© Arno Mikkor

Angela Merkel, ou comment transformer une défaite en victoire

Au soir des élections fédérales allemandes, le 24 septembre dernier, Angela Merkel paraissait défaite. Même si son parti demeurait le premier du pays dans les urnes, l’avenir de la chancelière semblait se boucher à grande vitesse. Un mois et demi après, pourtant, elle semble avoir donné à ses adversaires une leçon de politique – sans même qu’ils ne s’en aperçoivent…

CC0

Lorsque les premiers résultats tombent, la victoire annoncée d’Angela Merkel semble en demi-teinte. Son parti demeure certes le premier du pays, mais, avec seulement 33% des voix (avec son alliée bavaroise CSU), il réalise son pire résultat depuis 1949. Et pire encore, les deux alliés perdent 65 sièges au Bundestag – alors que celui-ci, paradoxalement, s’agrandit de 78 députés*. Désormais largement minoritaire, l’Union devra donc trouver des partenaires pour se maintenir au pouvoir.

Face à elle, le SPD, usé par cinq ans de coalition gouvernementale, est plus faible que jamais – à peine au-dessus de 20% des voix. Le parti annonce immédiatement qu’il refusera toute coalition pour se lancer dans une véritable politique d’opposition, espérant ainsi redresser la barre lors des élections suivantes.

© Markus Spiske CC-BY

À l’inverse, les eurosceptiques de l’AfD entrent triomphalement au Bundestag avec 94 sièges, marquant le retour de l’extrême-droite au Parlement d’un pays où ceci est loin d’être anodin. À peine moins nombreux, les libéraux du FDP retrouvent aussi le chemin de Berlin avec 80 sièges, après 5 ans d’absence.

Angela Merkel se retrouve donc débordée de toute part : à gauche, le SPD lui tourne le dos, à l’extrême-droite, l’AfD critique son manque de fermeté, tandis que sur le plan libéral, le FDP est là pour dénoncer le conservatisme de la chancelière.

Mathématiquement, après le refus du SPD, une seule possibilité s’offre à elle : tenter une coalition dite «Jamaïque» avec les Verts et les libéraux du FDP. Autrement dit, le mariage de la carpe et du lapin… Angela Merkel parait nettement affaiblie, et son départ, dans le but de satisfaire l’un ou l’autre de ses alliés est ouvertement évoqué.

 

CC0

 

Un mois et demi après, pourtant, la situation s’est, en réalité, inversée. Incapable de s’entendre sur un programme gouvernemental, les Verts et le FDP ont dû jeter l’éponge, perdant ainsi beaucoup de leur crédibilité à réellement diriger un jour l’Allemagne. Ceux qui auraient pu être des alliés difficiles semblent devenir des opposants finalement peu gênants.

Du côté du SPD, c’est exactement l’inverse qui semble se produire. Alors que le parti avait annoncé haut et fort sa décision de mener cinq ans de politique d’opposition, ses dirigeants se voient maintenant contraints d’ouvrir la porte à des négociations avec la CDU/CSU, dans le but de respecter le résultat du vote des Allemands, et éviter de nouvelles élections qui, sans doute, risqueraient de mener au même résultat. La véhémence de Martin Schulz pendant la campagne s’est effacée pour faire place à la conciliation. Ainsi, les socio-démocrates sont en passe de redevenir des alliés fidèles d’Angela Merkel, à peine capables d’influencer réellement sa politique, mais tenus à un silence consensuel.

Enfin, l’extrême-droite n’a pas eu besoin d’aide pour s’effriter. À peine 24 heures après avoir été élue députée, la co-présidente Frauke Petry claque la porte de son propre parti. Celui-ci se plonge alors dans une lutte de pouvoir interne, révélant aussi d’importante dissensions sur la ligne politique à mener.

CC0

En moins de deux mois, Angela Merkel a donc su retourner la situation à son avantage. Subtilement et presqu’imperceptiblement, elle a fait disparaître ses opposants les plus dangereux – lorsqu’ils ne se sont pas sabordés d’eux-mêmes. Sachant exploiter le temps à son avantage, elle renforce jour après jour son avenir à la tête du pays, laissant la pression populaire et médiatique forcer ses futurs partenaires à avaler n’importe quelle couleuvre. Loin d’être affaiblie, elle vient de donner une brillante leçon de politique à ses adversaires !

 

 

* En raison du mode d’élection un peu particulier du Parlement allemand, un mixte entre proportionnelle et majoritaire, le nombre de sièges n’est pas fixe. Lors des élections de 2017, il passe de 631 à 709, le plus au niveau de son histoire.

