Pratiquez-vous la zététique?

En cette période si troublée hélas, où toutes sortes de théories fumeuses et douteuses surgissent à chaque minute sur la Toile, et comme nous sommes confinés, nous pourrions en profiter pour nous intéresser de plus près à la pensée critique.

J’en veux pour illustration cette vidéo récente au sujet du Covid19, vue par des millions d’internautes plus ou moins crédules, et qui prétendait, avec force mystères et sensationnalisme, dans le ton comme dans la forme, nous ouvrir les yeux sur « l’origine du virus Covid19 » et sur le « complot » dont nous serions soi-disant les victimes ignorantes.

Elle a pris une telle ampleur, que l’Institut Pasteur et les media français ont dû la démentir très officiellement et avec la plus grande fermeté.

C’est ici qu’intervient la zététique :

 Définition rapide

La zététique, ça ne date pas d’hier, le mot vient du grec zetetikos et signifie qui aime chercher, qui recherche, qui examine. Après les Grecs anciens, on le voit réapparaître dès le 16e siècle puis à plusieurs moments de l’Histoire.

Parfois définie comme l’art du doute, la zététique préconise le recours à la raison. Elle questionne notamment les théories de pseudosciences, des phénomènes paranormaux, ou des thérapies étranges , et par conséquent tout ce qui est susceptible de générer les fake news, les rumeurs et les propagandes…

Appelée aussi pensée critique, elle les soumet à la méthode scientifique d’analyse afin d’en vérifier les fondements et la fiabilité.

Pour le biologiste Jean Rostand, c’est «l’hygiène préventive du jugement ».

En quoi est-elle nécessaire ?

La zététique consiste à analyser systématiquement et méthodiquement (*), les thèses qui surgissent et ne semblent pouvoir se rattacher à aucune théorie ou faits communément acceptés.

Elle se méfie de tout ce qui est de l’ordre des arguments prétendument «irréfutables» c’est-à-dire qu’on ne peut pas soumettre à la vérification par l’expérimentation, ni à la démonstration par des faits attestés et vérifiables .

Elle montre ce qui est contestable puisque annoncé comme « vrai  et irréfutable» et s’avère en fait incomplètement expliqué ou décrit.

La méthode critique de la zététique traque tout ce qui se pare d’un pseudo discours scientifique généralisant et qui dissimule plus ou moins bien, sous ce vernis, des croyances et des opinions, relayées sans preuves de leur exactitude. Ce qui, rappelons-le, est l’art des charlatans de tout poil.

« De grands experts ont dit » (lesquels?)

Ou : «  cela a été prouvé mais les auteurs veulent garder l’anonymat » (pourquoi ? normalement les chercheurs sérieux signent leurs recherches et les assument).

Ou : « ce serait trop long à expliquer mais c’est certain »(ah ? nous devrions donc gober ça sans plus d’explications ?) sont autant d’exemples de ce qui devrait toujours nous alerter.

La pratique de la zététique met en garde contre les idées reçues, les préjugés et tout ce qui est à caractère dogmatique, sectaire ou qui exerce des mécanismes d’influence à partir de théories invérifiables, orientées ou partielles .

Ajoutons que nous aurions trop souvent tendance à céder aux effets du « secret dévoilé », de l’exagération ou du sensationnalisme. Ceci nous amène à évoquer l’Effet Barnum :

L’effet Barnum

P.T.Barnum était un entrepreneur de spectacles et propriétaire d’un cirque américain (le fameux Cirque Barnum) connu pour ses publicités tapageuses et son sens de la formule exagérée. Génie de la publicité, il passe pour un mystificateur, un manipulateur, sorte de roi du bluff et de l’imposture commercialisée.

Il avait compris que plus c’est énorme et improbable et plus les gens vont tomber dans le panneau avec crédulité.

En psychologie sociale, il a été démontré que nous accréditons volontiers comme vraies les affirmations suffisamment fortes, vagues et généralisantes. Ainsi, ce qui nous donne raison et va dans notre sens, selon nos biais de confirmation (**), ce qui nous inclut dans un cercle qui « saurait mieux que les autres et avant les autres », bref, ce qui nous flatte ou nous impressionne nous rend plus crédules.

La tentation …

Le danger c’est qu’il est très tentant de se laisser embarquer trop vite, sans réfléchir et sans exercer notre esprit critique. C’est plus facile et tellement plus immédiat! ça ne demande aucun effort ni aucun travail…

Mais cela peut nous rendre « complices ». Car la plupart du temps, nous aurons envie de partager ces nouvelles sans les vérifier. Nous devenons parfois ainsi des relais moutonniers, qui donnent sans réfléchir de la visibilité à des imposteurs de toutes sortes.

La pensée critique permet de l’éviter.

