L’industrie fossile plus que jamais sous pression sur la question climatique

Cette dernière semaine du mois de mai a marqué un tournant pour l’industrie fossile plus que jamais sous pression dans le cadre de la lutte contre le changement climatique et ce, a quelques semaines d’un vote crucial en Suisse sur la révision de la loi sur le CO2 !

Tout a commencé mercredi 26 mai 2021 au Pays-Bas. Saisi par des ONG qui accusaient Shell de ne pas en faire assez pour lutter contre le changement climatique et aligner sa stratégie sur les objectifs de l’accord de Paris, un tribunal a condamné le géant pétrolier à réduire ses émissions de CO2 de 45% d’ici 2030 (par rapport à 2019). Du jamais vu. C’est la première fois que la justice était saisie pour ordonner à une entreprise d’émettre moins de gaz à effet de serre. S’il est probable que Shell fera appel et que ce jugement ne fera pas forcément office de jurisprudence au niveau international, il n’en reste pas moins un signal fort envoyé aux entreprises : si vous ne revoyez pas profondément vos politiques en matière de climat, vous pourriez vous aussi devoir faire face à des poursuites judiciaires similaires.

Intensification de l’engagement actionnarial

Le même jour, mais de l’autre côté de l’Atlantique, ce sont les deux majors américaines ExxonMobil et Chevron qui ont été confrontées à l’urgence de la question climatique. Mais cette fois-ci, c’est au mécontentement de leurs actionnaires qu’elles ont dû faire face.

La première, qui était encore la plus grande capitalisation des Etats-Unis en 2013 (USD 400 milliards) avant d’être éjectée du Dow Jones en 2020, a vu ses actionnaires élire deux nouveaux administrateurs lors de son assemblée générale annuelle (AG). Et cela contre l’avis même du conseil d’administration. C’est la première fois, là aussi, qu’un « proxy fight » se joue sur la question climatique. L’élection des deux nouveaux membres, qui sont des spécialistes des énergies renouvelables, a été défendue par une large coalition d’actionnaires qui considèrent qu’ExxonMobil n’a pas su s’adapter à la transition énergétique en cours et à un monde neutre en carbone. Elle vise à insuffler un nouveau souffle à l’entreprise pétrolière. Le changement imposé dans la composition du conseil d’administration montre que les actionnaires ont décidé d’augmenter la pression sur l’entreprise qui doit désormais opérer des changements profonds pour adapter sa stratégie à une économie faible en carbone.

Du côté de Chevron, qui tenait son AG 2021 le même jour qu’ExxonMobil, les actionnaires ont accepté avec 61% des voix une proposition d’actionnaires qui exige de l’entreprise qu’elle réduise les émissions de gaz à effet de serre liées à l’utilisation de ses produits (scope 3). Là encore, le conseil d’administration avait recommandé de voter contre ce point à l’ordre du jour.

Ces votes interviennent une semaine après que l’Agence internationale de l’énergie a effectué un virage à 180° sur la question climatique. Dans un rapport qui fera date, elle a en effet appelé l’industrie fossile à ne plus développer de nouveaux gisements pétroliers et gaziers dès à présent afin de garder une chance de pouvoir limiter le réchauffement climatique à +1.5° par rapport à l’ère préindustrielle.

Ils reflètent surtout une prise de conscience grandissante de la part des actionnaires quant au rôle qu’ils ont à jouer pour encourager les sociétés actives dans les énergies fossiles à changer de cap et ainsi permettre d’accélérer la transition vers les énergies renouvelables et une économie neutre en carbone. C’est engagement actionnarial vers plus de responsabilité fait partie de leur devoir fiduciaire qui vise à protéger les actifs des sociétés dont ils sont les copropriétaires des effets dévastateurs du changement climatique.

Lutter contre les “stranded assets”

Un consensus international croissant se dégage par ailleurs parmi les institutions financières sur le fait que les risques liés au climat sont une source de risque financier majeur à moyen et long terme et que, par conséquent, les entreprises de tous les secteurs confondus doivent oeuvrer sans plus attendre pour aligner leur modèle d’affaires à la réalisation de l’objectif de Paris. Les législations visant à lutter contre le réchauffement climatique mais également les nouvelles technologies et les risques physiques liés au changement climatique sont devenus des composantes essentielles de la gestion des risques des investisseurs. Un rapport publié ce lundi 31 mai 2021 par la Fondation Ethos montre à quel point le changement climatique représente également un risque pour les caisses de pension suisses et, par conséquent, pour les rentes futures de leurs assurés.

Les événements de ces dernières semaines démontrent aussi le pouvoir dont disposent les actionnaires – tout comme les tribunaux – pour faire pression sur les entreprises dont ils sont les copropriétaires. Les sociétés actives dans les énergies fossiles n’ont plus le choix aujourd’hui : elles doivent mettre en place des stratégies climatiques leur permettant de réduire leurs émissions de CO2 et d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.

Un grand oui à la révision de la loi sur le CO2

Cette prise de conscience internationale démontre qu’il est nécessaire d’agir à tous les niveaux, y compris au niveau législatif, pour créer des conditions cadres compatibles avec un réchauffement à 1.5°C. A ce titre, le vote sur la révision de la loi sur le CO2 du 13 juin 2021 est à mes yeux une étape indispensable pour créer des conditions favorables à une lutte contre le réchauffement climatique. Les émissions directes de la Suisse ne sont certes pas les plus importantes au niveau mondial, mais notre pays a une carte à jouer et une place de leader à prendre dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique.

Le fonds pour le climat prévu par la nouvelle loi permettra d’accélérer la transition vers une économie plus faible en carbone. Il permettra de financer des infrastructures respectueuses du climat, telles que des bornes de recharge pour les véhicules électriques et les trains de nuit, mais aussi de rénover des bâtiments vieillissants et de remplacer les systèmes de chauffage au mazout par des solutions renouvelables. La nouvelle loi incitera les sociétés à investir dans des mesures de protection du climat en les exonérant de la taxe sur le CO2. Ces mesures permettrons de créer des nouveaux emplois et favoriser la recherche et le développement de nouvelles solutions contribuant ainsi à la compétitivité internationale de la Suisse. Pour toutes ces raisons, je voterai “OUI” à la révision de la loi sur le CO2 le 13 juin 2021 !

Vincent Kaufmann

Vincent Kaufmann est directeur de la Fondation Ethos et de la société Ethos Services depuis juin 2015. Il a été membre de la direction d’Ethos Services depuis 2011, responsable en particulier de la gestion de fortune, et directeur adjoint depuis 2013. Il a rejoint Ethos en 2004 comme analyste corporate governance, puis successivement comme senior analyst et deputy head of corporate governance.