© Vincent Arlettaz

Alea Jacta Est

Après une campagne incertaine, le peuple a finalement clairement rejeté la réforme Prévoyance Vieillesse 2020. Quelles conclusion à tirer d’un scrutin historique ? Et, surtout, comment aller de l’avant ?

Une réforme du système des retraites est toujours une épreuve difficile. Car, si le vieillissement de la population est une réalité incontestable, en faire accepter les conséquences à chacun relève probablement d’un travail herculéen. Mais le vote de ce dimanche ne saurait se résumer à ces simples prolégomènes. Les résultats du jour montrent clairement que le peuple n’est pas hostile à toute idée de réforme ; il a simplement refusé cette réforme-ci.

CC0

L’accouchement du projet Prévoyance Vieillesse 2020 fut déjà difficile – et recèle, probablement, la majeure partie du problème. Plutôt que de tenter de réaliser un véritable consensus au Parlement, la gauche et le centre ont choisi le forcing. La loi fut approuvée de justesse au Conseil national. Et, dès le lendemain, un voix pour, celle de Denis de la Reussille, avait déjà basculé dans le camp du non…

Dès le départ, le paquet proposé au peuple était donc problématique – pas tant en raison d’une mesure ou d’une autre en particulier, mais bien par le déséquilibre de l’ensemble. Non seulement l’avenir financier des retraites n’était pas durablement garanti, mais les inégalités criantes entre générations allaient clairement à l’encontre de la cohésion au sein de la population. Espérer que les «cadeaux» offerts à la génération de transition (45-65 ans) permettrait d’obtenir suffisamment de votes favorables était bien optimiste.

CC0

Mais alors, quel avenir pour le système des retraites ? Car, aujourd’hui, tout le monde admet qu’une réforme est non seulement nécessaire, mais qu’elle devient également urgente. Pour être crédible, la future nouvelle réforme devra permettre d’assainir réellement le système des retraites – et notamment l’AVS – en faisant porter son poids de façon équitable entre les citoyens, plutôt que d’opposer les générations les unes aux autres.

En revanche, en ce dimanche, on ne peut que regretter le passage en force de la gauche et du centre. Des concessions de part et d’autre auraient permis d’aboutir à une réforme plus équilibrée. Au vu du résultat du scrutin, celle-ci aurait eu de sérieuses chances…

Ne sacrifions pas les jeunes générations !

Dans un entretien accordé au Temps, Alain Berset défendait la réforme «Prévoyance Vieillesse 2020» soumise au peuple le 24 septembre prochain. Ses propos étaient critiques face aux opposants à ce projet, et aux conséquences d’un refus dans les urnes. Une réponse apparaissait nécessaire…

Monsieur le Conseiller fédéral,

Vous vous êtes exprimé dans la presse pour porter une réforme de la prévoyance professionnelle soumise au vote des citoyens en septembre. Vous y avez notamment considéré que ce projet était raisonnable, malgré ses défauts, et qu’il était nécessaire de l’adopter.

Je ne souhaite pas y réagir parce que vous avez pu égratigner mon parti dans vos propos. Le combat politique est ainsi fait que ce sont des choses qui arrivent. Je souhaite y réagir, en tant que jeune, pour vous exprimer pourquoi – malgré l’estime et le respect sincères qui m’animent à votre égard – je glisserai un non dans l’urne le 24 septembre prochain.

CC0

Pourquoi m’exprimer en tant que jeune ? Parce qu’hélas, cette réforme oppose les générations les unes aux autres.

En effet, pour compenser la nécessaire baisse du taux de conversion du 2ème pilier, le Parlement a décidé d’introduire une hausse de la rente AVS de 70 francs par mois – quand bien même le peuple suisse avait refusé dans les urnes, le principe d’une telle hausse proposé par l’initiative AVSplus.

Mais, comme on le voit, une large génération de futurs retraités bénéficieraient de cette hausse de l’AVS tout en voyant leur taux de conversion maintenu ! Et cette injustice, naturellement, a un coût…

(Résultat net pour un homme avec un salaire de 84’600 francs et une espérance de vie de 85 ans. Chiffres publiés par la NZZ et basés sur les calculs de l’OFAS.)

 

Comme le disait le grand économiste Vilfredo Pareto, «il est doux de prendre sa part d’un impôt qu’on ne paie pas». C’est hélas, ni plus ni moins, ce que propose la réforme que vous portez.

