeux : Grim Fandango en 2015, Day of the Tentacle en 2016, et Full Throttle annoncé pour 2017.

 

 

Voilà de quoi contextualiser le talk « Remastering Day of the Tentacle and Grim Fandango » qui était donné à 15h30 ce mercredi après-midi conjointement par Oliver Franzke, lead programmer chez Double Fine, pour parler de la nouvelle version de Day of the Tentacle et par Mark Cooke, CEO de Shiny Shoe, pour celle de Grim Fandango.

 

 

Les deux parties de la présentation m’ont beaucoup appris. En particulier, s’il y a eu un énorme travail sur le graphisme, il y a également eu la volonté de corriger les bugs du jeu, la plupart connus depuis sa sortie à une époque où le patch day one n’existait pas.

Je vais pouvoir citer de nombreux éléments de cette présentation dans un cours que je dois donner prochainement. Autant dire que je suis ravi d’y avoir assisté (et d’avoir pu entrer en contact avec l’un des deux auteurs).

 

 

Je recommande chaudement de visionner la présentation. Celle-ci est disponible en accès gratuit.

 

 

17h. The Oregon Trail postmortem

The Oregon Trail est un jeu éducatif mettant en scène une famille traversant les États-Unis d’est en ouest pour s’établir en Oregon. Il s’agit d’une page importante de l’histoire nord-américaine et ce jeu s’est imposé dans les années 1980 et 1990 aux États-Unis au point d’être présent sur tous les ordinateurs des écoles. Il est également célèbre pour une mort en particulier (parmi les nombreuses possibles) :

 

you-have-died-of-dysentery

 

La première version du jeu date de 1971. Il s’agissait à l’époque d’un projet de fin de formation pédagogique pour l’un des trois auteurs, les deux autres ayant opté pour des carrières dans l’informatique. Le jeu a connu de nombreuses mises à jour étalées dans le temps et s’est répandu avec énormément de succès avec les années. C’est cette histoire qui était racontée par Don Rawitsch.

À nouveau, il s’agit d’un document très fort, à haute valeur historique, tout en étant didactique et plein d’humour. La présentation est disponible ici.

 

18h30. Cérémonies de remise des prix

Cette longue journée, bien remplie, se terminait sur deux cérémonies d’awards : d’abord celle des jeux indépendants, puis celles des jeux tout court. Un jeu suisse était retenu dans la sélection des jeux d’étudiant lors de la première cérémonie, mais malheureusement ne remportait pas le prix.

 

 

Le show intégral est disponible ici. Sans surprise, Tim Schafer est parfait en maître de cérémonie, et je recommande en particulier son introduction à 38 min 20, qui résume de manière géniale la différence entre les deux cérémonies.

Les informations importantes à retenir :

  • Quadrilateral Cowboy remporte le Grand Prix du meilleur jeu indépendant.
  • Overwatch est élu meilleur jeu de l’année.
  • Tim Sweeney (Epic) reçoit le Lifetime Achievement Award des mains de… John Carmack!
  • Mark DeLoura, conseiller personnel de Barack Obama pour le numérique, reçoit le Ambassador Award.
  • Jordan Mechner (Karateka, Prince of Persia) reçoit le Pioneer Award.

 

 

What’s next?

Dans le prochain billet de blog, j’en finirai avec la GDC (jeudi, vendredi, samedi), puis je publierai des interviews récoltées à San Francisco ou ici, en particulier d’auteurs suisses.

Mon article de la GDC doit également paraître dans les semaines (jours ?) à venir !

 


 

L’image d’en-tête est extraite de l’introduction du jeu Day of the Tentacle en version remastérisée.

Yannick Rochat

Yannick Rochat est collaborateur scientifique et chargé de cours au Collège des Humanités de l’EPFL. Il est co-fondateur de l’UNIL Gamelab.