En toute liberté

Éloge de la volonté

Certains affirment que le combat libéral n’est plus nécessaire. Qu'à l'inverse des barbares assassins qui frappent aveuglément, nous vivons, nous, sur une terre de libertés. Que celles-ci, à force de révolutions et de batailles, ont été gagnées par un peuple aujourd’hui affranchi de ses maîtres passés. Que chacun est désormais libre de ses choix et de son destin. Et donc, arguent-ils, que nos libertés sont à présent garanties, qu’il n’est plus nécessaire de les réclamer ou de les défendre ; que le temps est, maintenant, à d’autres débats et à d’autres enjeux. En vérité, il n’en est rien !

Cette escroquerie repose sur une erreur fondamentale : croire – sincèrement peut-être, mais aveuglément certainement –  que la liberté est la terre du possible. En d’autres termes, que celui qui peut, par ce simple potentiel, est donc libre. Mais qu’il serait bien avisé de se réjouir de cette éventualité, d’en tirer fierté et satisfaction, sans devoir pour autant ressentir le besoin de l’explorer.

Ainsi, la liberté d’expression est une valeur essentielle à notre société. Nulle démocratie, nul état de droit, nulle justice sans elle. La défendre ouvertement est devenu aujourd’hui une telle habitude qu’il semble presque qu’elle a toujours été présente comme une évidence indétrônable. Et pourtant, pour peu qu’un esprit contradicteur s’aventure dans un débat sensible ou qu’une imagination facétieuse use de quelque provocation dans ses traits d’esprit, les mêmes défenseurs auto-proclamés de la liberté d’opinion sont souvent prompts à regretter cette parole devenue encombrante. Tout comme un silence suivant du Mozart est encore de la musique, ils pensent que le mutisme est le meilleur usage de la liberté d’expression. Sous couvert de bons sentiments, ils en sont les fossoyeurs.


Il en va de cette liberté comme de tant d’autres : vantée par les conservateurs mais étouffée dès lors que ses actions ne suivent pas le sens de la foule, le sens de ce qui a toujours été, le sens du passé. Dans le monde du conformisme, les libertés ne se réclament pas plus qu’elles ne s’utilisent. On les établit comme des pièces de musée, enfermées derrière des vitrines, que chacun devra juger bon d’admirer, mais de ne surtout pas avoir l’outrecuidance d’effleurer et encore moins de les manipuler.

La liberté n’est pas une hypothèse, c’est une action. Être libre, c’est prendre son destin en main plutôt que de désirer sans entreprendre. Sénèque l’écrivait ainsi à Lucilius «Quand tu auras désappris à espérer, je t'apprendrai à vouloir.».


Trop souvent aujourd’hui, la volonté se brise sur l’écueil de l’égalitarisme – cette tendance au nivellement, forcément par le bas, afin que chacun se retrouve à l’identique. En la suivant, nul besoin de détermination, nul intérêt à entreprendre : il suffit d’attendre que d’autres agissent pour réclamer ensuite les mêmes avantages. Une demande vite confortée par des escadrilles de bien-pensants – jamais aussi généreux que lorsqu’il s’agit de distribuer ce qui ne leur appartient pas. La sclérose de leur pensée est de soutenir qu’il convient mieux d’exiger ce qu’a l’autre, plutôt que chercher à l’obtenir par soi-même. Car, comme le relevait Henry Becque, «le défaut de l’égalité, c’est que nous ne la désirons qu’avec nos supérieurs».


Ajoutée à cette vision primitive, incapable de percevoir la valeur de la différence et la richesse de la diversité, l’égalitarisme entrave les individus et paralyse leur volonté. Il ne mène qu’à une identité universelle dont on ne saurait déroger. Sous prétexte de solidarité, il sonne le glas des libertés.

Aujourd’hui, le joug qui nous menace est devenu insidieux. Il ne nous empêche pas de réclamer notre affranchissement. Au contraire, il s’en proclame le renfort en nous assurant l’autonomie de nos décisions. Mais, silencieusement, perfidement, il nous reprend ce qu’il feint de protéger ouvertement. Chantre du bien commun et du politiquement correct, il présente les libertés non pour émanciper mais pour asservir. Ainsi, il nous trouve bien avisés de renoncer à trop vouloir, à vouloir ce que ne veulent pas les autres, à vouloir par nous-mêmes plutôt que par les autres. Le joug nouveau est certes moins visible ; il en est encore plus pesant. C’est celui que nous imposent ceux qui veulent nous faire rentrer dans le rang.

Aujourd’hui, revendiquer les libertés, c’est les défendre. C’est réaffirmer le droit qu’a chacun de disposer de lui-même. Plus encore, c’est rappeler les mots de Guy Bedos, selon qui «la liberté ne s’use que si l’on ne s’en sert pas». C’est encourager chacun à être lui-même, à aller jusqu’au bout de ses aspirations, à ne pas se restreindre par les échecs des autres, mais bien à viser plus haut et plus loin. Aujourd’hui, défendre les libertés, c’est faire l’éloge de la volonté !

 

 

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