J’ai 30 ans ; ma génération perdrait 15’000 francs avec cette réforme. La génération de mes parents, elle, gagnerait 15’000 francs avec une réforme pourtant rendue nécessaire parce que nous n’arrivons déjà pas à garantir le financement des retraites qui leur sont promises.

Monsieur le Conseiller fédéral, vous évoquiez l’importance de garantir «une compensation en francs et en centimes». Ma génération peine à comprendre pourquoi cette compensation prend, pour elle, la forme d’une lourde facture.

CC0

Mais la différence ne s’arrête pas là. La génération de mes parents, c’est celle qui a connu les années de plus forte croissance économique de notre pays. C’est celle qu’on allait chercher à la sortie de sa formation pour lui proposer un emploi. C’est celle qui, lorsqu’elle signait un contrat de travail, était presqu’assurée de le garder jusqu’à la retraite.

Ma génération, c’est celle qui a connu la crise économique de 2007. C’est celle qui doit se battre pour trouver un emploi. C’est celle qui sait pertinemment qu’elle enchaînera divers employeurs durant sa carrière, en alternant avec de multiples périodes de chômage. C’est celle qui aura probablement le plus de difficultés à cotiser suffisamment, mais c’est aussi celle qui devra payer une nouvelle réforme, parce que même «Prévoyance Vieillesse 2020» ne suffirait pas à garantir ses retraites. Car ma génération, Monsieur le Conseiller fédéral, c’est aussi celle pour qui la promesse de toucher un jour une retraite apparait déjà bien incertaine.

CC0

Monsieur le Conseiller fédéral, ma génération est la première depuis bien longtemps qui peut craindre de vivre moins bien que la précédente. La réforme que vous portez, pour se financer, propose de la sacrifier.

C’est pour cela, parce que je veux que mon pays ait un avenir, et que celui-ci ne se construit pas en sacrifiant les jeunes générations, que je voterai non le 24 septembre prochain.

CC0

Des CoCos à la noix : vers une nouvelle crise financière ?

Mardi 20 juin, la Bremer Landesbank – une banque régionale allemande – a annoncé qu’elle annulait le paiement des intérêts sur deux obligations spéciales dites CoCo bonds. La nouvelle est passée presqu’inaperçue dans la presse, et pourtant, les questions qu’elle pose pourraient faire trembler le monde de la finance…

Vous n’avez rien compris à ce charabia* ? Pas de panique, on va tenter de clarifier tout ça !

CC0

CoComençons par le commencement…

Pour simplifier, on peut résumer le métier d’une banque (outre ses conseils, bien sûr) à recevoir l’épargne de certains clients et à prêter de l’argent à d’autres clients. Pour que le système fonctionne, il faut toutefois que la banque soit toujours capable de rembourser les épargnants lorsque ceux-ci viennent retirer leurs fonds.

En raison de cette contrainte, et afin de pouvoir prêter suffisamment d’argent (que ce soit des crédits commerciaux, hypothécaires, du leasing, …), la banque ne peut pas compter uniquement sur l’argent des épargnants. Elle se finance donc également sur les marchés financiers.

D’accord, mais CoComment ?

© Vincent Arlettaz

Il existe essentiellement deux manières de se financer : D’une part, les actions, dont les détenteurs sont copropriétaires de la banque. Ils se partagent les bénéfices (sous forme de dividendes), mais sont aussi les premiers à perdre leur mise en cas de déficit ou de faillite.

D’autre part, les obligations, dont les détenteurs sont de simples créanciers prêtant de l’argent pour une période donnée, et en échange d’intérêts définis à l’avance. C’est un investissement généralement moins rentable (sur le long-terme) que les actions, mais qui est prioritaire pour être remboursé, et donc encourt également moins de risques.

Ce n’est pas si CoCompliqué !

Certes ! Mais la science financière ne s’arrêtant pas là, elle a inventé, au milieu du XIXème siècle, les «obligations convertibles». Il s’agit, de fait, d’une obligation (comme on l’a vu ci-dessus), mais que le détenteur peut, librement, décider de transformer en un nombre prédéfini d’actions. L’instrument est intéressant car il permet, grâce à cette conversion, de profiter des bons résultats économiques, le cas échéant, ou de rester simple créancier sinon.

Et c’est à partir de là qu’on a imaginé les CoCos…

Les CoCos ? KésaCoCo ?

Les «CoCo bonds», ou «contingent convertible bonds», sont un type particulier d’obligations convertibles. Mais là, la conversion en action ne dépend pas de la volonté du détenteur, mais se produit automatiquement si un événement prédéfini se produit.

