« Say on Climate » : un nouveau droit pour les actionnaires ?

Les investisseurs institutionnels, comme les caisses de pension, ont un devoir fiduciaire de tenir compte des risques climatiques dans la construction et la gestion de leur portefeuille. Ils attendent dès lors que le changement climatique fasse partie intégrante de la gouvernance et la stratégie des entreprises dont ils sont actionnaires. C’est à ce titre que certains actionnaires exigent désormais que les sociétés préparent des rapports d’alignement climatique et que ces rapports soient soumis au vote de l’assemblée générale.

 La signature de l’Accord de Paris en 2015 a été un accélérateur important dans le développement de la finance durable, notamment au niveau de la prise en compte du changement climatique par les investisseurs institutionnels. L’accord demande en effet aux pays signataires de s’assurer que les flux de capitaux permettent de financer la transition économique nécessaire pour limiter le réchauffement climatique à 1.5°C par rapport à l’ère préindustrielle. Les investisseurs institutionnels doivent donc désormais tenir compte des risques et opportunités du changement climatique dans la gestion de leurs portefeuilles. Les investisseurs peuvent investir directement dans la transition énergétique, mais ils peuvent également agir au niveau des entreprises. En tant qu’actionnaires, ils ont en effet un rôle prépondérant pour inciter les sociétés à prendre des mesures et réorienter leurs investissements (CAPEX) pour réduire leurs émissions de CO2.

Des risques multiples pour les entreprises et leurs actionnaires

Depuis l’Accord de Paris, les mesures législatives se multiplient pour limiter le réchauffement climatique, ce qui implique un risque de transition toujours plus marqué pour les entreprises. La hausse des prix du CO2, la demande accrue de transparence, les mesures d’incitation pour de nouvelles formes d’énergie ou de mobilité font partie des mesures mises en place qui auront un impact durable sur les modèles d’affaires des entreprises.

Le plan d’action de l’Union européenne pour la finance durable prévoit également des directives demandant plus de transparence de la part des investisseurs. Le Financial Stability Board, reconnaissant que le changement climatique constitue un risque majeur pour la stabilité des marchés financiers, a quant à lui mis en place un groupe de travail – la « Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) » – qui a publié en 2017 ses recommandations pour améliorer la transparence autour des risques et des opportunités liés au changement climatique par les entreprises et les investisseurs.

Les initiatives d’investisseurs se multiplient également. La plus importante est aujourd’hui l’initiative « Climate Action 100+ » qui vise à demander aux 160 entreprises les plus fortement émettrices de gaz à effet de serre de se fixer des objectifs de réduction des émissions de CO2 compatibles avec une limitation du réchauffement à 1.5°C et d’adopter les recommandations du TCFD en matière de transparence. Lancée en 2017, cette initiative regroupe plus de 550 investisseurs de par le monde représentant plus de USD 50’000 milliards d’actifs, soit près de la moitié de la capitalisation boursière mondiale. Ces 550 investisseurs se sont fixés un délai de 5 ans pour convaincre les entreprises de prendre des mesures concrètes. Au terme de ces 5 ans, soit fin 2022, il conviendra de tirer un bilan de cette action. Si certaines sociétés ne font pas les progrès escomptés, il y aura une pression accrue des investisseurs avec notamment un risque de désinvestissement.

 « Say on Climate »

C’est dans ce contexte de pression accrue que des investisseurs institutionnels demandent désormais aux entreprises de soumettre au vote de l’assemblée générale (AG) leur plan d’alignement climatique (« Say on Climate »). L’idée est simple : comme pour le vote annuel sur le rapport de rémunération des instances dirigeantes des sociétés cotées (« Say on Pay »), les investisseurs attendent des entreprises qu’elles préparent un rapport annuel sur les progrès de l’entreprise et les mesures mises en place pour réduire les émissions de CO2 et qu’elles permettent aux actionnaires de voter annuellement sur ce rapport. Ce vote n’étant juridiquement pas encore de la compétence des actionnaires, il convient qu’il soit dans un premier temps consultatif.

