Angle droit

Interruption volontaire de réflexion

Je suis pour ! Non ceci n’est pas une mauvaise reprise de Michel Sardou ou une critique du procès de Patrick Henri, promis ! Simple volonté d’ouvrir une réflexion quant aux turbulences actuelles suscitées par la question de l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (ci-après : IVG), dans le contexte de changements régnant Outre Atlantique.

Très brièvement, en Suisse, l’interruption de grossesse n’est pas punissable si elle est pratiquée sur demande écrite de la femme enceinte dans les douze semaines qui suivent les dernières règles et si une situation de détresse est invoquée. Le médecin doit au préalable avoir un entretien approfondi avec la femme enceinte et la conseiller. De plus, cette dernière se verra remettre une liste d’associations et d’organismes pouvant lui apporter une aide morale ou matérielle.  Dans tous les cas et à n’importe quel stade de la grossesse l’interruption de grossesse n’est pas punissable si un avis médical démontre qu’elle est nécessaire pour écarter le danger d’une atteinte grave à l’intégrité physique ou d’un état de détresse profonde de la femme enceinte. Le danger devra être d’autant plus grave que la grossesse est avancée. Les dispositions pénales actuellement en vigueur dans notre ordre juridique suisse sont ainsi formulées. Il est à relever que ces dispositions et leur contenu ne cessent, par différentes voies, de revenir dans le débat politique, notamment par la voie de motion au parlement ou de dépôt d’initiative populaire. Deux sont en cours de récoltes de signatures jusqu’en 2023 (cf. Accès au texte complet des initiatives “La nuit porte conseil” et “sauver les bébés viables”)

Aux Etats-Unis, en 1973, soit il y a bientôt 50 ans, dans l’arrêt Roe v. Wade la Cour suprême a estimé que la Constitution américaine protégeait le droit des femmes d’interrompre volontairement leur grossesse sous certaines conditions. Aujourd’hui, pas de bol, une fuite, une capote défaillante, et voilà l’actualité éclaboussée d’un projet de décision en cours de gestation.

En substance, il en ressort que la Cour suprême renoncerait à consacrer le droit à l’IVG comme l’expression du respect du droit à la vie privée garantie par le quatorzième amendement de la Constitution des Etats-Unis. Si ce projet de décision devient définitif, la gestion fédérale légale du droit à l’IVG serait abandonnée et cette compétence serait restituée aux différents Etats. De facto, cela signerait une disparition de ce droit dans la majeure partie des Etats-Unis, 13 des Etats disposant déjà de « Trigger laws » qui interdiraient automatiquement l’avortement si le revirement de jurisprudence « Roe v. Wade » devenait opérant. C’est un accident nous dira-t-on, mais la Cour suprême semble être bel et bien convaincue de mener ce projet à son terme. Brève mais réussie représentation pour les Juges concernés de leur badge de « coolitude » envers leurs copains conservateurs.

Résultat direct : une opinion publique outrée, scandalisée et de multiples mouvements de revendications prenant d’assaut l’espace public, avec comme cri de ralliement « mon corps mon choix ». Si tu es un homme ? Tu te tais, au risque en cas de position peu claire d’être qualifié de machiste, ou de « réac » conservateur. J’espère au moins que tu n’es pas blanc et quand même un peu écolo sinon là, c’est bon, tu peux te refaire des potes et déménager au Texas. «Mon corps mon choix», slogan féministe des années 70, deuxième vague centrée sur la liberté sexuelle repris pour justifier le droit inconditionnel à l’avortement, la totale liberté des femmes d’avoir les enfants qu’elles veulent.

Ce qui me frappe ce n’est pas que des citoyens américains manifestent pour ce droit auquel je suis entièrement favorable, mais la pauvreté des arguments. On est sommé de s’enthousiasmer sans trop réfléchir. Complaisance d’une paresse intellectuelle, manque de nuance, on est pour ou on est contre. Une pensée binaire, simpliste qui ne laisse aucune place au débat. Le droit à l’IVG est un progrès incontestable pour toutes les femmes, mais cela ne nous affranchit pas de toute réflexion. La question est profonde complexe, philosophique, sociétale, pour certains théologique, et elle va bien au-delà d’une fixette obsessionnelle du corps de la femme sur laquelle le débat se cristallise (croptop, voile, décolleté, épilation, maquillage pour n’en citer que quelques une). Dans la réflexion menée, il s’agit de définir et de se positionner sur le moment auquel un embryon devient un être humain et d’arbitrer entre le droit de disposer de son corps et le respect de la dignité d’un être à venir, sans oublier le droit de père. Ces questions sont profondes ! La réponse des grandes marques surfant sur cette vague, à l’image de GUCCI promettant à ses employés de rembourser leur frais d’avortement est émétique. Greenwashing, purposewashing, wokewashing, abortionwashing ? Quand va t’on cesser d’accepter cette lamentable récup marketing de toutes les questions de sociétés qui sont aujourd’hui constamment réduites à des arguments pour vendre tout et n’importe quoi. Bientôt une voiture hybride, des casseroles made in local auto-recyclables, ou encore un produit ménage au superpouvoir contre les mauvaises odeurs et le patriarcat.

Il n’est là pas question d’une liberté mais bien d’un droit.

Il faut peut-être réécouter Simone Veil, en 1974 lors de son discours pour faire décriminaliser l’avortement devant l’Assemblé nationale. L’esprit de cette démarche est à l’époque un pas gigantesque, Elle dit, « Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement » « c’est toujours un drame, cela restera toujours un drame ». Aujourd’hui les mentalités ont évolué et pour certaines femmes cet acte n’a plus rien de dramatique. C’est un fait qui est le résultat d’une évolution des mœurs et des valeurs de notre société et cela ne fait pas d’une femme un monstre. La place dans le débat des constats de cette évolution de mentalités découlant de la déchristianisation de nos populations est bien entendu à prendre en compte et cette réalité n’est pas même conscientisée par une grande partie de la population. A mon sens, une interdiction totale de recours à l’IVG n’est dans tous les cas pas acceptable et rejetterait des femmes dans l’opprobre, la honte, la solitude mais aussi dans l’anonymat de poursuites pénales, si elles choisissaient d’y recourir illégalement. Le droit à l’IVG est central dans nos identités respectives et nous concernent tous. Cette question mérite une réflexion plus approfondie qu’un slogan qui ressemble à une banderole publicitaire reflétant une époque consumériste et nombriliste « mon corps mon choix ».

Le débat doit pouvoir exister.

Le choix aujourd’hui doit être celui du débat, le choix de s’exprimer, le choix de converser, le choix de s’écouter et de se forger une opinion. A l’heure d’un libéralisme idéologique accru où tout doit être accepté, égal, entendu et reconnu, une fascisation de notre pensée n’est en tout cas pas une solution. Ce manque de connexion envers les autres, de capacités d’écoute et de discussion, nous formate à une dictature du politiquement correct.
«Mon corps, mes choix », oui mais cela n’enlève aucune nécessité d’ouvrir l’espace public à mener une réflexion sur l’essentialité de cet acquis sociétal pour les femmes et de manière plus générale pour la bonne interaction des genres. Sans débat, en vase clos, le projet des Juges de la haute Cour ne pourra qu’être confirmé. Faute de quoi une américaine enceinte en détresse pourra toujours, aux noms de ses droits constitutionnels, acquérir un fusil d’assaut pour se tirer une balle dans le crâne ou qui sait faire une descente au cœur d’une réunion de la Cour suprême.

 

*Illustration réalisée par, Marie-Morgane Adatte, Illustratrice/graphiste à Neuchâtel, Marimo Adatte

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