CC0

L’idée est née en 1991, pour faire face à certaines crises financières, et a été popularisée (et plus largement utilisée) après la crise des subprimes. L’idée est assez simple : tant que tout va bien, ses détenteurs ne sont que de simples créanciers, qui n’ont pas droit à une part des bénéfices. Mais si la banque a des problèmes de capitalisation (par exemple lorsque de nombreux clients viennent retirer leur épargne), la conversion se déclenche et transforme ces créanciers en copropriétaires, améliorant immédiatement la situation financière de la banque.

Mais alors, CoComment ça peut poser problème ?

Les CoCo bonds sont, naturellement, des instruments risqués. En effet, en cas de problèmes, les créanciers se retrouvent directement transformés en actionnaires, pouvant donc très rapidement perdre l’entier de leur investissement. Mais, à ce moment-là, précisément parce qu’ils deviennent copropriétaires de la banque, il peuvent donc désormais participer direction de celle-ci.

En outre, en échange du risque accru, les intérêts de ces CoCos sont plus élevés que ceux offerts pour une obligation normale. Jusque là, tout va bien…

CoComme toujours, le diable se niche dans les détails.

L’exemple de la Bremer Landesbank est particulièrement criant : la banque a décidé, suite à des problèmes financiers, d’annuler le paiement des intérêts.

CC BY-SA 4.0 - Jürgen Howaldt
Siège de la Bremer Landesbank, à Brême

Mais les conditions générales de ces CoCos (ce qu’on appelle, en finance, le prospectus) définissent clairement que cette annulation n’entraîne pas la conversion en actions. Les créanciers perdent donc une partie importante de leur investissement, sans, pour autant, devenir co-décisionnaires.

Pire encore, ce même prospectus prévoit que la banque est libre d’utiliser les sommes ainsi économisées comme bon lui semble – et ce, sans restriction.

Le risque est donc important qu’une banque lèse les détenteurs de CoCo bonds pour poursuivre d’autres objectifs que ceux pourquoi les CoCos ont été conçus (e.g. payer davantage de dividendes à ses actionnaires ou de rémunérations à ses dirigeants). Ceux-ci passeraient donc, en quelque sorte, d’assureurs à dindons de la farce.
Si cela se généralise, on ne trouvera bientôt plus grand monde pour souscrire à ces instruments, et les banques redeviendront beaucoup plus vulnérables…

Du coup, CoComment on évite ça ?

Il faut donc s’assurer que ces CoCo bonds ne puissent pas être détournés de leur but premier : servir de coussin de sécurité en cas de crise. Pour cela, il faudrait renforcer les règles prévues par le prospectus, par exemple en s’assurant que le non-paiement des intérêts force la conversion en action, ou que l’argent ainsi économisés ne puisse être utilisés que dans des buts bien spécifiques.

CC0

La marge de manoeuvre des banques s’en trouverait certes réduite. Mais, in fine, c’est une condition nécessaire pour garantir leur survie en cas de coups durs…

 

 

* Si vous avez compris ledit charabia, l’auteur vous remercie vivement pour l’indulgence de votre lecture…

© Number 10

No, No, No, Mrs May !

À 18h, Emmanuel Macron s’entretiendra à Paris avec Theresa May. Leur principale préoccupation sera certainement l’avenir du continent. Mais c’est plutôt vers le passé qu’ils devraient jeter un regard…

Nul doute que le locataire de l’Élysée accueillera poliment celle du 10 Downing Street. Par gentillesse, il s’abstiendra sans doute de parler d’élections législatives. Alors que la France semble avoir décidé de donner une large majorité parlementaire au parti du Président, le Royaume-Uni a refusé de faire la même faveur à la Première ministre. Deux résultats, il est vrai, influencés par un système électoral d’un autre temps, qui biaise les résultats au hasard du découpage territorial.

Theresa May vient avec un objectif simple : trouver, sinon un allié, du moins un partenaire avec qui négocier une sortie ordonnée de l’Union Européenne. Au centre des discussions, l’avenir des milliers de citoyens européens en Grande-Bretagne et des milliers de Britanniques expatriés dans le reste de l’UE et l’avenir des relations commerciales entre les deux économies. Sur ces deux points, la position du Royaume-Uni semble s’être assouplie après le scrutin de jeudi.

Mais un autre point crucial devrait également être évoqué : celui de la facture que l’UE souhaite présenter à son futur-ex-membre : potentiellement plus de 100 milliards d’euros. 38 ans après Margaret Thatcher, c’est à l’Europe de réclamer «I want my money back».