La volonté des actionnaires de pouvoir se prononcer lors de l’AG sur le rapport climatique s’explique par la pression qu’ils subissent pour gérer ces risques dans leur portefeuille. Si certaines entreprises se sont déjà engagées à parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050 (net zero), la grande majorité n’a pas encore mis en place de tel objectifs et encore moins décidé de mesures pour réduire ses émissions. Au 2 février 2021, la Science Based Targets Initiative a approuvé les objectifs de 393 entreprises au niveau mondial comme étant compatibles avec un réchauffement à 1.5°. Parmi elles se trouvent seulement 9 sociétés suisses cotées sur les 215 sociétés appartenant au Swiss Performance Index (SPI).

Le « Say on Climate » vise à permettre aux actionnaires d’augmenter la pression sur les entreprises qui tardent à tenir compte du changement climatique et à se fixer des objectifs de réduction ambitieux. Pour les sociétés qui se sont déjà fixées de tels objectifs, le vote doit permettre aux actionnaires de s’exprimer non seulement sur la pertinence de la stratégie climatique, mais également sur son efficacité (avec notamment la mise en place d’objectifs intermédiaires de réduction des émissions).

La société des aéroports espagnols Aena est un bon exemple. En 2020, elle a été visée par une résolution d’actionnaires du fonds TCI Investment Fund lui demandant de soumettre au vote de l’AG son rapport climatique. Au vu du fort soutien des actionnaires, le conseil d’administration a décidé d’appuyer la proposition. La modification des statuts donnant cette compétence aux actionnaires a été soutenue par 98% de l’assemblée générale. Depuis, les discussions entre les conseils d’administration des sociétés cotées et leurs actionnaires se sont multipliées. Moody’s et Unilever ont déjà accepté de soumettre un rapport climatique au vote de leurs assemblées générales. Des discussions sont en cours avec plusieurs autres sociétés.

Les actionnaires voient dans le « Say on Climate » un moyen efficace pour :

  • Demander au conseil d’administration des comptes sur les progrès en matière de réduction des émissions de CO2.
  • Mettre en place une gouvernance très claire sur la gestion des risques climatiques.
  • Permettre aux investisseurs institutionnels de remplir leur devoir fiduciaire d’agir pour réduire les émissions de leur portefeuille et gérer le risque climatique.
  • Améliorer la transparence des sociétés en fournissant des informations pertinentes avant les assemblées générales annuelles.
  • Intensifier le dialogue entre les investisseurs et les conseils d’administration sur les questions climatiques.

Des effets indésirables ?

Certaines entreprises craignent que leurs actionnaires ne soient pas prêts à exercer un tel droit et s’estiment mieux placées pour décider des mesures à prendre. D’autres considèrent que les actionnaires devraient plutôt s’opposer à la réélection des membres du conseil d’administration en cas de désaccord avec la stratégie climatique et qu’un vote supplémentaire serait dès lors inutile.

Cette mesure est en effet possible, mais elle ne devrait être utilisée qu’en deuxième ressort ou si la stratégie climatique est clairement insuffisante. De plus, une opposition à la réélection d’un membre du conseil d’administration peut être motivée par de multiples raisons, ce qui rend difficile l’interprétation d’un mauvais résultat. Un vote direct sur le rapport climatique permettrait au contraire d’envoyer un message beaucoup plus limpide au conseil d’administration.

Certains observateurs craignent enfin que l’expérience du « Say on Pay », qui n’a pas réussi à réduire drastiquement les rémunérations des dirigeants, ne se répète avec le « Say on Climate ». Si les investisseurs ne sont pas assez critiques lors de l’assemblée générale, il serait alors possible, selon ces observateurs, que cela entraîne un statut quo.

