Le «Nudging» ou la persuasion à grande échelle Partie 1

 Se faire vacciner ou pas? prendre l’escalier ou l’escalator? trier davantage les déchets? rouler mieux et moins vite?  Voici autant de problématiques modifiées par des stratégies de Nudging. Qu’est-ce que c’est et comment ça marche?

 Partie 1

Plus que jamais, actuellement les gouvernements utilisent les techniques communicationnelles du Nudging dans divers domaines (écologie, fiscalité, sécurité routière, politiques de santé etc.) afin d’orienter les gens vers des prises de décisions et des comportements considérés comme bénéfiques pour la collectivité.

A moindre coût et, ce qui est très important, en déclarant préserver leur liberté de décision. On parle de « manipulation douce » et assumée ouvertement par ceux qui s’en servent.

«Nudge» (en français «coup de pouce ») est, en d’autres termes, une méthode de communication destinée à modifier des comportements avec la pleine adhésion des personnes concernées ou à les inciter à passer de l’indécision à l’action. Tout cela sans contraintes ni punition, ni même recommandation.

C’est de la persuasion à grande échelle, basée sur une étude préalable des comportements effectifs des individus dans tel ou tel contexte. Aujourd’hui les grands cabinets de conseil spécialisés dans ce domaine (ex. BVA en France, qui conseille le gouvernement) se servent d’analyses de mégadonnées (Big Data) pour leurs collectes de données ciblées.

Ceux qui veulent persuader se basent sur la psychologie comportementale pour modifier leur message incitatif, de façon à obtenir l’adhésion du plus grand nombre de gens possible pour effectuer un changement.

L’exemple de l’escalier de Stockholm

En se servant par exemple de notre tendance à aimer nous amuser, on peut nous inciter à prendre l’escalier plutôt que l’escalator uniquement en peignant les marches comme un grand clavier de piano. C’est ce qui a été tenté à Stockholm. Pas de discours ni de conseils, juste un environnement visuel suggestif et ludique.

Résultat: une baisse de 70% de l’usage de l’esclator et deux premiers bénéfices: une substantielle économie d’énergie et un bénéfice santé pour les usagers, donc une prévention à très bas coût pour la politique de santé publique. Ce qui représente un fort retour sur investissement (ROI). Quant au destinataire, le public, il a toujours le libre choix de prendre ou non l’escalator. C’est un exemple de Nudge.

Ou celui du passage piéton islandais (Cf. photo ci-dessus)

En Islande, une ville a créé un passage piéton en 3D qui fait trompe-l’œil et qui est destiné à faire ralentir les usagers de la route car ils croient voir un obstacle. Ce Nudge a depuis, été plusieurs fois imité ailleurs avec succès (Inde, France, etc.).  *(Cf. la vidéo lien en bas de l’article.)

On peut aussi nous influencer très efficacement en misant sur notre profond désir d’appartenance au groupe social.

Si nous lisons que tant de milliers de gens font une action jugée positive, comme trier les déchets, limiter leur consommation énergétique ou donner leurs organes post mortem, nous aurons tendance par mimétisme et par conformisme social à faire de même. La pression des pairs (peer pressure) est un puissant levier de changement.

L’effet Ikéa, exemple de biais cognitif

Il apparaît que nous accordons plus de valeur à un bien, proportionnellement à la difficulté que nous avons eu à l’assembler et parce que nous y sommes parvenus. Une satisfaction qui donne du prix à notre action et à sa réalisation concrète.

Donc favoriser le succès des individus dans une entreprise difficile donne une valeur ajoutée à l’action, largement supérieure à l’action elle-même car elle est émotionnelle, investie affectivement. Cette satisfaction supérieure les motivera à réitérer l’expérience puisqu’elle est fortement gratifiante. Cela crée une sorte d’appropriation positive et durable.

Autres procédés: l’effet de la répétition ou la peur de la perte

Rien de nouveau ici, c’est la répétition sous toutes ses formes qui finit par modifier la perception du récepteur ou encore la stratégie d’évitement de la perte qui le poussera à faire autrement si on lui en donne la possibilité. Le Nudging consistera alors à lui offrir l’accès facilité à cette possibilité!