© University of Salford Press Office

Le souvenir de Margaret Thatcher sera certainement présent dans l’esprit de Theresa May. L’actuelle Première ministre est contestée dans son propre parti depuis son échec aux élections législatives, tout comme l’était la Dame de Fer en 1990, après la prise de mesures impopulaires. Et c’est bien au beau milieu d’un voyage à Paris, pour se rendre au sommet de Fontainebleau, que Margaret Thatcher a été débarquée de la tête du parti conservateur. En arrivant à l’Élysée, Theresa May espérera sans doute que l’histoire ne se répètera pas…

Mais les espoirs de la Première ministre ressemblent à des illusions. De l’avis de plusieurs négociateurs européens, «ce n’est pas comme si elle vivant sur la planète Mars, mais plutôt dans une autre galaxie bien éloignée». Vouloir concilier les promesses faites lors de la campagne du Brexit, profiter des avantages de l’UE et s’affranchir de ses conditions semble, en effet, bien irréaliste. Et là, c’est Emmanuel Macron qui endossera les habits de la Dame de Fer pour lui répéter simplement «Non. Non. Non.».

«J’aime»… à mes risques et périls

Hier, un internaute zurichois a été condamné à 4’000.- d’amende avec sursis pour avoir «liké» plusieurs commentaires jugés diffamatoires. La sanction est une première en Suisse et se veut exemplaire ; elle est, en réalité, une effroyable menace pour nos libertés !

Le tribunal de district de Zurich a rendu, hier, une décision sidérante. Dans son arrêt, la juge a considéré que le simple fait de cliquer sur le bouton «j’aime» revient à faire sien les propos exprimés et à les partager publiquement. Ce faisant, si les propos originaux sont constitutifs d’une atteinte à l’honneur, alors un simple clic est passible d’une condamnation pénale.

Attardons-nous un instant sur la gravité d’une telle conclusion. Supposez être face à un long commentaire exprimé sur un réseau social, avec lequel vous êtes plutôt – mais pas forcément entièrement – d’accord. Considérerons-nous désormais qu’un «like» constituera une adhésion pleine et entière à l’entier du propos, mot pour mot ? Et, plus encore, que vous pouvez être tenu responsable de ce qui a donc été écrit par un tiers ?

Adaptons cette hypothèse au monde réel. Imaginez-vous au sein d’un groupe d’amis, dont l’un tiendrait un propos dérangeant – mettons, par hypothèse, une blague désobligeante à l’endroit d’une autre personne. Si l’on transpose le jugement zurichois, alors le simple fait de rire à ladite blague vous exposerait immédiatement à être déféré pour injure ou diffamation, sans même que vous n’ayez articulé un traître mot !

Plus encore, la juge a considéré que le clic fautif équivalait à propager les propos litigieux. Imaginez donc un instant que vous racontiez, plus ou moins publiquement, ce qui vient de se produire dans notre exemple. Alors, quand bien même vous n’adhéreriez à aucun des propos exprimés, par le simple fait de les rapporter objectivement, vous pourriez – si l’on suit la même logique – être condamné au même titre que son auteur. Cette simple hypothèse devrait, par exemple, faire frémir tout partisan de la liberté de la presse

On voit aisément que la logique ne tient pas. Bien sûr, la diffamation ou les insultes sont, hélas, monnaie courante sur les réseaux sociaux. Et, naturellement, leurs auteurs doivent en assumer – y compris pénalement – leurs responsabilités. Mais de vouloir étendre cette responsabilité à un tiers serait une grave atteinte aux libertés d’expression et d’opinion. Car après tout, selon la même logique, celui qui partagerait un article de presse porterait la même responsabilité que son auteur. Propager une critique ou une enquête deviendrait risqué pour tout un chacun…

Contrairement à ce qu’on a pu lire dans la presse, le jugement zurichois n’est d’ailleurs pas une première au niveau mondial. Il y a deux ans, un journaliste turc avait été lourdement condamné pour avoir «liké» un propos critique vis-à-vis du président Erdogan. Bien que le délit de base soit différent, l’argumentation en étendant la culpabilité à toute personne «likant» ces propos est assez proche de la décision d’hier – et démontre clairement la dangerosité d’une telle logique pour une société libre.

Le jugement rendu hier peut faire l’objet d’un recours. J’espère vivement que ce sera fait, et que le tribunal cantonal cassera la décision de première instance. D’ici là, si vous vous promenez à Zurich et que vous entendez des propos inconvenants, gardez-vous de toute réaction ou de toute expression. Un simple hochement de tête, et les amendes risqueraient de pleuvoir

© Xavier Buaillon

Emmanuel Macron à l’Élysée : la valeur n’attend point le nombre des années ?