Pour conclure, et si vous voulez en savoir un peu plus sur ce sujet, voici un lien qui pourrait vous amuser et vous intéresser :

https://www.youtube.com/user/fauxsceptique  : Les deux vitesses de la pensée

Et un ou deux articles  qui en montrent l’importance:

https://www.lemonde.fr/campus/article/2015/02/11/l-universite-de-grenoble-rehabilite-l-art-du-doute_4574498_4401467.html

https://www.lesinrocks.com/2018/01/14/actualite/actualite/qui-sont-les-zeteticiens-ces-chasseurs-de-fake-news-sur-youtube/

Faisons un peu de zététique!

Oui, c’est bon pour les neurones et ça en vaut la peine: ça permet de garder les Pieds sur Terre et la tête sur les épaules !

Notes:

* par exemple par recoupements et fusion d’informations émanant de sources diversifiées et vérifiées, par calcul, par expériences ou examen des faits.

** « Le biais de confirmation est la tendance, très commune, à ne rechercher et prendre en considération que les informations qui confirment les croyances et à ignorer ou sous-estimer l’importance de celles qui les contredisent. » (www.psychomedia.qc.ca)

 

Véronique Dreyfuss-Pagano

Spécialisée dans les domaines de communication inter-humaine, de proxémie et de développement durable, Véronique Dreyfuss Pagano est professeur de géographie et de littérature. Mettre la pensée systémique au service de la résolution de problèmes complexes dans les sciences humaines est l'une de ses activités.

14 réponses à “Pratiquez-vous la zététique?

  1. MERCI !!! Ce que vous présentez est aussi utile et vital que les masques pour les soignants !
    On devrait décréter une demi-heure de lecture obligatoire de cet article, comme pour les applaudissements aux soignants.

  2. Merci pour votre commentaire qui me montre votre intérêt avec une telle indulgence!
    Mais mon petit article reste quand même sans comparaison possible à l’action de toutes celles et ceux, qui, sur le terrain, risquent leur vie pour sauver les nôtres. En ce moment, ces femmes et ces hommes sont des héros du quotidien. Je ne prétends, pour ma part, que chercher à partager ici quelques-unes de mes réflexions…
    Très contente néanmoins si elles vous semblent utiles.

  3. Bel article qui nous rapelle bien que la première arme pour lutter contre la désinformation et la manipulation reste notre volonté à chercher et vérifier l’information.

  4. Merci pour cet article qui alerte sur une plaie qui, hélas, ne date pas du coronavirus !
    Il est important que cette lecture critique soit enseignée aux enfants très tôt.
    Je me permets de conseiller aux lecteurs que votre blog intéresse la lecture d’un livre paru à la fin de 2019 : “L’Opium des imbéciles” de Rudy Reichstadt, chez Grasset. L’auteur est le fondateur du site de référence ConspiracyWatcht.info consacré à l’analyse du conspirationnisme et des théories du complot.
    A lire absolument.

    1. Merci pour votre commentaire et pour cette référence!
      Oui, trois fois oui, l’apprentissage scolaire à la lecture critique et l’éducation aux média est une absolue nécessité, et cela devrait être enseigné à tous les niveaux de la formation, dès l’école primaire. Et pour cela, il faudrait prévoir également de former les enseignants systématiquement à cette pratique pédagogique.
      D’ailleurs, cela ne se limite pas aux théories du complot. C’est utile chaque jour et pour tout le monde de savoir réfléchir ne serait-ce qu’avec un minimum de bon sens et de méthode … Et malheureusement, ce n’est pas inné …

    1. Merci pour votre commentaire, très contente si cela a pu vous intéresser!

  5. Cet article qui remet les choses à leur place. Comment faire la part entre la raison et la croyance ? Ce n’est pas facile sous l’influence du covid 19. Il est important de rester vigilant, merci de nous le rappeler.

  6. Un grand merci pour cet article, qui m’a permis, tout d’abord, de découvrir le sens du mot Zététique. Etymologie : du grec ancien zetetikos, qui aime chercher, qui recherche.
    En France, il a été mis en avant en 1998 par le professeur Henri Broch, (professeur de biophysique théorique à l’Université de Nice Sophia-Antipolis et directeur du Laboratoire de zététique) qui définit la zététique comme “l’art du doute”.
    Je suis navré de constater que, dès le début de votre article, vous commettez l’erreur que vous dénoncez. Vous parlez d’une vidéo ? sans la citer. Vous parlez de millions d’internautes plus ou moins crédules (accusation induite sans fondements). Je passe sur le terme “victimes ignorantes du complot”. Et la justification finale, le lien de cause à effet faussé, “Elle (la vidéo- Hold-up en l’occurrence) a pris une telle ampleur que l’institut Pasteur et les médias français ont dû la démentir très officiellement et avec la plus grande fermeté”. Pour autant, l’homme qui accusait l’Institut Pasteur d’avoir créé le Coronavirus a été condamné pour diffamation,ce qui semble clore le débat. Réduire ce documentaire à ce que vous en dîtes est indigne et vous discrédite à mes yeux. Je vais donc continuer à chercher et pratiquer l’art du doute, et je ne serais ni le “crédule” de Hold-Up, ni le vôtre. Cordialement.

