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Syriza en Grèce: la gauche radicale encore loin du succès

Les élections législatives grecques du 25 janvier ont vu la victoire de la coalition de la gauche radicale, Syriza, fêtée comme il se devait par ses homologues européens. Résolument de gauche mais déçus par le socialisme de François Hollande ou par la sociale-démocratie de Gerhard Schröder, ces citoyens se sont tournés vers cette «gauche de la gauche», ce socialisme original, sans concession ni pragmatisme et dont, parfois, l’écart avec le communisme se résume à la marge. Au soir de l’accession triomphale d’Aléxis Tsípras et de son parti aux responsabilités, ils ont fêté la concrétisation de leur combat politique et, pour beaucoup, le succès de ce «vrai» socialisme en Europe. Et pourtant, rien n’est plus faux.

Loin de moi l’idée de vouloir minimiser l’importance du vote des grecs. Après des décennies d’alternance entre le PASOK (la gauche traditionnelle) et la Nouvelle Démocratie (la droite conservatrice), l’accession d’un autre parti à la tête du pays est un signe fort. Capitalisant sur le rejet populaire des mesures prises jusqu’alors, une coalition quasiment inconnue quelques années auparavant réussit triomphalement en manquant de justesse la majorité absolue au parlement. Assurément, un grand nombre d’électeurs a souhaité un changement radical de politique – souhait concrétisé dans les urnes. Mais si c’est une victoire pour Aléxis Tsípras et son parti, ce n’en est pas encore une pour le socialisme ou la gauche radicale. Pour ces idées, c’est à peine le commencement.

Les ambitions de Syriza ne sont a priori pas si différentes de celles de la plupart des politiciens européens. Dans son programme, la coalition affiche clairement sa volonté de soutenir la croissance économique et l’emploi tout en luttant contre la fraude et l’évasion fiscale et en sachant mieux utiliser les fonds européens. Des objectifs difficilement critiquables mais loin d’être aisés. Et si c’est bien sur la méthode que les courants politiques se différencient, ce sera sur les résultats qu’ Aléxis Tsípras sera jugé. Sera-t-il à même d’étendre massivement l’État social, de relancer l’économie ou de créer 300'000 emplois dans un pays où le quart des adultes – et même la moitié des jeunes – sont sans-emploi?

Mais la politique de la gauche radicale ne peut être un succès qu’à condition d’être durable. Cela impose donc d’équilibrer – enfin – les comptes publics de la Grèce. Pas une seule année de la Troisième République Hellénique ne s’est terminée sans déficit. Et les gouvernements successifs n’ont su régler ce problème – qui a enflé jusqu’à pousser le pays au bord de la faillite. L’histoire du pays montre aisément à quel point cet équilibre est important.

Cette tâche impose des réformes importantes auxquelles le gouvernement ne saurait échapper. En 1992, Stefanos Manos, alors ministre des finances avait affirmé publiquement que le système ferroviaire nécessitait tellement d’argent public qu’il coûterait moins cher de payer le taxi aux passagers. Vingt ans après, la BBC a calculé que, sous réserve que les voyageurs se partagent les taxis, cette affirmation demeurait exacte ! Et ce n’est qu’un des nombreux endroits où l’argent public coule à flots, coûtant si cher au contribuable et poussant le pays à s’endetter encore plus, sans que le service public si cher à la gauche s’en trouve un tant soit peu amélioré. Le même raisonnement peut être tenu sur la quantité incroyable de fraudeurs aux prestations sociales. Difficile, en effet, d’oublier ces chauffeurs de taxi qui, pourtant, percevaient une allocation d’aveugle. En réalité, c’est quasiment l’ensemble de l’administration grecque qui doit être revue de fond en comble!

Une politique ne peut être durable si un pays ne tient pas ses engagements. Les milliards d’euros de prêts que la Grèce a reçus doivent être remboursés. Il n’existe, en effet, pas de réel progrès social en faisant financer par ses voisins les politiques généreuses que l’on souhaite mettre en place; il n’existe guère de raison d’exiger des contribuables allemands ou polonais qu’ils assument, de leur poche, les manquements des gouvernements successifs d’Athènes.

D’aucuns, au sein de la gauche radicale, invoquent que ces dettes ont été souscrites par un autre gouvernement, menant une autre politique et, partant, qu’ils ne seraient guère tenus par ces obligations. Un tel argument est moralement inacceptable et politiquement intenable. Car si la logique tenait, quelle confiance pourrait-on accorder à une promesse de remboursement d’un gouvernement dont l’horizon temporel se mesure à court-terme? Et, plus largement, il faudrait conclure que la signature de la Grèce ne vaut guère le papier sur lequel elle s’inscrit?

Les engagements à tenir vont au-delà de la dette. Les gouvernements précédents, pour contrer la crise, ont promis des réformes en échange d’un financement qui, pour Athènes, constituait probablement la seule alternative à la faillite. Il n’est pas question, aujourd’hui, de faire table rase du passé et d’oublier ces promesses. Par ailleurs, un vaste plan de privatisation avait été lancé pour renflouer les coffres du pays. Certes, il ne tient qu’au nouveau gouvernement de décider de ne pas le poursuivre. Mais les contrats déjà signés et les engagements déjà donnés doivent être honorés. Faute de quoi il serait désespérant de naïveté que d’espérer l’arrivée de nouveaux investissements. Sans État de droit, il n’y a pas d’économie durable!

Aujourd’hui, la gauche radicale est loin du succès. À peine arrivée au pouvoir, elle n’est qu’au début de sa politique. À elle de concrétiser les pouvoirs auxquels elle a aspiré. Faute de quoi, c’est l’ensemble des tenants de ce courant qui seront décrédibilisés, donnant ainsi raison à Margaret Thatcher selon qui «le socialisme ne dure que jusqu'à ce que se termine l'argent des autres».

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