Un peu de justice

Pour protéger les droits de chaque individu plutôt que d’accepter le règne de la loi du plus fort, l’exercice de la justice est nécessaire à nos sociétés. Mais celui-ci parait parfois difficile, lent ou inefficace. Qu’en est-il en réalité ?

En 1982, deux chercheurs canadiens ont débuté une étude a priori insolite. Ils se sont, en effet, intéressés à la perception qu’avait l’opinion publique de la justice. Julian Roberts et Anthony Nook ont donc sélectionné un échantillon représentatif de la population et l’ont aléatoirement séparé en deux groupes. Le premier groupe a reçu quelques brèves informations sur un homicide (essentiellement celles que l’on pourrait trouver dans la presse) et a ensuite été interrogé sur la sévérité de la peine prononcée par le tribunal. Sans grande surprise, 80% des sondés ont trouvé le juge trop laxiste.

Mais le deuxième groupe, lui, avait reçu des informations bien plus complètes sur le même cas – tant sur l’événement en lui-même que sur les différents protagonistes. Leurs réponses différaient nettement : seulement 15% d’entre eux trouvaient la sanction trop clémente alors que 45% la trouvaient trop sévère !
Cette étude a été suivie de bien d’autres et leurs conclusions sont similaires : plus une personne est informée sur les éléments spécifiques d’un crime ou d’un délit et moins elle considère la peine prononcée par un juge comme trop clémente.

Plus près de chez nous, en 2004, le professeur André Kuhn et ses collègues effectuent un sondage auprès de la population suisse et des juges helvétiques. En leur présentant quatre cas théoriques dans le détail, ils constatent que, dans trois de ces cas, une nette majorité du public (60% à 80% environ) infligerait une peine moins sévère que ne le ferait un juge. Dans le quatrième cas (un viol), la conclusion est neutre puisque la moitié de la population serait plus sévère que les tribunaux, tandis que l’autre moitié serait plus clémente. De manière générale, on peut donc conclure qu’en étant pleinement informé, le public exclut un laxisme judiciaire auquel certains peuvent être tentés de croire.

En termes politiques, ces recherches démontrent une chose : les juges sont essentiels à l’administration de la justice. Décider d’une peine par automatisme, sans connaître les détails, ne peut mener au final qu’à un déni de justice. Et cela n’est évidemment pas acceptable dans notre société !

Ainsi, lorsque l’UDC propose d’exclure les juges du processus visant à décider l’exclusion du territoire d’un délinquant ou d’un criminel, il est nécessaire d’y opposer un refus catégorique. En leur donnant une marge de manoeuvre, les juges condamneront sans aucun doute les coupables à une peine juste – y compris une expulsion lorsque c’est approprié. Mais précisément, c’est en leur donnant cette nécessaire marge de manoeuvre que l’on permet à la justice de rester juste, plutôt que de se transformer en une vendetta irresponsable !

Vincent Arlettaz

Vincent Arlettaz a étudié à Lausanne et Saint-Gall, ainsi qu'à la Richard Ivey School of Business au Canada. Détenteur d'un Master en Finance HEC de Lausanne, il est aujourd'hui économiste, mais aussi délégué du PLR et membre fondateur du Cercle des Libertés.