    1. Permettez-moi de rectifier: il ne s’agissait pas de Hold up, qui est sorti le 20 novembre 2020, alors que j’ai publié mon article le 23 mars 2020 …soit bien des mois avant sa sortie publique! je ne pouvais donc pas y faire allusion!
      Il s’agissait d’une petite vidéo de 20 minutes apparue la première fois sur Facebook sous le pseudo Cat.Antonio , postée le 18 mars 2020, soit 5 jours avant mon article. Elle a été reprise sur Twitter, YouTube, Whatsapp. C’est à ce film amateur, devenu viral, que je faisais allusion en préambule.
      Et c’est également ce petit film (et donc pas Hold up ), qui a fait l’objet de la poursuite en diffamation contre son auteur, condamné d’ailleurs à publier le jugement sur son compte Facebook.

      Je ne comprends pas votre phrase: “Pour autant, l’homme qui accusait l’Institut Pasteur d’avoir créé le Coronavirus a été condamné pour diffamation,ce qui semble clore le débat.” Eh bien oui! justement! ai-je envie de vous répondre … Je ne vois pas ce que vous cherchez à me démontrer ici qui contredirait mon propos. …

      J’ajoute enfin que je n’ai en aucun cas cherché à défendre une quelconque théorie dont vous pourriez être le “crédule” mais à l’inverse tenté d’encourager mes lecteurs et lectrices à pratiquer la zététique et à leur donner quelques petites références en bas de mon article pour qu’ensuite ils aillent s’informer eux-mêmes après avoir compris en quoi consiste cette démarche.

      Je n’ai pas écrit sur le thème du Covid19, cela me servait seulement d’accroche d’actualité pour mon introduction, mais sur une méthode!

      Celle de la recherche d’acquisition d’informations croisées, sur l’importance de la vérification et sur les risques inhérents à une forme de lecture trop superficielle des informations.

      En espérant avoir apporté des réponses à vos objections, je vous remercie pour votre commentaire.

  7. Il faut bien comprendre ce qu’est le sens critique qui peu signifier étymologiquement juger, hors pour juger il faut connaître et savoir de quoi on parle et non donner un opinion. La zététique se positionne en défenseur de la science comme le Saint-Office le faisait pour la doctrine de l’Eglise en exposant une méthode que j’ai tenté de suivre afin d’en extraire la cohérence globale pour, à mon tour, juger de sa pertinence. Le problème c’est qu’elle a les limites de ses compétences, une science pour être une science doit se mettre en doute afin de pouvoir accepter de nouvelle idées, ce qu’elle ne peut pas faire puisqu’elle défend son «intégrité». Et pour le coup l’art du doute est un leurre. L’heure d’exprimer ce que la science matérialiste mécanique tient à garder comme vrai. La zététique aurait pu défendre, à la fin du 19ème siècle, l’idée qu’un avion plus lourd que l’air ne peut pas voler, ce qui était vrai à l’époque, sauf que des esprit moins obtus ont introduit la dynamique et les ailes qui, face à la résistance de l’air ont fait décoller l’avion.
    Avec la zététique on se trouve face une mise en doute chronique d’une science sur le point de naître et que tout le monde trouvera peut-être normal dans 100 ans avec la physique de l’information et on aura compris comment l’homéopathie actionne l’information qui nous constitue.
    C’est comme cette notion de «complotisme» que l’on nous rabâche pour discréditer des gens qui mette en doute, eux aussi, des versions officielles. Un complot est une résolution concertée de commettre un attentat et matérialisée par un ou plusieurs actes.
    Les gens que la presse et tant d’autres traitent de «complotiste» ne font que mettre en doute une version officielle. Et en général ce n’est pas par hasard, il y a de gros manquements. Ce terme utilisé par la CIA lors de l’attenta contre Kennedy avait dans son dossier la Balle magique, cette fameuse balle qui aurait commis maintes blessures et fait des angles impossible pour notre physique.
    Mais laissons ça de côté, l’art de douter sans pouvoir se mettre en doute est trop souvent l’apanage des zététiciens, j’en ai vu des être à leur tour de vrai charlatans. Henri Broch avec ses faux suaires de Turin était vraiment digne des plus grands charlatans.
    L’effet Barnum c’est le magicien d’Oz mais il faut faire la part des chose, il est une science en devenir qui livrera des réponses à ce qu’elle considère comme des opinions ou des croyance. La science par ailleurs n’est autre qu’un consensus de croyance face à certaines expériences et quand une autre expérience démontre autre chose et qu’elle est acceptée par le consensus modifie alors son histoire, et l’histoire des science a démontré que ce qui est vrai scientifiquement aujourd’hui sera faux demain.
    A la zététique je me suis intéressé et très vite désintéressé parce qu’elle ne tient pas ses promesses.

    1. Monsieur Sapin, vous semblez avoir omis une des bases de la zététique: “ce n’est qu’en échouant suffisamment longtemps à prouver que l’on a tort que l’on peut envisager avoir raison… jusqu’à preuve du contraire”.
      Ce qui ne ferme aucunement la porte à des connaissances que nous n’avons pas encore, bien au contraire.

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