Lors de la passation de pouvoir de dimanche, c’est l’expression qui revenait sans cesse dans la bouche des différents commentateurs : à 39 ans à peine, Emmanuel Macron est le plus jeune Président de l’histoire française, et l’un des plus jeunes chefs d’État au monde. Si le fait est exact, il n’est pas tout à fait motif de réjouissance.

Lors de la campagne électorale, l’âge d’Emmanuel Macron était un argument généralement réservé à ses opposants. On lui reprochait ainsi son inexpérience, et, plus subtilement, une sorte de manque de maturité – l’âge étant, pour ces critiques, la marque ultime de la sagesse. Le candidat d’En Marche préférait présenter sa carrière déjà fort remplie – tant dans le secteur privé qu’à certaines des plus hautes responsabilités de l’État – pour tenter d’atténuer le reproche.
En effet, on peut penser qu’Emmanuel Macron n’a pas été élu du fait de son jeune âge, mais bien malgré son jeune âge.

© Lorie Shaull
Affiches de campagne – © Lorie Shaull

Face aux soupçons et aux affaires qui ont jeté le trouble sur les politiciens, de gauche comme de droite, au cours des dernières années, l’expérience politique est devenue suspecte. Dans l’imaginaire collectif, le temps passé au pouvoir est forcément rempli de tentations fautives ; plus longue est l’exposition, plus grand est donc le risque d’y avoir cédé. Ainsi, alors que les présidents précédents avaient assis leur élection sur leur expérience, les citoyens semblent désormais choisir l’inexpérience : elle offre une sorte de gage d’honnêteté par défaut d’opportunité.

La jeunesse du nouveau président est, en réalité, le symbole d’une classe politique en déliquescence. L’élection d’Emmanuel Macron – cela a été largement rappelé – démontre surtout la faillite des partis politiques traditionnels, écartés dès le premier tour. Il a su incarner – certes, avec habileté – le seul renouveau face à une extrême-droite renforcée. Si la chance n’est pas à exclure, c’est bien le rejet des autres qui a permis au candidat d’En Marche de conquérir l’Élysée…

© Franz Johann Morgenbesser
Sebastian Kurz – © Franz Johann Morgenbesser

Quelques heures à peine après l’investiture d’Emmanuel Macron, le parti autrichien ÖVP – le parti historique de droite depuis 1945 – a désigné son nouveau président : Sebastian Kurz, à peine 30 ans, et déjà ministre des Affaires étrangères depuis plus de 3 ans.
Le rapprochement est plus qu’anecdotique. En 2016, lors des élections présidentielles, les Autrichiens avaient également écarté les deux principaux partis dès le premier tour. Le SPÖ (socio-démocrate) avait fini 4ème ; l’ÖVP 5ème – tous deux avec environ 11% des suffrages. Au deuxième tour, les électeurs ont donc dû départager un indépendant de 73 ans, Alexander Van der Bellen (ancien membre des Verts) et le leader de l’extrême-droite, Norbert Hofer.

Il semble désormais, en Autriche comme en France, que le critère de l’âge s’efface en regard des autres problèmes que traverse la classe politique. Mais ne nous leurrons pas : il s’agit bel et bien d’un choix par défaut, qui ne devrait apporter nul optimisme sur la santé de la démocratie…

God save the trade : le vrai coût du Brexit

Theresa May traverse des temps difficiles. Alors que les discussions sur le Brexit viennent d’être entamées, le torchon brûle déjà entre Bruxelles et Londres sur la facture de 100 milliards d’euros que l’Union Européenne souhaiterait présenter au Royaume-Uni pour solder sa participation dans la construction commune – un montant qui a rapidement fait hurler les responsables britanniques. Et pourtant, en réalité, il importe peu…

La facture totale présentée à Theresa May devrait solder les engagements la part du Royaume-Uni dans les engagements pris par l’UE. Si le chiffre de 100 milliards d’euros a été régulièrement évoqué, la réalité – nette des recettes futures auxquels Londres renonce en sortant de l’UE – devrait plutôt avoisiner 60 milliards d’euros, selon les analyses du Financial Times et du think-tank Bruegel.Un montant, étalé sur une dizaine d’années, qui reste relativement modeste. En effet, les partisans de la sortie de l’Union Européenne affirmaient que leur pays économiserait 50 millions de livres Sterling par jour, soit presque 22 milliards d’euros par an. À ce rythme-là, le solde des comptes ne sera rapidement qu’une goutte d’eau face aux économies invoquées – d’autant plus dans un budget annuel britannique de plus de 900 milliards d’euros.