Il convient ici de nuancer l’effet du « Say on Pay ». En effet, ce vote a permis de freiner fortement la hausse des rémunérations, notamment en Suisse, et a conduit à un meilleur contrôle des actionnaires, notamment concernant la transparence et la structure des rémunérations. Le vote sur les rémunérations a aussi permis d’intensifier le dialogue entre les sociétés et leurs actionnaires, ce qui sera probablement l’effet positif d’un « Say on Climate » pour la question du climat. Enfin, les critères pour approuver un rapport climatique seront plus objectifs que dans le cas des rémunérations où la sensibilité des actionnaires, y compris sur le montant d’une « juste » rémunération, reste très diverse.

Par ailleurs, lorsque la Fondation Ethos a publié ses nouvelles lignes directrices de vote pour la saison 2021 des assemblées générales en décembre 2020, elle y a inclus les critères qui lui permettront de recommander d’approuver – ou de refuser – des rapports de transition climatique qui seraient soumis au vote des actionnaires dès cette année.

Situation en Suisse

En Suisse, l’adoption du contre-projet à l’initiative pour des multinationales responsables prévoit que les sociétés cotées devront mettre en place un rapport de durabilité et le soumettre au vote de leurs actionnaires. Cependant, le contreprojet ne prévoit pas que les sociétés doivent soumettre leur rapport climatique spécifiquement à l’approbation de leurs actionnaires, encore moins des objectifs clairs et chiffrés en termes de réduction des émissions de CO2. Cette situation pourrait donc être insatisfaisante pour les actionnaires des plus gros émetteurs de CO2.

Le 11 décembre 2020, le Conseil fédéral a notamment appelé les entreprises suisses, tous secteurs économiques confondus, à mettre en œuvre les recommandations du TCFD dès à présent sur une base volontaire. Il a également indiqué qu’un projet serait élaboré afin de rendre celles-ci contraignantes. Les travaux, pour lesquels le secteur privé et les associations seront consultés, se dérouleront cette année.

Il est donc probable que la pression s’accentue également sur les sociétés suisses, et notamment sur Nestlé et LafargeHolcim dont les émissions directes et indirectes se montent à respectivement 110 et 140 millions de tonnes, soit des émissions combinées représentant deux tiers des émissions du SPI et plus de 6 fois les émissions annuelles de la Suisse en 2018 (46 millions de tonnes de CO2). Les deux sociétés reconnaissent les enjeux et se sont toutes les deux fixées des objectifs de neutralité carbone en 2050 ainsi que des objectifs de réduction pour 2030 compatibles avec une limitation du réchauffement à 1.5° et validés par la SBTi. Pour la Fondation Ethos, qui plaide pour l’introduction du « Say on Climate » en Suisse, ces plans ambitieux ne devraient pas empêcher les deux sociétés de proposer de tels votes de manière volontaire. En effet, les actionnaires doivent avoir un droit de regard sur la stratégie climatique des sociétés et les mesures prises chaque année pour atteindre ces objectifs.

Si les conseils d’administration devaient décider de ne pas proposer de tels votes, il est probable que les actionnaires décident de soumettre des résolutions lors des AG pour modifier les statuts des sociétés et donner cette compétence aux actionnaires. C’est ce qui s’est passé à l’AG 2020 de la société Aena où le fonds TCI de Chris Hohn avait déposé une résolution d’actionnaires (tout comme dans 7 autres sociétés dont Moody’s, Alphabet ou S&P).

Par ailleurs, la Fondation Ethos avait déposé une série de résolutions d’actionnaires en 2009 et 2010 pour demander l’introduction du vote consultatif sur le rapport de rémunération (« Say on Pay »). A l’époque, les sociétés visées par la résolution d’Ethos avaient finalement décidé de proposer le vote de manière volontaire ce qui avait permis à Ethos de retirer les résolutions.

Au vu des pressions importantes que subissent les investisseurs pour mieux gérer le changement climatique et la forte croissance de la finance durable aux cours des dernières années, une résolution d’actionnaires demandant un tel vote devrait rencontrer un certain succès lors de l’AG, comme l’a montré le cas Aena. Une raison de plus pour les sociétés d’agir sans plus attendre.

 

 

Investissements durables : Dialoguer ou désinvestir?

