La paradigme du réseau mouvant

Dans un avenir proche, les réseaux cellulaires devront relever de principaux défis techniques et économiques, provenant du nombre croissant d’utilisateurs et d’un besoin de connexion au réseau grandissant, en particulier dans les environnements urbains. On estime que d’ici la fin 2020, le nombre de terminaux mobiles sera trois fois supérieur au nombre d’êtres humains, générant un trafic global de 2,3 Zettabyte !

Les deux tiers de ce trafic seront générés par des appareils sans fil, et environ la moitié du trafic sans fil  par des smartphones, soit un tiers du total. L’organisation 5G-Public Private Partnership (5G-PPP), établie par la Commission Européenne, partage ces visions extrêmes. Ces problèmes vont s’accentuer avec le passage à la 5G, en raison des exigences encore plus élevées en termes de capacité par utilisateur (jusqu’à 1 Gbit/s pour les utilisateurs de haut débit) et de qualité de service. L’autre défi majeur pour la 5G est représenté par le nombre toujours croissant d’utilisateurs desservis et par la densité nécessaire pour couvrir des environnements extrêmement fréquentés (un stade par exemple).

Une autre contribution importante à cette augmentation du trafic provient également du déploiement progressif des dispositifs de l’Internet des Objets (IoT en anglais) dans les environnements urbains, favorisé par la réalisation du concept de ville intelligente (Smart City). Le principe de ces villes intelligentes repose largement sur le déploiement généralisé d’un grand nombre de dispositifs de détection, de calcul et de communication.

La question de la densification des réseaux

Un moyen possible d’augmenter la capacité disponible dans les réseaux mobiles, tout en améliorant leur efficacité énergétique, est d’augmenter la densité des stations de base, diminuant ainsi la distance moyenne des utilisateurs et des appareils par rapport aux antennes. Cette densification du réseau est considérée comme l’une des approches les plus prometteuses pour permettre aux réseaux de faire face à l’explosion prévue du trafic de données mobiles dans les années à venir.

En raison des exigences strictes en matière de qualité de service, les densités de stations de base prévues dans les documents de vision 5G sont démesurées, jusqu’à plusieurs centaines par km2. Cela implique de gros investissements pour l’installation et l’exploitation des stations de base (il faut savoir que le coût d’installation d’une station de base urbaine est généralement de l’ordre de cent mille francs). D’autre part, une grande partie de ces coûts d’exploitation serait représentée par les coûts énergétiques. En conséquence, un tel déploiement de petites cellules entraînerait une explosion globale de la quantité d’énergie consommée par le réseau d’accès sans fil.

Ces inconvénients de la densification du réseau sont exacerbés par la pratique courante de sur-approvisionnement, c’est-à-dire que le réseau est dimensionné pour faire face au pire des cas, quitte à être sous-utilisé la majeure partie du temps. En effet, dans un scénario urbain, il a été démontré que le nombre d’utilisateurs mobiles et le niveau de trafic qu’ils génèrent présentent des variations spatiales et temporelles remarquables. Les utilisateurs se déplacent normalement de leur domicile à leur travail, ce qui fait que les quartiers d’affaires sont surchargés pendant les heures de travail. Durant cette période, les opérateurs de réseaux mobiles ont donc besoin de la capacité des nombreuses petites cellules pour assurer leur service. Mais le soir venu, la capacité nécessaire dans un quartier d’affaires devient beaucoup plus faible, et beaucoup des petites cellules installées deviennent alors redondantes. Le trafic généré par l’internet des objets devrait également suivre des schémas spatio-temporels similaires, car une grande partie des services seront plus actifs là où se trouve les utilisateur.

Afin d’obtenir le débit nécessaire pour répondre à l’augmentation prévue du trafic mobile, il sera nécessaire de disposer d’un grand nombre de petites cellules dans les quartiers d’affaires pendant les heures de travail, dans les quartiers résidentiels le soir, sur les trajets des pendulaires en début et fin de journée, ainsi qu’autour des stades et autres lieux de manifestations lors d’événements spéciaux (sans parler des places de la ville pendant les rassemblements de protestation, des portions d’autoroute en cas d’embouteillage, etc.). Une possibilité consiste à déployer une couverture suffisamment dense dans toutes les zones, en les activant et les désactivant selon les besoins. Une gestion dynamique du réseau peut permettre de réaliser des économies substantielles en termes de dépenses opérationnelles (OPEX), notamment en matière d’énergie. Cependant, elle ne permet pas d’atténuer le problème des énormes dépenses d’investissement (CAPEX) nécessaires au déploiement de zones 5G ultra denses, qui reste à ce jour l’un des principaux obstacles au passage à la 5G.