© Vote Leave

Le commerce…

Mais se concentrer sur cette facture serait une erreur. Le vrai coût du Brexit est ailleurs. En sortant des traités, le Royaume-Uni devra renégocier l’entier des accords qui le lient avec le continent – en particulier en matière de libre-échange. Chaque année, environ 170 milliards d’euros de produits et services sont exportés des îles britanniques en direction de l’UE. L’introduction de droits de douane à hauteur de 5% – soit, en moyenne, ce que Bruxelles impose à la Chine ou aux États-Unis – coûterait au commerce britannique huit milliards et demi d’euros par année. Bien plus cher, sur une décennie, que la facture que souhaite présenter la commission européenne.

…et les emplois

Plus encore, l’économie britannique pourrait être profondément ébranlée par un ralentissement du commerce avec le reste de l’Europe. Un exemple est symbolique : l’usine Vauxhall d’Ellesmere Port, depuis peu dans les mains de Peugeot suite au rachat de la marque Opel. Située à quelques kilomètres au sud de Liverpool, elle importe de l’UE trois quarts de ses composants. À l’inverse, 80% de ses 187’000 véhicules produits chaque année sont vendus sur le continent. La moindre tension sur les échanges commerciaux menacerait sérieusement l’avenir du site – et de ses 2’100 employés.

Ellesmere Port est loin d’être un cas isolé. L’industrie britannique s’est développée grâce à des décennies de libre-échange avec le continent. Un coup de frein brutal aurait inévitablement des retombées économiques désastreuses, tant financièrement qu’en termes d’emplois – un prix politique probablement bien plus douloureux que les livres Sterling.

© Peter Craine (Creative Commons)

Au final, Britanniques et Européens négocieront sans doute âprement la facture finale présentée au Royaume-Uni. Mais le vrai coût du Brexit, lui, serait celui d’un ralentissement des échanges commerciaux entre les futurs divorcés – et il est autrement plus élevé et plus terrifiant que quelques dizaines de milliards d’euros.

Des commodités peu commodes

 

10

Un hôtel-restaurant a rouvert ses portes mercredi à Lucerne. L’annonce aurait pu passer inaperçue s’il n’y avait eu un simple détail qui a résolument titillé plusieurs médias : le restaurant comptera désormais des toilettes mixtes – et ce en violation du droit cantonal imposant cabinets et lavabos séparés.
La mesure a suscité de nombreuses discussions – et des avis très tranchés sur la possibilité de cohabiter dans les mêmes commodités. Mais une question, qui me parait pourtant évidente, semble avoir été oubliée : pourquoi donc faut-il une loi réglementant les toilettes ?

En effet, chacun semble tellement camper sur sa position qu’il en oublierait presque l’essentiel : pourquoi donc vouloir imposer sa vision aux autres par la loi ? La configuration des toilettes est-elle vraiment à ce point constitutive de notre modèle de société ? Permettez-moi d’en douter.

Démontrons-le d’abord par l’absurde. Outre des toilettes séparées, on peut également considérer essentiel la fourniture de papier à triple épaisseur pour le confort de nos séants. La loi est assurément lacunaire sur ce principe vital et il conviendrait donc de la corriger. En s’éloignant un peu des lieux d’aisance, on peut aussi réfléchir à nos assiettes. Ne faudrait-il pas réglementer leur couleurs, formes et dimensions de façon précise ? Quant à leur contenu, ne vivrions-nous pas dans un monde plus simple si le droit décrivait de façon exhaustive l’ensemble des menus et recettes possibles, que les restaurateurs seraient tenus de suivre scrupuleusement ? Nous aurions ainsi la garantie de consommer un produit parfaitement identique – et donc concurrentiel – d’un restaurant à l’autre. Décidément, tant de choses manquent dans nos lois !

Pousser ce raisonnement à son terme en démontre immédiatement le ridicule. En réalité, nul besoin d’une loi aussi précise : si un restaurant ne vous plait pas, il suffit de ne pas y retourner. Cela n’empêchera pas ceux qui s’y plaisent de s’y rendre, et tout le monde en sera satisfait.
Les toilettes n’échappent évidemment pas à cette logique : si la perspective de commodités unisexes vous horripile, d’autres restaurants se feront un plaisir de vous accueillir, et vice versa.

