Les pieds sur Terre

Mails : la grossièreté banalisée ?

Qui d’entre nous n’a pas vécu cette désagréable situation : la vaine attente d’une réponse à un mail professionnel, la consultation de plus en plus frénétique de sa boîte de réception au fur et à mesure que le temps passe sans réponse ?

Je ne vais pas tomber dans le «c’était mieux avant» comme les réactionnaires, mais il y a tout de même une ou deux remarques à faire: naguère, lorsque le courrier n’était que postal, au moins on avait la certitude que le destinataire avait bien reçu notre message (la poste égarant tout de même rarement le courier).
Si notre envoi restait sans réponse dans un délai raisonnable, nous pouvions interpréter ce silence comme un refus de répondre, et prendre l’initiative qui nous paraissait la plus appropriée.

Aujourd’hui avec les mails, le flou est total. Nous ignorons si l’absence de réaction est un accident de transmission, une chute dans les spams qui aurait totalement échappé à notre destinataire, ou si c’est un acte délibéré de fin de non recevoir. Même le délai raisonnable à accorder à nos interlocuteurs pour nous répondre est incertain.

Certes nous apprécions la célérité si efficace des mails, qui, par ailleurs, a pour effet pervers que nous sommes censés être atteignables et réactifs 24 heures sur 24 et 365 jours par an, n’importe où dans le monde,même dans le milieu professionnel. Je remarque ici que dans le même temps, les codes de politesse sont malmenés, et nous avec eux.
En effet, submergés que nous sommes de mails quotidiens, nous parons au plus pressé et nous négligeons parfois nos correspondants, ou, pire encore, nous les oublions purement et simplement.

Lorsqu’on est soi-même le correspondant oublié ou négligé, on entre dans cette attente obsessionnelle si pernicieuse.
Par exemple, on vous contacte professionnellement pour vous proposer une éventuelle collaboration et, dans cette perspective, on vous demande de préciser votre champ d’activités. Vous n’êtes donc pas le demandeur. En principe, vous répondez dans les 48 heures, par politesse autant que par intérêt. Vous vous donnez la peine d’accéder avec clarté à la demande qui vous a été faite.

Et, tout naturellement, vous attendez la réponse, ou du moins, un accusé de réception rassurant qui vous remercie et vous prévient que la réponse de votre correspondant ne saurait tarder.

Si au contraire, comme Anne au sommet de sa tour, vous ne voyez rien venir, vous vous inquiétez, et vous récrivez à votre destinataire pour vérifier que vous n’êtes pas tombé dans les « indésirables » ( catégorie à laquelle personne ne souhaite appartenir …).

Si le silence reste total, vous vous sentez mal… (comme si on vous avait insulté). Mais peut-être êtes-vous retombé dans les spams ? …

Le doute n’étant jamais levé, votre imagination ne peut que s’emballer et s’adonner à mille interprétations, qui se concluent le plus souvent par de la colère et de l’amertume.
Si vous récrivez encore, vous êtes peut-être en train d’aggraver votre cas … et vous devenez harcelant.

Si vous ne réagissez plus, vous garderez toujours en tête l’idée que peut-être, votre correspondant est innocent, qu’il n’a jamais reçu votre réponse et que, de son côté il en a conclu que vous êtes un grossier personnage. Cela vous tracasse aussi. Bref, on est dans l’impasse et le malentendu. Et bien sûr dans le malaise. Trop de « peut-être ? » …

Dans le cas de mon exemple, vous ne pouvez qu’en déduire que votre profil est si peu intéressant pour votre lecteur qu’il ne daigne même pas vous honorer d’un refus de collaboration motivé.

Si cette situation se répète avec plusieurs correspondants (dans le cas d’une éventuelle recherche d’emploi par exemple), l’effet psychologique de cette humiliation peut être dévastateur: cela conduit à ressentir une dévalorisation personnelle très forte. Comme une négation de votre existence même: vous ne valez même pas la peine d’une réponse.
Imaginez la situation en face à face: on vous demande de préciser ce que vous faites, vous répondez et sans un mot, votre interlocuteur vous tourne le dos et part…. Mais dans notre cas c’est pire encore. Votre interlocuteur est invisible et vous doutez …et ne pouvez cesser de vous poser des questions. Erreur? Lâcheté? Camouflet ?

J’ai eu l’occasion de parler avec diverses personnes à qui ces silences brutaux et grossiers ont été imposés. Cela a toujours cet effet. Toutes et tous m’ont dit : «j’aurais largement préféré qu’on m’écrive carrément les choses, au moins j’aurais cessé d’attendre et je n’aurais plus ces doutes … ». Ou encore: «je n’ai même pas pu argumenter.» «J’aurais pu téléphoner, mais je n’ai plus osé.»

Alors oui, il serait bon de revenir à l’idée d’un code de communication qui intègre la politesse élémentaire, ne serait-ce que des accusés de réception, des délais raisonnables clarifiés et communs pour les mails professionnels, comme c’était tout de même le cas pour les lettres traditionnelles.

Mais,hélas, je garde les pieds sur terre, je crains fort que cette grossièreté si banalisée soit difficile à combattre ….

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