Bref, plus de 120 biais cognitivo-comportementaux ont été listés, et permettent donc de mettre en œuvre des mécanismes d’influence efficaces.

Dans l’ensemble, jusqu’à maintenant, les gouvernements démocratiques pratiquaient assez généralement l’information et la recommandation, assorties de l’obligation (morale ou légale) et la coercition (amendes, punitions légales, sanctions etc.) lorsqu’ils voulaient obtenir des comportements plus « vertueux » chez leurs populations. On partait de la théorie et on obligeait à sa mise en pratique.

A l’inverse, le Nudging suit une démarche inductive: d’abord l’observation du terrain et des utilisateurs, l’analyse de leurs comportements réels et en contexte (via des mégadonnées notamment) puis seulement, la mise en œuvre réaliste d’une stratégie de communication adaptée et simple.

Première conclusion

Pour faire une métaphore, on pourrait dire qu’avec un Nudge on forge une clé (=le message incitatif) par rapport à la serrure (=le public cible), alors qu’on avait tendance à forcer la serrure avec une clé inadaptée …. Ce qui, bien sûr laissait des traces sur la porte, l’endommageait et ne permettait pas toujours de l’ouvrir (= l’adhésion libre à la proposition de changement).

A suivre ! ….dans la partie 2, à venir bientôt!

Vidéo sur le passage piéton en 3D d’Islande: https://www.youtube.com/watch?v=szJbz-z7iJw&t=75s

Véronique Dreyfuss-Pagano

Spécialisée dans les domaines de communication inter-humaine, de proxémie et de développement durable, Véronique Dreyfuss Pagano est professeur de géographie et de littérature. Mettre la pensée systémique au service de la résolution de problèmes complexes dans les sciences humaines est l'une de ses activités.

7 réponses à “Le «Nudging» ou la persuasion à grande échelle Partie 1

    1. Merci beaucoup! La suite et fin arrive dans quelques jours. Bonne journée!

  1. J’ai lu avec intérêt votre article mais souhaitais cependant faire une remarque concernant l’emploi de l’anglicisme « big data ». En effet, il serait plus correct d’utiliser à l’avenir « mégadonnées », employé abondamment dans la presse francophone internationale :
    https://www.google.ch/search?q=mégadonnées&tbm=nws

    Cela aurait donné la phrase suivante :

    « Aujourd’hui, les grands cabinets de conseil spécialisés dans ce domaine (ex. BVA en France, qui conseille le gouvernement) se servent d’analyses de mégadonnées pour leurs collectes de données ciblées. »

    Je profite de l’occasion pour vous transmettre le lien du grand dictionnaire terminologique (qui contient tous les équivalents français des anglicismes) :
    http://www.granddictionnaire.com

    Bien à vous,

    Michel Vernet

    1. Merci pour votre intérêt et votre commentaire, oui, vous avez tout à fait raison, nous prenons de mauvaises habitudes de franglais..!
      Malheureusement, pour le grand public,comme le terme mégadonnées est nettement moins utilisé, il est moins familier que big data et on a tendance à le privilégier.Néanmoins, je vais derechef ajouter mégadonnées à mon texte. Abondance de termes ne nuit pas!
      Bonne soirée à vous

  2. Pas une exemplarité, pas un modèle, pas même un diamant mais un parangon de ce que peut être le déni ! Cet article aurait pu être écrit par un collaborateur de Mac Kinsey… Tout avait déjà été dit, et avec une, aujourd’hui étonnante prémonition par Vance Packard en 1957 (La persuasion clandestine – Vance Packard – EAN : 9782702100141 – Calmann-Lévy (01/01/1979). L’IA de demain nous promet de mettre au service des dominants tout cet arsenal décrit ici comme quasi “bienveillant”… Qui encore pour y croire, sauf les esclaves en de”venir que nous sommes !

Les commentaires sont clos.