La problématique de la durabilité des investissements occupe toujours plus les institutions de prévoyance. La mobilisation croissante de la société civile sur la question du climat accélère la tendance et accentue la pression sur les investisseurs pour réorienter les flux de capitaux vers une économie faible en carbone. Si tout le monde s’accorde sur la finalité, le désinvestissement des énergies fossiles ne fait pas l’unanimité en Suisse et l’actionnariat actif est souvent privilégié.

Les dernières statistiques sur l’évolution des placements durables montrent que les investisseurs institutionnels se préoccupent toujours plus des problématiques environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) comme le montre l’étude 2018 de SSF sur la finance durable en Suisse. Le changement climatique est actuellement au cœur des débats étant donné les risques qu’il représente pour certaines sociétés et industries actives dans les énergies fossiles. Beaucoup d’investisseurs privilégient l’actionnariat actif au désinvestissement pour pousser les sociétés vers la transition énergétique.

Pression au niveau législatif

L’intégration des dimensions ESG devient un sujet politique important suite, notamment, à l’adoption de l’Accord de Paris. En plus de l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 2°C, l’Accord précise que les Etats doivent s’engager à rendre les flux financiers climato-compatibles. L’engagement des pays varie, mais certains ont déjà pris des mesures qui concernent directement les investisseurs. L’article 173 sur la transition énergétique en France ou le plan de mesures de l’Union européenne, demandent aux investisseurs de publier les procédures mises en place pour intégrer les risques environnementaux et sociaux dans leur processus d’investissement, ainsi que la manière dont ces risques sont évalués et adressés. Les régulations actuelles n’obligent pas le désinvestissement mais demandent aux investisseurs plus de transparence sur leur stratégie en matière de changement climatique.

A l’heure actuelle, la Suisse mise sur l’autorégulation. Dans son message sur la révision de la loi sur le CO2, le Conseil fédéral indique qu’il entend atteindre l’objectif de l’Accord de Paris par des mesures volontaires des acteurs des marchés financiers. Cette position du Conseil fédéral deviendra plus difficile à défendre à mesure que l’UE avance avec ses projets réglementaires comme le souligne un récent rapport du WWF et de PWC : “si la Suisse n’avance pas rapidement sur cette question, elle pourra être confrontée à des risques économiques et réputationnels importants.”

Les bases de l’exclusion

Au-delà du débat législatif, la mise en place d’une politique de placements durables passe forcément par une discussion au sein des institutions de prévoyance sur l’opportunité d’exclure certaines sociétés ou certains secteurs de l’univers d’investissement. Les exclusions sectorielles sont souvent assimilées à une prise de position éthique. Si les considérations éthiques peuvent être un élément central de l’exclusions de certains secteurs comme par exemple l’armement, les raisons d’exclure des sociétés ou des secteurs doivent également être considérées du point de vue du risque financier.

L’exclusion de certaines énergies fossiles est plutôt liée aux risques financiers à long terme que posent certaines entreprises du secteur. Par exemple, les évolutions législatives sur le climat et l’essor des énergies renouvelables ont eu un impact majeur sur le secteur du charbon (extraction ou énergie). L’indice dédié au charbon Stowe Global Coal Index (COAL) a ainsi eu un rendement inférieur de près de 170% comparé à l’indice MSCI World sur les 10 dernières années et de 57% sur 5 ans.

Fig 1 : Evolution de l’indice Stowe Global Coal Index (en bleu) par rapport au MSCI World (en vert)

Source : Bloomberg

L’actionnariat actif : de la gouvernance au changement climatique

De nombreux investisseurs institutionnels optent pourtant pour une stratégie d’actionnariat actif plutôt que l’exclusion des titres pour adresser les problématiques ESG, ce qui peut s’avérer efficace pour pousser les entreprises à améliorer leurs pratiques. L’exercice des droits de vote aux assemblées générales a permis de nombreux progrès en matière de gouvernance d’entreprise des sociétés cotées en Suisse au cours des dernières années comme par exemple sur l’augmentation de l’indépendance des conseils d’administration ou la disparition des chairman/CEO.

