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No, No, No, Mrs May !

À 18h, Emmanuel Macron s’entretiendra à Paris avec Theresa May. Leur principale préoccupation sera certainement l’avenir du continent. Mais c’est plutôt vers le passé qu’ils devraient jeter un regard…

Nul doute que le locataire de l’Élysée accueillera poliment celle du 10 Downing Street. Par gentillesse, il s’abstiendra sans doute de parler d’élections législatives. Alors que la France semble avoir décidé de donner une large majorité parlementaire au parti du Président, le Royaume-Uni a refusé de faire la même faveur à la Première ministre. Deux résultats, il est vrai, influencés par un système électoral d’un autre temps, qui biaise les résultats au hasard du découpage territorial.

Theresa May vient avec un objectif simple : trouver, sinon un allié, du moins un partenaire avec qui négocier une sortie ordonnée de l’Union Européenne. Au centre des discussions, l’avenir des milliers de citoyens européens en Grande-Bretagne et des milliers de Britanniques expatriés dans le reste de l’UE et l’avenir des relations commerciales entre les deux économies. Sur ces deux points, la position du Royaume-Uni semble s’être assouplie après le scrutin de jeudi.

Mais un autre point crucial devrait également être évoqué : celui de la facture que l’UE souhaite présenter à son futur-ex-membre : potentiellement plus de 100 milliards d’euros. 38 ans après Margaret Thatcher, c’est à l’Europe de réclamer «I want my money back».

© University of Salford Press Office

Le souvenir de Margaret Thatcher sera certainement présent dans l’esprit de Theresa May. L’actuelle Première ministre est contestée dans son propre parti depuis son échec aux élections législatives, tout comme l’était la Dame de Fer en 1990, après la prise de mesures impopulaires. Et c’est bien au beau milieu d’un voyage à Paris, pour se rendre au sommet de Fontainebleau, que Margaret Thatcher a été débarquée de la tête du parti conservateur. En arrivant à l’Élysée, Theresa May espérera sans doute que l’histoire ne se répètera pas…

Mais les espoirs de la Première ministre ressemblent à des illusions. De l’avis de plusieurs négociateurs européens, «ce n’est pas comme si elle vivant sur la planète Mars, mais plutôt dans une autre galaxie bien éloignée». Vouloir concilier les promesses faites lors de la campagne du Brexit, profiter des avantages de l’UE et s’affranchir de ses conditions semble, en effet, bien irréaliste. Et là, c’est Emmanuel Macron qui endossera les habits de la Dame de Fer pour lui répéter simplement «Non. Non. Non.».

God save the trade : le vrai coût du Brexit

Theresa May traverse des temps difficiles. Alors que les discussions sur le Brexit viennent d’être entamées, le torchon brûle déjà entre Bruxelles et Londres sur la facture de 100 milliards d’euros que l’Union Européenne souhaiterait présenter au Royaume-Uni pour solder sa participation dans la construction commune – un montant qui a rapidement fait hurler les responsables britanniques. Et pourtant, en réalité, il importe peu…

La facture totale présentée à Theresa May devrait solder les engagements la part du Royaume-Uni dans les engagements pris par l’UE. Si le chiffre de 100 milliards d’euros a été régulièrement évoqué, la réalité – nette des recettes futures auxquels Londres renonce en sortant de l’UE – devrait plutôt avoisiner 60 milliards d’euros, selon les analyses du Financial Times et du think-tank Bruegel.Un montant, étalé sur une dizaine d’années, qui reste relativement modeste. En effet, les partisans de la sortie de l’Union Européenne affirmaient que leur pays économiserait 50 millions de livres Sterling par jour, soit presque 22 milliards d’euros par an. À ce rythme-là, le solde des comptes ne sera rapidement qu’une goutte d’eau face aux économies invoquées – d’autant plus dans un budget annuel britannique de plus de 900 milliards d’euros.

© Vote Leave

Le commerce…

Mais se concentrer sur cette facture serait une erreur. Le vrai coût du Brexit est ailleurs. En sortant des traités, le Royaume-Uni devra renégocier l’entier des accords qui le lient avec le continent – en particulier en matière de libre-échange. Chaque année, environ 170 milliards d’euros de produits et services sont exportés des îles britanniques en direction de l’UE. L’introduction de droits de douane à hauteur de 5% – soit, en moyenne, ce que Bruxelles impose à la Chine ou aux États-Unis – coûterait au commerce britannique huit milliards et demi d’euros par année. Bien plus cher, sur une décennie, que la facture que souhaite présenter la commission européenne.

…et les emplois

Plus encore, l’économie britannique pourrait être profondément ébranlée par un ralentissement du commerce avec le reste de l’Europe. Un exemple est symbolique : l’usine Vauxhall d’Ellesmere Port, depuis peu dans les mains de Peugeot suite au rachat de la marque Opel. Située à quelques kilomètres au sud de Liverpool, elle importe de l’UE trois quarts de ses composants. À l’inverse, 80% de ses 187’000 véhicules produits chaque année sont vendus sur le continent. La moindre tension sur les échanges commerciaux menacerait sérieusement l’avenir du site – et de ses 2’100 employés.

Ellesmere Port est loin d’être un cas isolé. L’industrie britannique s’est développée grâce à des décennies de libre-échange avec le continent. Un coup de frein brutal aurait inévitablement des retombées économiques désastreuses, tant financièrement qu’en termes d’emplois – un prix politique probablement bien plus douloureux que les livres Sterling.

© Peter Craine (Creative Commons)

Au final, Britanniques et Européens négocieront sans doute âprement la facture finale présentée au Royaume-Uni. Mais le vrai coût du Brexit, lui, serait celui d’un ralentissement des échanges commerciaux entre les futurs divorcés – et il est autrement plus élevé et plus terrifiant que quelques dizaines de milliards d’euros.