Ce sur quoi nous devrions tirer la chasse, c’est bien cette dérive législative qui consiste à vouloir réglementer dans le détail tant de choses qu’il serait bon de laisser au libre-choix de chacun. Le droit des toilettes en est un exemple, au milieu d’une jungle abondante de normes et de dispositions légales. Le carcan qu’elles nous imposent est indigne d’une société où l’on considère que l’être humain est libre de faire ses propres choix.

Un train peut en cacher un autre

Début septembre, le groupe industriel Alstom annonçait la fermeture prochaine de son site de construction de trains de Belfort. Moins d’un mois après, le gouvernement français passait commande de quinze rames TGV – de quoi maintenir environ 400 emplois pour les deux prochaines années – permettant ainsi à Manuel Valls de se prétendre «sauveur du site de Belfort». Une bonne nouvelle ? Au contraire, c’est la démonstration de l’échec de l’interventionnisme étatique !

En réalité, le plan de sauvetage de Manuel Valls est confondant d’absurdité. Puisqu’une usine fermait… il suffisait d’y passer commande et de s’en vanter. Le site de Belfort réalise des TGV, alors on achète des TGV. Et peu importe si le seul endroit où l’État peut les utiliser est une ligne régionale où leur grande vitesse ne pourra jamais être atteinte.
Mais le ridicule coûte. Ces 15 rames TGV représentent un investissement d’environ 450 millions d’euros. Soit environ 1.1 million d’euro par poste. Lorsqu’on imagine des salariés proche du salaire moyen français, soit environ 30’000 euros par année, on peine à voir comment l’idée peut paraître bonne…

Certes, si ce n’était avec des rames TGV, l’État aurait tout de même dû acheter du matériel roulant pour remplacer des trains vieillissants. Mais le surcoût représente environ 12 millions d’euros par rame (30 millions pour un TGV contre 18 millions pour un train régional). Facture totale : 180 millions d’euros – payée, naturellement, par le contribuable.
Mais le surcoût ne s’arrêtera pas là. Les coûts opérationnels du TGV sont, également, supérieurs d’environ 30% à ceux d’un train adapté à une telle desserte. Et là, par des billets plus chers, ce seront bel et bien les utilisateurs qui, à nouveau, passeront à la caisse.

Au final, certains argumenteront que gaspiller ainsi l’argent public permettrait de conserver des emplois – dont dépendent des familles, des emplois indirects, des commerces, … Certes, mais il ne faut pas s’arrêter à la simple partie émergée de l’iceberg.
En effet, si l’État achète des TGV – totalement inadaptés à cette fonction – il n’achètera donc pas de trains régionaux pour remplir la même mission. C’est donc une autre usine qui ne verra pas une commande arriver et dont les emplois seront donc menacés. En l’occurrence, c’est le site de Reichshoffen, à 200 km de Belfort, qui voit des menaces peser sur ses 1’000 emplois.
Mais, non content de réaliser une opération industrielle et économique calamiteuse, le gouvernement viole ouvertement le droit en passant une telle commande au mépris des règles de concurrence et d’appels d’offre. Ces règles ne sont pas optionnelles ; c’est bel et bien une obligation, en Europe, pour les investissements publics d’une telle importance. Outre l’incohérence d’un gouvernement qui prétend vouloir sauver l’Union Européenne, c’est également faire courir un autre risque : celui que les autres États, en réaction, agissent de même. Et donc, passent commande auprès de leurs propres usines plutôt que dans les usines françaises – menaçant également des centaines voire des milliers d’emplois.

En outre, une telle manoeuvre politique est le symbole d’une criante injustice. Parce qu’ils sont médiatisés à huit mois de l’élection présidentielle, 400 emplois seront soutenus (temporairement) à grands flots d’argent public. Mais qu’arrivera-t-il aux autres sites menacés une fois les élections passés ? Ils seront certainement livrés à eux-mêmes…
Une injustice encore plus criante pour d’autres secteurs économiques. L’État a-t-il décidé d’acheter 500 millions de litres de lait pour soutenir les éleveurs en danger ? Non. Cruellement, les paysans concernés devront s’en sortir tout seul – tout en payant le coûteux plan de sauvetage de Belfort.

La vraie logique, la vraie justice, la vraie solution eut été de ne rien faire. Si le site de Belfort est incapable de vendre ce qu’il produit, alors peut-être lui fallait-il disparaître. Et laisser, à la place, émerger une industrie compétitive, efficace, et durablement porteuse d’emploi. Mais, en gaspillant l’argent public pour une opération médiatique, c’est bien l’innovation et la création d’emploi que Manuel Valls a détruit.