Les femmes dans l’horlogerie, un long parcours inachevé pour sortir des préjugés et des emplois réservés

Longtemps le métier d’horloger se vivait au masculin. Le veuvage, une solution pour diriger l’atelier. Le travail à domicile, une chance ou une surcharge. Les fabriques emploient des femmes. Une fausse parité avec des emplois réservés. L’ouvrière horlogère est déjà une femme moderne. La fin des « petites mains ». Tout change lentement dans les ateliers. Inégalités paradoxales

Un métier d’hommes secondés par des femmes

Débutant à la fin du Moyen-Age, l’horlogerie se faisait par des hommes. En relation avec le Temps, nécessitant de grandes connaissances professionnelles, le métier d’horloger était prestigieux et les objets réalisés étaient très onéreux.

Au début du 18e siècle, des petits ateliers s’installent dans les maisons. Le travail y est fractionné, avec des tâches bien séparées. C’est l’homme qui gère l’atelier, qui assure les contacts avec l’établisseur, la personne qui distribue le travail et le rémunère. Souvent toute la maisonnée aide à l’établi, en préparant les pièces, en réalisant toute ou une partie du travail ou encore en libérant le travailleur pour qu’il puisse s’affairer plus longtemps à l’établi.

 Au décès du mari, patron de l’atelier, la veuve peut continuer

Certains ateliers sont importants et l’épouse du patron devient vite la patronne gérant le quotidien des affaires. Seul le décès du conjoint permet à la veuve d’exister comme femme d’entreprise sous la raison sociale de « Veuve Untel ». Elle pourra alors assurer le relais avant que la nouvelle génération reprenne l’atelier, souvent sous son œil avisé ; ou tout simplement elle pourra continuer les activités professionnelles à bien plaire.

Dans les fabriques, l’arrivée des femmes aux établis pour faire autre chose

Dès la deuxième partie du 19e siècle, la production industrielle de la montre fait entrer les femmes en nombre dans les grands ateliers des fabriques. Pas de concurrence entre hommes et femmes. Chacun a son emploi et les ateliers mixtes sont rares. Les femmes sont employées pour des tâches plus simples, plus répétitives mais aussi plus délicates. Nécessitant des automatismes, ces travaux sont considérés comme moins qualifiés. Les femmes à l’usine sont alors appelées les « petites mains ». Ces « petites mains » sont fermement encadrées par des hommes, rarement par d’autres femmes.

Le travail à domicile

Typiquement horloger, le travail à la maison continue de se pratiquer jusqu’à la fin du 20e siècle. Mais là, à l’heure des fabriques, il est principalement féminin, s’adressant aux épouses restant à la maison. C’est sûr qu’on peut aussi travailler dans ses temps libres : le soir, quand les enfants sont à l’école et quand la charge du ménage le permet ; pas si simple !

La parité numérique est très vite acquise et pourtant les emplois sont très différents

Dans les fabriques, la parité homme/femme est très vite atteinte, voire plus. Mais les métiers sont très sexués et la gouvernance y est très majoritairement masculine. Il y a la même situation qu’en cuisine : il y a les régleurs de précision, des hommes, l’aristocratie des horlogers qui se penchent durant des mois sur quelques spiraux et balanciers ; et il y a les régleuses, des quantités de femmes dans des ateliers, ou à la maison qui œuvrent sur des grosses quantités de spiraux pour faire aller des milliers de montres.

Dans les ateliers de montage, les femmes font les gestes simples d’assemblage sous les yeux du chef d’atelier. Et si la pièce ne fonctionne pas bien, c’est l’horloger-décotteur qui la corrigera.

La femme moderne est à la fabrique

Cet emploi des femmes peu qualifiées, et non-invitées à l’être, autorise néanmoins une certaine autonomie car le salaire est versé directement à la travailleuse. Ce complément de revenu et sa provenance permet de sortir de la condition de mère au foyer ; il amène parfois un peu de luxe dans le ménage. Les épouses, comme les jeunes filles prestement invitées à participer aux finances familiales, s’affranchissent alors du modèle de la mère au foyer, soumise et dépendante de son mari.

Le renouveau horloger condamne les « petites mains » pour faire naître la femme de métier

Le récent renouveau de la montre mécanique a fait disparaître les « petites mains » et les a rebaptisées opératrices. Plusieurs choses ont changé dans les ateliers. Tout d’abord les machines ont mis fin à beaucoup de tâches manuelles répétitives. Ensuite ce renouveau horloger s’est fait autour de pièces bien faites, décorées et terminées soigneusement. C’est sûr que l’emploi a aussi diminué de manière conséquente. Mais les femmes sont revenues par la grande porte. De paires de mains appelées à obéir autour de tâches simplissimes, les femmes se sont vu pratiquer des gestes horlogers comme des finitions soignées ou l’assemblage des mécanismes. Les structures de production font confiance dans leurs capacités avec, par exemple, l’auto-contrôle. Devenues qualifiées et reconnues, les femmes font aujourd’hui jeu égal avec les hommes dans les ateliers. Quant aux horlogers, ils migrent lentement vers des travaux d’analyses dans les laboratoires ou dans l’élaboration des méthodes de production. Et dans tous les ateliers, même les plus improbables comme la mécanique, les femmes sont là et elles tiennent une place qu’il serait inepte de discuter.

 Suite des évolutions

Pourtant ce n’est pas si magique. Oui les métiers ne sont plus sexués, aujourd’hui les femmes sont partout dans tous les métiers et dans l’encadrement. La parité des salaires est parfois acquise, pas forcément celle des emplois qualifiés, ni celle dans les cadres de l’entreprise. Cela avance déjà dans les entreprises comme chez nous. Le chemin de la reconnaissance des femmes dans nos métiers horlogers n’est pas fini. Il y a encore plein de préjugés sur les aptitudes, la finesse des gestes et la capacité d’attention « typiquement » féminines. Quant aux hommes, là aussi les préjugés sont légion, car ils sont, « bien sûr », plus ceci et plus cela…

Clin d’œil paradoxal

Reste un innocent clin d’œil, l’égalité est à construire aussi dans l’autre sens car en horlogerie, comme ailleurs, il est des métiers restant presque interdit aux hommes. Et pour faire changer les choses, ici commence une belle remise en question.

 

Sans être militants, mes propos sont construits autour de situations du passé ou vécues dans des ateliers contemporains.

 

Benoît Conrath

Horloger chez Vaucher Manufacture Fleurier

 

http://www.vauchermanufacture.ch

Vaucher Manufacture Fleurier

Vaucher Manufacture Fleurier (VMF) est une manufacture de mouvements mécaniques, de kits horlogers et montres haut de gamme. Elle a pour clients et partenaires des grands noms de l’horlogerie suisse. Pour eux, elle réalise des calibres offrant différents niveaux de personnalisation, ou développe des mécanismes exclusifs de haute horlogerie à partir d’une feuille blanche.

Une réponse à “Les femmes dans l’horlogerie, un long parcours inachevé pour sortir des préjugés et des emplois réservés

  1. Belle évocation d’une évolution sociale et humaine, dans ce milieu très particulier qu’est l’horlogerie. Toute en finesse et sans mièvrerie ni idéologie féministe bêta. Félicitations.

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