Un réseau sur roues (ou dans les airs)

L’un des moyens possibles de réduire cette contrainte serait de déplacer physiquement les antennes depuis les zones d’affaires vers les zones résidentielles et inversement, afin de disposer de la capacité suffisante où et quand cela est nécessaire. L’idée de déplacer les stations de base n’est pas nouvelle, elle est déjà exploitée dans plusieurs contextes. Par exemple, les opérateurs de réseaux mobiles emploient déjà un petit nombre de stations de base montées sur des camions (appelées “cellules sur roues”) pour assurer temporairement le service dans des zones où le service ne serait pas disponible autrement. Plusieurs propositions suggèrent que les drones pourraient être utilisés pour soutenir les communications dans les zones sinistrées ou pour fournir rapidement une connectivité dans les régions qui ne sont pas encore desservies par une infrastructure fixe.

Parmi les avantages d’un tel modèle de réseau mobile, on peut citer le fait qu’il peut être mis en œuvre avec des véhicules transportant des stations de base spécialisées, comme des voitures autonomes ou des drones. Ces véhicules peuvent donc être positionnés stratégiquement, afin d’optimiser l’infrastructure existante. En outre, des groupes de stations de base mobiles peuvent être utilisés pour fournir un service local dans des zones où l’infrastructure du réseau cellulaire n’est plus opérationnelle, par exemple à la suite d’une catastrophe naturelle ou autre incident.

Enfin, les stations de base mobiles peuvent prendre en charge efficacement les communications ne nécessitant pas une très haute qualité de service, par exemple celles qui sont utilisées pour le relevé des compteurs intelligents ainsi que les applications moins sensibles au temps de réponse.

Quel type de véhicules ?

En ce qui concerne le type de véhicules qui pourraient être de bons candidats pour transporter des stations de base, un rôle particulier pourrait être joué par les voitures électriques. En effet, la présence d’un stock important d’énergie dans la voiture permet le fonctionnement de la station de base également lorsque la voiture est garée et que le moteur est arrêté. Dans de tels scénarios, les opérateurs de covoiturage pourraient jouer un rôle similaire à celui des entreprises qui gèrent des sites et des tours de télécommunications, en fournissant leurs services aux opérateurs dans le cadre d’un accord “Small Cells as a Service” (SCaaS). En outre, comme dans le cas du réseau électrique intelligent (Smart Grid), où les panneaux solaires appartenant aux utilisateurs finaux produisent de l’électricité qui est mise à la disposition de tous, le déplacement des stations de base appartenant aux utilisateurs finaux pourrait stimuler l’émergence d’un nouveau type de consommateurs professionnels, en fournissant une capacité supplémentaire aux opérateurs pour le plus grand bénéfice de tous les utilisateurs du réseau.

Une autre déclinaison du paradigme du réseau mouvant, qui a récemment attiré une attention considérable, consiste à utiliser des véhicules aériens sans pilote (UAV), également appelés drones. L’intérêt de ces installations spécifiques découle des meilleures conditions de propagation des ondes par rapport aux installations terrestres. En effet, l’émission des ondes à quelques dizaines de mètres au-dessus des utilisateurs potentiels permet de diminuer le nombre d’obstacles et donc de rendre les communications plus efficaces. De plus, différentes techniques peuvent être mise en oeuvre afin d’optimiser la trajectoire des drones en fonction de diverses mesures de la qualité de service.

Tous ces travaux décrivent une architecture de réseau de haut niveau et examinent certains des problèmes techniques ouverts posés par l’intégration d’une infrastructure mobile dans une architecture de réseau statique classique.

Les premières investigations montrent que le paradigme du réseau mouvant peut avoir un impact potentiellement énorme sur les futurs réseaux mobiles. Ce type de réseau permet de réduire considérablement les redondances dans l’infrastructure déployée et d’augmenter son efficacité, en faisant en sorte que les ressources nécessaires suivent, dans l’espace et le temps, les utilisateurs et leurs besoins croissants de connectivité.

 

Cet article a été rédigé sur la base des travaux de recherche de mes collègues Gianluca Rizzo et Gaetano Manzo.

 

Yann Bocchi

Yann Bocchi est Professeur en informatique de gestion au sein de la HES-SO Valais-Wallis. Expert dans le domaine de l’Internet des Objets (IoT) et de la mobilité, il en fait ses thématiques de recherche principales depuis plus de 15 ans au sein de l’Institut Informatique de gestion à Sierre où il conduit également une unité en Digital Experience. Il est également responsable du Pòle Digitalisation de la HES-SO Valais-Wallis depuis le 1er janvier 2021.

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