Fig 2 : Evolution de l’indépendance des conseils d’administration


Conseils d’administration dont l’indépendance dépasse 50% (100 plus grandes sociétés cotées suisses), source Ethos

Les dimensions environnementale et sociale sont des sujets peu abordés lors des assemblées générales. Pour adresser ces thématiques, les investisseurs optent toujours plus pour une stratégie de dialogue avec les sociétés détenues en portefeuille.

Au niveau international, plusieurs initiatives s’organisent actuellement pour mobiliser le capital des investisseurs afin d’influencer les entreprises en matière de changement climatique. Ces regroupements d’investisseurs permettent d’augmenter le levier d’influence auprès des sociétés engagées. L’initiative « Climate Action 100+ » est actuellement la plus importante dans le domaine. Lancée en 2018, elle regroupe plus de 340 investisseurs institutionnels représentant des actifs de USD 33’000 milliards. Cette initiative vise les 160 entreprises qui émettent le plus de gaz à effet de serre dans le monde en leur demandant de mettre en place des objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions et de fournir aux investisseurs des informations sur la résilience de leur modèle d’affaires au changement climatique. Des résultats concrets de cette initiative lancée il y a un peu plus d’un an sont déjà observés.

Par exemple, en réponse à la mobilisation des investisseurs, Shell a accepté de mettre en place des objectifs de réduction des gaz à effet de serre compatibles à une limitation du réchauffement à 2°, y compris dans le cadre de l’utilisation de ses produits, et de lier une partie de la rémunération variable de 150 managers à l’atteinte de ces objectifs. Glencore a également réagi positivement à l’engagement en annonçant son intention de ne plus investir dans le charbon et d’orienter ses investissements vers des matières premières nécessaires à la transition énergétique. Chez BP, deux résolutions d’actionnaires sur le climat ont été votées lors de l’assemblée générale du 21 mai 2019. Si le conseil d’administration recommande de refuser la résolution d’actionnaire du groupe « Follow This » demandant de fixer des objectifs de réduction précis et ambitieux, celui-ci recommande en revanche de soutenir la résolution du groupe d’investisseur autour de « Climate Action 100+ » qui demandent à la société de publier un rapport sur l’alignement de son modèle d’affaires avec l’Accord de Paris. Lors de l’assemblée générale, la résolution du groupe Climate Action 100+ a été soutenu par 99% des actionnaires alors que la résolution plus contraignantes du groupe Follow This a obtenu seulement 8% de soutien.

Au niveau de la société Exxon Mobil, le dialogue entre les actionnaires et le conseil d’administration est plus compliqué. Cela a conduit la caisse de pension de l’Etat de New York et la Church of England a déposé une résolution d’actionnaire demandant au conseil d’administration de mettre en place des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre alignés avec l’accord de Paris. Le conseil d’administration de Exxon a refusé d’entrer en matière et a demandé à la SEC d’invalider la proposition. Fin mars 2019, la SEC a accepté la demande de Exxon. La résolution d’actionnaires ne sera ainsi pas soumise au vote lors de l’assemblée générale du 29 mai 2019. Suite à cette “non-entrée” en matière du conseil sur la stratégie climatique de la société, certains actionnaires recommandent désormais de refuser la réélection de l’ensemble des membres du conseil d’administration de Exxon.

Engagement et exclusion comme mesures complémentaires

Si l’actionnariat actif peut dans certains cas amener d’excellents résultats, cette stratégie a ses limites concernant des sociétés dont une grande partie de l’activité est concentrée dans des secteurs problématiques comme par exemple l’armement, le charbon ou le tabac. L’exclusion d’un secteur n’est d’ailleurs pas incompatible avec le devoir fiduciaire d’un conseil de fondation d’une institution de prévoyance comme l’a récemment démontré un avis de droit de Niederer et Kraft. Au contraire, la Loi sur la Prévoyance Professionnelle demande de prévoir une répartition appropriée des risques dans l’administration de la fortune. Pour les secteurs qui présentent des risques financiers et extra-financiers à moyen et long terme, l’exclusion peut être considérée comme une gestion prudente du patrimoine de l’institution.

