© Vincent Arlettaz

Alea Jacta Est

Après une campagne incertaine, le peuple a finalement clairement rejeté la réforme Prévoyance Vieillesse 2020. Quelles conclusion à tirer d’un scrutin historique ? Et, surtout, comment aller de l’avant ?

Une réforme du système des retraites est toujours une épreuve difficile. Car, si le vieillissement de la population est une réalité incontestable, en faire accepter les conséquences à chacun relève probablement d’un travail herculéen. Mais le vote de ce dimanche ne saurait se résumer à ces simples prolégomènes. Les résultats du jour montrent clairement que le peuple n’est pas hostile à toute idée de réforme ; il a simplement refusé cette réforme-ci.

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L’accouchement du projet Prévoyance Vieillesse 2020 fut déjà difficile – et recèle, probablement, la majeure partie du problème. Plutôt que de tenter de réaliser un véritable consensus au Parlement, la gauche et le centre ont choisi le forcing. La loi fut approuvée de justesse au Conseil national. Et, dès le lendemain, un voix pour, celle de Denis de la Reussille, avait déjà basculé dans le camp du non…

Dès le départ, le paquet proposé au peuple était donc problématique – pas tant en raison d’une mesure ou d’une autre en particulier, mais bien par le déséquilibre de l’ensemble. Non seulement l’avenir financier des retraites n’était pas durablement garanti, mais les inégalités criantes entre générations allaient clairement à l’encontre de la cohésion au sein de la population. Espérer que les «cadeaux» offerts à la génération de transition (45-65 ans) permettrait d’obtenir suffisamment de votes favorables était bien optimiste.

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Mais alors, quel avenir pour le système des retraites ? Car, aujourd’hui, tout le monde admet qu’une réforme est non seulement nécessaire, mais qu’elle devient également urgente. Pour être crédible, la future nouvelle réforme devra permettre d’assainir réellement le système des retraites – et notamment l’AVS – en faisant porter son poids de façon équitable entre les citoyens, plutôt que d’opposer les générations les unes aux autres.

En revanche, en ce dimanche, on ne peut que regretter le passage en force de la gauche et du centre. Des concessions de part et d’autre auraient permis d’aboutir à une réforme plus équilibrée. Au vu du résultat du scrutin, celle-ci aurait eu de sérieuses chances…

Ne sacrifions pas les jeunes générations !

Dans un entretien accordé au Temps, Alain Berset défendait la réforme «Prévoyance Vieillesse 2020» soumise au peuple le 24 septembre prochain. Ses propos étaient critiques face aux opposants à ce projet, et aux conséquences d’un refus dans les urnes. Une réponse apparaissait nécessaire…

Monsieur le Conseiller fédéral,

Vous vous êtes exprimé dans la presse pour porter une réforme de la prévoyance professionnelle soumise au vote des citoyens en septembre. Vous y avez notamment considéré que ce projet était raisonnable, malgré ses défauts, et qu’il était nécessaire de l’adopter.

Je ne souhaite pas y réagir parce que vous avez pu égratigner mon parti dans vos propos. Le combat politique est ainsi fait que ce sont des choses qui arrivent. Je souhaite y réagir, en tant que jeune, pour vous exprimer pourquoi – malgré l’estime et le respect sincères qui m’animent à votre égard – je glisserai un non dans l’urne le 24 septembre prochain.

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Pourquoi m’exprimer en tant que jeune ? Parce qu’hélas, cette réforme oppose les générations les unes aux autres.

En effet, pour compenser la nécessaire baisse du taux de conversion du 2ème pilier, le Parlement a décidé d’introduire une hausse de la rente AVS de 70 francs par mois – quand bien même le peuple suisse avait refusé dans les urnes, le principe d’une telle hausse proposé par l’initiative AVSplus.

Mais, comme on le voit, une large génération de futurs retraités bénéficieraient de cette hausse de l’AVS tout en voyant leur taux de conversion maintenu ! Et cette injustice, naturellement, a un coût…

(Résultat net pour un homme avec un salaire de 84’600 francs et une espérance de vie de 85 ans. Chiffres publiés par la NZZ et basés sur les calculs de l’OFAS.)

 

Comme le disait le grand économiste Vilfredo Pareto, «il est doux de prendre sa part d’un impôt qu’on ne paie pas». C’est hélas, ni plus ni moins, ce que propose la réforme que vous portez.

J’ai 30 ans ; ma génération perdrait 15’000 francs avec cette réforme. La génération de mes parents, elle, gagnerait 15’000 francs avec une réforme pourtant rendue nécessaire parce que nous n’arrivons déjà pas à garantir le financement des retraites qui leur sont promises.

Monsieur le Conseiller fédéral, vous évoquiez l’importance de garantir «une compensation en francs et en centimes». Ma génération peine à comprendre pourquoi cette compensation prend, pour elle, la forme d’une lourde facture.

CC0

Mais la différence ne s’arrête pas là. La génération de mes parents, c’est celle qui a connu les années de plus forte croissance économique de notre pays. C’est celle qu’on allait chercher à la sortie de sa formation pour lui proposer un emploi. C’est celle qui, lorsqu’elle signait un contrat de travail, était presqu’assurée de le garder jusqu’à la retraite.

Ma génération, c’est celle qui a connu la crise économique de 2007. C’est celle qui doit se battre pour trouver un emploi. C’est celle qui sait pertinemment qu’elle enchaînera divers employeurs durant sa carrière, en alternant avec de multiples périodes de chômage. C’est celle qui aura probablement le plus de difficultés à cotiser suffisamment, mais c’est aussi celle qui devra payer une nouvelle réforme, parce que même «Prévoyance Vieillesse 2020» ne suffirait pas à garantir ses retraites. Car ma génération, Monsieur le Conseiller fédéral, c’est aussi celle pour qui la promesse de toucher un jour une retraite apparait déjà bien incertaine.

CC0

Monsieur le Conseiller fédéral, ma génération est la première depuis bien longtemps qui peut craindre de vivre moins bien que la précédente. La réforme que vous portez, pour se financer, propose de la sacrifier.

C’est pour cela, parce que je veux que mon pays ait un avenir, et que celui-ci ne se construit pas en sacrifiant les jeunes générations, que je voterai non le 24 septembre prochain.