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Protectionnisme : tous perdants !

Jeudi passé, Donald Trump a annoncé l’introduction de nouveaux droits de douane sur l’acier et l’aluminium, renouant ainsi avec le discours protectionniste qui l’avait porté lors de la campagne électorale de 2016. Par réciprocité, l’Union européenne menace de réagir par l’introduction de ses propres droits de douane sur certains produits américains, notamment ceux provenant des régions favorables à Donald Trump. Une guerre commerciale est sur le point d’éclater, dont, pourtant, chacun des deux camps ressortirait perdant…

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L’introduction d’un tarif douanier à l’importation implique naturellement que ce produit devra être vendu plus cher – soit en raison du paiement de cette taxe pour les marchandises importées, soit du fait de la concurrence étrangère réduite pour les marchandises produites localement. De fait, le consommateur (direct ou indirect) est le premier perdant d’une telle décision.

En revanche, les producteurs nationaux de ce même produit, eux, voient leur concurrence se réduire. Ils peuvent donc espérer augmenter leur production – et, pour ce faire, engager de nouveaux travailleurs. Notons bien que, même dans ce modèle optimiste, ces créations d’emplois se font en partie aux frais des exportateurs étrangers, mais également, en partie, sur le dos des consommateurs du pays concerné. Le bilan initial est déjà en demi-teinte.

© Maerzbow

Mais, de fait, un telle décision protectionnisme amène, généralement, deux conséquences négatives qui dépassent largement l’hypothèse de gain.

Le commerce international fonctionne généralement dans les deux sens. Les pays dont les exportations pourraient être pénalisées vont généralement relativement rapidement menacer de prendre des mesures similaires sur ce qu’eux-mêmes importent en provenance du pays introduisant des tarifs douaniers.

Évidemment, dans le cas d’une telle guerre commerciale, les industries exportatrices des deux blocs concernés seront perdantes. Mais, plus encore, ces pertes seront quasi-nécessairement supérieures* aux éventuels gains que pourraient réaliser les entreprises nationales bénéficiant de ce sursaut protectionniste. Au final, de nombreux emplois sont donc détruits de part et d’autre.

Mais il existe une deuxième conséquence, hélas souvent négligée. La plupart du temps, les produits visés par les nouveaux tarifs douaniers sont nécessaires pour d’autres activités économiques. Dans le cas présent, l’acier et l’aluminium, visés par Donald Trump, sont utilisés aux États-Unis par l’industrie locale qui les importe. Or, l’imposition de droits de douane supplémentaires pénalise donc directement ces importateurs. Eux-mêmes, moins compétitifs, verront leurs ventes (domestiques et à l’exportation) diminuer, leurs marges se réduire et seront contraints de délocaliser ou fermer certaines de leurs usines, avec de nombreux emplois détruits à la clé.

© Alan Strakey

Dans le cadre de l’acier, cette conséquence a même déjà pu être observée. Et même, précisément, aux États-Unis ! En mars 2002, le président George W. Bush a décidé d’imposer des droits de douane supplémentaires sur l’importation de certains produits issus de la sidérurgie. Grâce à cette décision, environ 3’500 emplois ont pu être «protégés» au sein des producteurs américains d’acier. Mais, en parallèle, on estime qu’entre 12’000 et 43’000 emplois ont été supprimés aux États-Unis, chez les entreprises importatrices, en raison de ces nouvelles taxes et de la hausse de prix qui en résultait logiquement. Voilà le vrai bilan du protectionnisme !

Il ne faut donc pas se laisser bercer par le discours populiste de Donald Trump – et de ses admirateurs en Europe. Le retour au protectionnisme ne sauve pas les emplois ; il permet seulement de préserver, à très court-terme, les intérêts électoralistes de quelques-uns. Et, particulièrement dans une Europe autrefois ravagée par les guerres, il conviendrait de se rappeler la maxime de Frédérique Bastiat : «si les marchandises ne traversent pas les frontières, les soldats le feront»

 

 

* L’explication se trouve dans le concept d’«avantage comparatif» démontré par l’économiste David Ricardo en 1817, qui explique l’essentiel du commerce international.

God save the trade : le vrai coût du Brexit

Theresa May traverse des temps difficiles. Alors que les discussions sur le Brexit viennent d’être entamées, le torchon brûle déjà entre Bruxelles et Londres sur la facture de 100 milliards d’euros que l’Union Européenne souhaiterait présenter au Royaume-Uni pour solder sa participation dans la construction commune – un montant qui a rapidement fait hurler les responsables britanniques. Et pourtant, en réalité, il importe peu…

La facture totale présentée à Theresa May devrait solder les engagements la part du Royaume-Uni dans les engagements pris par l’UE. Si le chiffre de 100 milliards d’euros a été régulièrement évoqué, la réalité – nette des recettes futures auxquels Londres renonce en sortant de l’UE – devrait plutôt avoisiner 60 milliards d’euros, selon les analyses du Financial Times et du think-tank Bruegel.Un montant, étalé sur une dizaine d’années, qui reste relativement modeste. En effet, les partisans de la sortie de l’Union Européenne affirmaient que leur pays économiserait 50 millions de livres Sterling par jour, soit presque 22 milliards d’euros par an. À ce rythme-là, le solde des comptes ne sera rapidement qu’une goutte d’eau face aux économies invoquées – d’autant plus dans un budget annuel britannique de plus de 900 milliards d’euros.

© Vote Leave

Le commerce…

Mais se concentrer sur cette facture serait une erreur. Le vrai coût du Brexit est ailleurs. En sortant des traités, le Royaume-Uni devra renégocier l’entier des accords qui le lient avec le continent – en particulier en matière de libre-échange. Chaque année, environ 170 milliards d’euros de produits et services sont exportés des îles britanniques en direction de l’UE. L’introduction de droits de douane à hauteur de 5% – soit, en moyenne, ce que Bruxelles impose à la Chine ou aux États-Unis – coûterait au commerce britannique huit milliards et demi d’euros par année. Bien plus cher, sur une décennie, que la facture que souhaite présenter la commission européenne.

…et les emplois

Plus encore, l’économie britannique pourrait être profondément ébranlée par un ralentissement du commerce avec le reste de l’Europe. Un exemple est symbolique : l’usine Vauxhall d’Ellesmere Port, depuis peu dans les mains de Peugeot suite au rachat de la marque Opel. Située à quelques kilomètres au sud de Liverpool, elle importe de l’UE trois quarts de ses composants. À l’inverse, 80% de ses 187’000 véhicules produits chaque année sont vendus sur le continent. La moindre tension sur les échanges commerciaux menacerait sérieusement l’avenir du site – et de ses 2’100 employés.

Ellesmere Port est loin d’être un cas isolé. L’industrie britannique s’est développée grâce à des décennies de libre-échange avec le continent. Un coup de frein brutal aurait inévitablement des retombées économiques désastreuses, tant financièrement qu’en termes d’emplois – un prix politique probablement bien plus douloureux que les livres Sterling.

© Peter Craine (Creative Commons)

Au final, Britanniques et Européens négocieront sans doute âprement la facture finale présentée au Royaume-Uni. Mais le vrai coût du Brexit, lui, serait celui d’un ralentissement des échanges commerciaux entre les futurs divorcés – et il est autrement plus élevé et plus terrifiant que quelques dizaines de milliards d’euros.