En revanche, dans le cas des sociétés dont les pratiques sont controversées ou pour celles où l’allocation du capital au profit de certaines activités n’est pas alignée à l’intérêt à long terme des investisseurs, une démarche d’actionnariat actif peut être efficace. Cependant, la politique d’engagement devrait prévoir des objectifs à atteindre dans des délais raisonnables. Si ces objectifs ne sont pas atteints dans ces délais, il faut envisager une intensification des mesures comme l’exercice des droits de vote, le dépôt ou le soutien à des résolutions d’actionnaires, voir l’exclusion du titre du portefeuille. Le cas d’Exxon est dans ce sens intéressant. Si les actionnaires continuent de ne pas être entendus sur le risque à long terme que représente le changement climatique sur la résilience du modèle d’affaire de la société, alors une gestion prudente du capital voudrait que cette société ne figure plus dans le portefeuille des institutions de prévoyance.

 

 

 

 

Investissement responsable : de la parole aux actes

C’est désormais devenu un rituel attendu par tout le microcosme financier : chaque début d’année, Larry Fink, chairman et CEO de BlackRock, prend la plume et s’adresse aux CEO des sociétés dans lesquelles le géant mondial de la gestion d’actifs – 6000 milliards de dollars d’actifs – est investi. Et pour faire la promotion de bonnes pratiques, que ce soit en matière de gouvernance ou de respect de l’environnement, seules à même de créer de la valeur sur le long terme. Cette année, BlackRock était particulièrement attendu, notamment après qu’une étude de l’association Climate 50/50 publiée en décembre 2018 ait montré l’écart important entre les paroles et les actes du plus grand gérant d’actif au monde. En effet, cette étude a analysé le comportement de vote des plus grands gérants d’actifs dans les sociétés américaines les plus émettrices de CO2. Cette analyse montre que BlackRock est un des gérant d’actifs les plus conservateur en la matière en ayant soutenu en 2018 seulement 23.1% des résolutions d’actionnaires qui concernent le climat et en soutenant plus de 98% des administrateurs de ces sociétés.

Extrait de l’étude Climate 50/50 sur le comportement de vote des plus grands gérants d’actifs

La fausse lettre qui fait plus parler d’elle que la vrai

Cette année, l’événement a été perturbé par la publication d’une fausse lettre de Larry Fink. Un « fake » si bien réalisé que même le Financial Times s’y est laissé prendre. L’association « Yes Men » qui a réalisé cette fausse lettre voulait sensibiliser l’opinion sur le rôle important que peuvent jouer les investisseurs pour combattre le réchauffement climatique. Le contenu de cette fausse lettre avait en effet de quoi faire l’effet d’une bombe ; non seulement (le faux) Larry Fink appelait les grandes sociétés à prendre leurs responsabilités et à agir contre le réchauffement climatique, mais il annonçait également un changement radical dans sa propre stratégie.

Premièrement, écrivait-il, BlackRock commencerait dès cette année à désinvestir des secteurs les plus polluants, à commencer par celui du charbon. Une première pour le leader mondial de la gestion indicielle et qui a toujours été réticent à recourir aux exclusions sectorielles. Deuxièmement, BlackRock n’hésiterait plus à s’opposer frontalement aux dirigeants de sociétés qui ne s’engageraient pas à mettre en œuvre une stratégie en ligne avec l’Accord de Paris sur le climat, et cela en recourant à l’arme ultime des actionnaires : le vote aux assemblées générales.

Cette annonce, si elle avait été véridique, aurait représenté une véritable révolution dans le monde de la finance. Car jusqu’à présent, BlackRock a toujours privilégié le dialogue au vote contestataire, au moins pour ce qui concerne les questions liées à l’environnement. Cependant, la lettre 2019 de Larry Fink – la vraie – ne contenait aucune annonce de la sorte. Elle ne faisait même pas allusion au réchauffement climatique ni aux risques que celui-ci fait peser sur l’économie mondiale.

