Demain, qui conduira qui ?

Conduirez-vous votre voiture ou votre voiture vous conduira-t-elle ?

Les progrès liés au numérique impactent en profondeur le secteur automobile et offrent de nouvelles perspectives visant à désengorger le réseau routier et rendre la conduite plus agréables et sures.

Après la voiture électrique, les grands constructeurs automobiles s’attaquent à la voiture connectée. Inversement, de plus en plus d’acteurs issus du monde technologique s’intéressent au secteur automobile. Preuve en, est l’annonce de l’assouplissement des conditions d’accès au salon de l’Auto de Genève pour les entreprises high-tech.

Voiture intelligente : communicante, connectée et autonome

Une voiture intelligente dialogue, communique et échange avec son chauffeur, mais aussi avec les autres usagers du réseau routiers (voitures, camions, motos, …) ainsi qu’avec des services et éléments externes (maison, feux de signalisation, parking, péages, …). La collaboration entre constructeurs et acteurs technologiques ne date pas d’hier. En guise d’exemple, les premières voitures connectées ont été fabriquées par General Motors en collaboration avec Motorola Automotive lorsque la OnStar fut lancée 1996.

Une voiture connectée a aujourd’hui une puissance de calcul équivalente à celle de 20 ordinateurs, comporte environ 100 millions de lignes de code et génère et traite jusqu’à 25 Giga bytes de données par heure, soit l’équivalent de 7 films en haute définition.

Capteurs

Cette connectivité est rendue possible grâce à des capteurs digitaux qui ont fait leur apparition dans un monde qui était encore entièrement mécanique et tout juste électrique.

Pour faire un peu d’histoire, c’est par les systèmes d’allumage électronique et de freinage, à la fin des années 70, que l’évolution vers le numérique a commencé. Pour l’allumage, les capteurs fournissaient les données et le microprocesseur calculait alors le meilleur moment pour actionner les bougies, ce qui représente un progrès immense en termes de consommation et de performance. Pour le freinage, ce fut l’invention de l’ABS: les capteurs servant ici uniquement à observer si les roues se bloquent, le système de freinage ajustant ensuite la puissance afin d’éviter le blocage de ces dernières.

Depuis, bien d’autres perfectionnements se sont succédés, la plupart utilisant toujours des capteurs. Dans certaines voitures se trouvent plusieurs dizaines d’entre eux à la disposition d’un système de plus en plus perfectionné. Et, fait relativement nouveau, ils sont en contact permanent avec l’usine-mère et bientôt d’autres acteurs, comme les services de secours par exemple. C’est à partir de cette connexion permanente que la voiture toute entière est devenue un objet connecté.

Mise en réseau

Pour l’instant, nous avons l’impression que la voiture autonome cherche son chemin toute seule… Le grand progrès viendra lorsque tous les véhicules, autonomes ou non, se mettront à coopérer en réseau, avec la capacité d’informer les autres sur l’état de la circulation, les incidents ou accidents, l’état des routes, des obstacles imprévus mais également sur leurs intentions à l’approche d’un carrefour par exemple. Bref, lorsqu’une pleine coopération sera mise en place, nous accèderons à une situation en temps réel de la circulation routière.

Dans un tel contexte, l’échange d’informations entre des véhicules circulant à portée les uns des autres est très complexe : en effet, les points mobiles du réseau rendent la communication entre les véhicules instable et volatile. Il est donc primordial d’assurer un niveau de qualité élevé de ces transmissions entre véhicules. Une piste de réflexion consiste à développer une série de techniques de communication adaptative (appelée également ad-hoc ou opportunistique) pour répondre à ces défis de qualité du service en fonction des applications liées à ces réseaux de véhicules (VANet – Vehicular Area Network). C’est d’ailleurs le sujet d’un projet (1) sur lequel je travaille actuellement et qui s’intéresse tant à la communication entre les véhicules (V2V – Vehicle to Vehicle) qu’entre les véhicules et l’infrastructure routière (V2I – Vehicle to Infrastructure).

Ces communications se déroulent par le biais de différentes technologies (réseaux Wifi, Bluetooth, 5G) et visent à proposer des services qui avertissent du trafic, des collisions et d’autres alertes de sécurité.

Par exemple, par temps de brouillard, les capteurs combinés d’un ensemble de véhicules évoluant à proximité les uns des autres peuvent partager instantanément des informations sur un éventuel obstacle invisible pour l’œil humain.

Relevons encore la communication entre les infrastructures routières et les véhicules puisque les feux de signalisation communiquent également avec les véhicules. Le constructeur allemand Audi a par exemple développé une fonctionnalité permettant à leurs véhicules de communiquer avec plus de 1300 feux de circulation au Nevada, permettant ainsi une gestion intelligente du flux de véhicules et des prédictions sur les conditions de la route (création de bouchons).

Plus proches de nous et tout aussi intéressant, les navettes autonomes deployées dans la ville de Sion recoivent désormais des informations directement des feux tricolores pour les aider à mieux appréhender la complexité du trafic en ville.

Les constructeurs ainsi que les acteurs de la mobilité doivent dorénavant collaborer avec les acteurs du secteur logiciels, comme la start-up lausannoise BestMile qui développe un programme permettant de coordonner une flotte de véhicules avec ou sans pilote.

Repenser le système dans son ensemble

Au final, préparer l’arrivée des véhicules autonomes, c’est devoir tout repenser : la circulation, les modèles économiques, la fluidité du trafic, la sécurité (y compris celle des systèmes informatiques), le confort des passagers et autres usagers, leur rôle ou encore le lien avec l’usine-mère ainsi que les différents fournisseurs. Une nouvelle voiture va naître et avec elle, un autre imaginaire, un autre récit.

Reste encore une dernière question en suspens :

Comment le cinéma pourra-t-il intégrer le chauffeur qui ne fait rien dans un film d’action ? Mystère…

Yann Bocchi

 

 

(1) Projet CONTACT (Context and Content Aware Communications for QoS support in VANets) de la HES-SO Valais-Wallis

Merci à Xavier Comtesse pour les échanges à ce sujet et à Matthieu Delaloye pour sa contribution à la rédaction de cet article.

Photos : Robert De Niro dans Taxi driver (Columbia Pictures/Sony Pictures), Paul Newman (CC0 Creative Commons)

Yann Bocchi

Yann Bocchi est Professeur en informatique de gestion au sein de la HES-SO Valais-Wallis. Expert dans le domaine de l’Internet des Objets (IoT) et de la mobilité, il en fait ses thématiques de recherche principales depuis plus de 15 ans au sein de l’Institut Informatique de gestion à Sierre où il conduit également une unité en Digital Experience. Il est également responsable du Pòle Digitalisation de la HES-SO Valais-Wallis depuis le 1er janvier 2021.