Serviettes de plage: défense d’entrer!

Pourquoi, l’été venu, pouvons-nous brusquement nous métamorphoser en chiens de garde prêts à mordre les mollets du premier venu en maillot de bain ? La plage ou la piscine devraient pourtant nous calmer les nerfs …Et pourtant on se surprend souvent à être moins zen qu’espéré : il faut dire qu’avec les baignades, la rude bataille des bonnes places et des territoires commence.

Soleil  ou ombre, herbe ou béton, vue imprenable sur le paysage ou espace un peu caché, tous, nous nous attribuons une portion d’espace qui réponde au mieux à nos attentes du jour.

Et tous, nous marquons soigneusement notre territoire de façon à ne pas être envahis par d’éventuels intrus plus ou moins bruyants.

Si nous sommes des habitués, nous reviendrons prendre « notre » place ,  la même d’année en année …comme s’il s’agissait d’une propriété privée. D’ailleurs les autres habitués, les amis qui voudraient nous trouver, savent très bien où nous sommes placés.

 Notre chien de garde intérieur s’assied devant cette porte imaginaire qu’il entend bien défendre si nécessaire contre les indésirables qui ne respecteraient pas notre « parcelle » de serviette.

Je marque mon territoire et ça ne rigole pas

 Ne nous y trompons pas, sous des dehors futiles, cette démarche est des plus sérieuses et son étude passionnante, dans les comportements comme dans les stratégies : dans la plupart des cas, on sélectionne une zone territoriale  que l’on marquera d’abord par l’étalage de notre serviette, puis, afin d’en augmenter le périmètre d’intimité et de propriété de manière bien visible, nous étalerons nos affaires dans les bordures: sacs, chaussures, crème solaire ….A partir de cette phase d’appropriation, nous veillerons à en maintenir les limites, afin de décourager toute tentative d’intrusion extérieure étrangère à notre connaissance. Comme tous les animaux, nous marquons notre territoire et nous sommes prêts à le défendre avec énergie et détermination. Gare aux indélicats qui fouleraient notre drap de  bain  en passant par là, ou qui , pire encore, tenteraient de se coller indûment à notre espace ! Cela a le don de nous mettre instantanément en colère, et le plus souvent la réaction est vive: nous sentons une très forte aggressivité contre la personne qui s’est ainsi imposée à nous et, sans trop savoir pourquoi, nous réagissons violemment et presque épidermiquement. Certes, c’est être grossier que de ne pas savoir respecter l’espace vital d’autrui, chacun le sait, mais en fait c’est plus archaïque et beaucoup plus inconscient : nous sommes restés des mammifères qui, par nature, défendons notre espace ( ou ce que nous considérons comme tel…) jusqu’au conflit physique si nécessaire. C’est ce qui explique ce réflexe si immédait de défense, et qui ne passe pas d’abord par la réflexion.

 Lutte matinale pour les transats

Observez les stratégies matinales dans les hôtels ou clubs de vacances balnéaires pour obtenir, réserver et conserver (!)  un transat en y déposant sa serviette à la première heure. J’ai vu des gens se lever à l’aube pour se précipiter et «prendre les meilleures places » et j’ai même assisté à des tours de guet au sein d’une famille , qui préférait prendre son petit déjeuner séparément  pour assurer la sécurité du territoire  ainsi obtenu de haute lutte. Certains hôtels ont d’ailleurs dû édicter des règlements interdisant la mainmise sur les transats si convoités , avec des horaires de réservation.

Serviettes révélatrices : indiscrétions

Tout aussi amusante et instructive est l’observation des distances entre les serviettes d’un même groupe (famille, amis) . La psychosociologie environnentale sur ce sujet  tente d’évaluer le type de relation qu’entretiennent des individus par la seule analyse de la disposition de leurs affaires de plage ( les propriétaires n’y étant pas installés au moment de l’observation).

Bien sûr ce n’est pas une science exacte, tant s’en faut : il faut tenir compte de divers facteurs circonstanciels qui contraignent les propriétaires à faire des choix : galets, sable  ou pelouse ? affluence ou espaces libres ? bébés ou adultes ? mer ou piscine ? etc.  Néanmoins, cela est très instructif : tout naturellement, les intimes mettent leur serviette en contact , alors que celles et ceux qui ne veulent pas être en communication, mettent visiblement leurs affaires entre eux et les autres. Bien sûr ce jeu des signes de territorialité est très significatif dès qu’il s’agit de séduction.

Sea, sex and sun

Quelle situation plus riche en potentialités en effet que celle qu’offre la baignade et ses rituels ? Nous sommes très dénudés, réunis en un seul lieu , exposés au regard d’autrui et comble de tout , en position couchée …. ! La serviette de plage est presqu’un lit …en public, et d’ailleurs bien des adolescents en tirent profit avec plus ou moins de discrétion, pour s’y embrasser gaiement.

La serviette de plage, c’est donc du sérieux! Même le choix du motif ou de la couleur de votre serviette parle de nous et de notre personnalité.

 Donc la prochaine fois que vous sentirez que vos voisins vous mettent hors de vous, avant d’aboyer, de passer aux insultes ou aux phrases aggressives, mettez la tête au frais et observez !

 Mais je garde les pieds sur Terre: ça va continuer de vous énerver tout autant  … ! au moins vous saurez le pourquoi du comment, c’est déjà ça, non ?

 

 

Véronique Dreyfuss-Pagano

Spécialisée dans les domaines de communication inter-humaine, de proxémie et de développement durable, Véronique Dreyfuss Pagano est professeur de géographie et de littérature. Mettre la pensée systémique au service de la résolution de problèmes complexes dans les sciences humaines est l'une de ses activités.

4 réponses à “Serviettes de plage: défense d’entrer!

  1. Merci Véronique pour cet article! Il aide à adopter un autre point de vue et rire de ces situations. J’ai récemment vécu ce que tu décris dans la piscine extérieure d’un hôtel dans l’Oberland bernois… Nous sommes passionnants à observer dans notre complexité et nos instincts étranges! Étranges animaux, ces humains…

  2. Merci à vous Véronique pour cet article à la fois amusant et révélateur de petits détails qui illustrent inconsciemment nos habitudes et personnalités. Il en est de même en observant les gens au supermarché.
    Au plaisir

    1. Contente que cela vous ait amusé! Oui en effet il y a de nombreuses situations qui permettent ce type d’observation, et c’est aussi instructif que distrayant.
      Merci Antoine pour votre commentaire !

      1. Merci surtout à vous.
        Effectivement tout comme le train mais nous pourrions en énumérer tellement des endroits.
        Dans l’attente d’un de vos prochains billets.

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