Des investisseurs se mobilisent pour demander à BlackRock d’en faire plus

Anticipant une telle désillusion, une douzaine d’organisations – dont la Fondation Ethos – avaient pris les devants et écrit leur propre lettre à Larry Fink. Publiée le 16 janvier 2019, elle appelle BlackRock à en faire davantage pour le climat, que ce soit en soutenant des résolutions d’actionnaires, en s’opposant à la (ré-)élection de membres de conseil d’administration ou d’auditeurs n’ayant aucune sensibilité environnementale, ou en appelant les grandes sociétés de ce monde à faire preuve de davantage de transparence en ce qui concerne leur politique environnementale.

En d’autres termes, les signataires invitent BlackRock à, enfin, allier la parole aux actes. Car aussi constructif qu’il puisse être, le dialogue avec les sociétés peut avoir certaines limites et ne suffit pas toujours à faire évoluer les pratiques. Dans un monde où l’autorégulation est bien souvent la norme, il appartient aux actionnaires de donner du poids à leurs arguments en faisant connaitre leurs désaccords, lorsque nécessaire, aux assemblées générales. Une stratégie d’intensification des mesure d’engagement actionnarial est nécessaire lorsque le dialogue discret ne suffit pas à faire évoluer les pratiques.

Les investisseurs se mobilisent pour lutter contre les changements climatiques

La Fondation Ethos et les membres de l’Ethos Engagement Pool International font partie des membres fondateurs de l’initiative « Climate Action 100+ ». Cette initiative composée de 225 investisseurs institutionnels enjoint les 100 entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre dans le monde à non seulement restreindre leurs émissions, mais également à divulguer davantage d’informations financières liées au climat et à améliorer leur gouvernance pour faire face aux risques climatiques.

Le changement climatique est désormais largement reconnu comme étant un risque majeur pour les investisseurs à long-terme. Pour préserver la valeur de leurs investissements, les investisseurs se regroupent aujourd’hui au sein de l’initiative « Climate Action 100 + » pour demander aux plus grands émetteurs de gaz à effet de serre de prendre des mesures urgentes pour limiter leur impact et freiner le réchauffement climatique.

Mettre en œuvre l’accord de Paris

Aujourd’hui, 197 pays ont signé (et 170 ont déjà ratifié) l’Accord de Paris, qui vise à maintenir le réchauffement climatique à 2 degrés par rapport à l’ère préindustrielle. La Fondation Ethos, les membres de l’Ethos Engagement Pool International et les autres signataires de l‘initiative « Climate Action 100+ » considèrent que maintenir un dialogue et collaborer avec les entreprises dans lesquelles ils investissent est non seulement compatible avec leurs devoirs d’actionnaire, mais également essentiel si l’on souhaite atteindre les buts fixés par l’Accord de Paris.

Les membres fondateurs de l’initiative « Climate Action 100+ » ont convenu d’un agenda commun pour dialoguer avec les sociétés. Les investisseurs qui soutiennent l’initiative demandent ainsi aux sociétés qui émettent le plus de gaz à effets de serre de :

1. Mettre en place un cadre de gouvernance fort qui définit clairement les responsabilités du conseil d’administration en matière de changement climatique et comment ce dernier doit prendre en compte les risques et les opportunités qui en résultent ;

2. Prendre des mesures afin de réduire les gaz à effets de serre tout au long de la chaîne de valeur. Ces mesures doivent être cohérentes avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique en dessous de 2 degrés par rapport à l’ère préindustrielle ;

3. Fournir davantage d’informations en lien avec les recommandations de la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) et, lorsque c’est possible, en lien avec les attentes des investisseurs dans le cadre de la Global Investor Coalition on Climate Change (GIC). Ces informations doivent permettre aux investisseurs d’apprécier la résilience des stratégies des sociétés en matière de réchauffement climatique. Cela suppose notamment d’évaluer différents scénarios en tenant compte par exemple, dans leurs plans financiers, de législations visant à contenir le réchauffement climatique en dessous de 2 degrés.