Pour les femmes!

Unia est présent dans les entreprises et aux premières loges pour constater l’ampleur des discriminations et des inégalités dont sont victimes les femmes. Dans ce texte, je reviens sur les témoignages très concrets de plusieurs d’entre-elles. Les choses doivent maintenant changer : ensemble, soyons nombreuses à participer à la grève des femmes* du 14 juin!

Une femme d’une quarantaine d’années, décoratrice, membre active d’Unia depuis des années, me racontait récemment l’histoire suivante : « Peu de temps après avoir terminé mon apprentissage, j’ai dû réduire mon engagement professionnel suite à la naissance de mes enfants, que j’ai élevés seule après mon divorce. Je ne pouvais pas travailler à plein temps, à cause des enfants. Mais il était impossible de vivre d’un emploi à temps partiel comme décoratrice, je n’arrivais pas à joindre les deux bouts. Pour moi, cela signifiait la nécessité d’avoir deux emplois. Le matin, parfois même avant l’ouverture des magasins, je travaillais comme décoratrice et je préparais les vitrines des succursales. Pendant la journée, je prenais soin des enfants, j’organisais notre quotidien et je gérais tout ce qui était nécessaire. Et le soir, je devais souvent ressortir pour mon deuxième emploi dans la gastronomie. Je terminais parfois à 3 heures du matin. »

Cette brève description résume bien ce qui ne va pas pour les femmes en Suisse aujourd’hui. Les salaires dans les professions dites féminines sont structurellement trop bas, les heures de travail difficiles à planifier, les taux d’occupation trop faibles, la pénibilité très élevée.

Les discriminations sont de trois ordres :

Salaires trop bas

À propos des salaires des femmes, il y a une réalité simple, mais qui illustre très bien le problème de fond : plus la proportion de femmes est élevée dans un secteur, plus le salaire est bas. En Suisse, environ 53% des femmes ont un salaire net de moins de 4000 francs par mois, et environ 70% touchent moins de 5000 francs. Les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes dans la catégorie des bas salaires (17% contre 7,6%), et ce rapport défavorable persiste depuis des années. C’est cette discrimination structurelle des femmes qui est à l’origine de bon nombre des problèmes actuels.

Sur le plan individuel, la situation est tout aussi déplorable pour les femmes. Même avec une bonne formation, le même niveau de qualification et le même travail que les hommes, dans des professions tant masculines que féminines, les femmes gagnent tout de même moins que leurs collègues masculins. Je pourrais vous montrer des centaines d’études ou des milliers de statistiques, mais je me limiterai à un chiffre : pour une femme professionnellement active en Suisse, cette discrimination salariale se traduit par un manque à gagner de 660 francs par mois en moyenne. Non pas parce qu’elle serait moins bien formée, moins expérimentée ou hiérarchiquement moins bien placée qu’un homme. Non : ces 660 francs de moins s’expliquent par le simple fait qu’elle est une femme. Ce n’est pas moi, en tant que femme, qui le dis. C’est l’enquête suisse sur la structure des salaires, que la Confédération réalise tous les deux ans. Les conséquences de cette discrimination salariale sont énormes : ce sont 10 milliards de francs que les femmes perdent chaque année. 10 milliards de moins pour le même travail et la même performance. Un scandale qui se répercute tout au long de la vie : par rapport aux hommes, les femmes à la retraite touchent actuellement une rente vieillesse réduite de plus d’un tiers.

Taux d’occupation trop bas

En Suisse, le sous-emploi touche les femmes de manière totalement disproportionnée. Les femmes sont nettement plus nombreuses à vouloir travailler davantage : au lieu d’un mini-emploi sur appel, elles souhaitent peut-être un temps partiel correct ou même un poste à plein temps. Elles recherchent un revenu stable qui leur permette de vivre, un débouché professionnel, ou simplement la satisfaction au travail. Or ceci leur est refusé, souvent par leur hiérarchie masculine. Il ne s’agit pas d’un phénomène marginal : selon les statistiques officielles suisses, 262 000 femmes étaient en sous-emploi en 2018. C’est le chiffre le plus élevé depuis 2004. Et il est frappant que dans tous les secteurs sauf la construction de machines, la part des femmes travaillant à temps partiel est nettement supérieure à celle des hommes.

Pas assez de respect

Le « piège du temps partiel », c’est-à-dire le temps partiel subi, s’accompagne d’un manque de reconnaissance et de respect envers le travail des femmes. Car malgré tous les progrès, la responsabilité de prendre soin des enfants incombe généralement aux femmes. Dans notre travail syndical, les situations des femmes que nous rencontrons confirment tous les jours la triste réalité derrière les chiffres.

Une jeune femme nous a récemment donné une description impressionnante des discriminations plus ou moins évidentes qu’elle subit en tant que cuisinière qualifiée. Il lui arrive régulièrement que les fournisseurs ne la prennent pas au sérieux, que sa compétence soit mise en doute, ou qu’un homme soit sollicité pour confirmer ce qu’elle dit. « Je ne guette pas les discriminations, dit-elle. Mais à un moment donné, on ne peut plus faire semblant de ne rien remarquer. Chaque fois qu’il y a un nouveau fournisseur, je dois lui faire comprendre que je suis au même niveau hiérarchique que mes collègues hommes. Chaque fois que je travaille avec un nouveau traiteur, je suis obligée de lui expliquer que c’est moi la responsable du jour, et que le collègue cuisinier n’a rien à dire à propos du buffet. Cela m’énerve bien plus que si on doutait de mes capacités de cuisinière. »

Appel à la grève des femmes* !

La grève du 14 juin est donc une nécessité, une urgence même ! L’histoire de cette collègue est emblématique pour des milliers de femmes. Les faits, les statistiques et les études sont là pour le prouver. Je cite encore une fois la jeune cuisinière, qui conclut son message ainsi : « Je fais grève le 14 juin pour toutes les femmes qui vivent la même chose que moi au travail. Elles font exactement le même travail que leurs collègues masculins, mais leur compétence et leur expertise sont mises en doute et dépréciées, consciemment ou inconsciemment. Et surtout pour les femmes dont les collègues masculins ne sont pas solidaires, et ne disent pas : “C’est elle la patronne, ce n’est pas moi qui décide” ou “Demandez à ma collègue, c’est elle qui sait”. Pour les femmes que personne ne défend dans ce genre de situations. »

Un constat que je soutiens pleinement ! Le 14 juin et au-delà, avec toutes les femmes de Suisse, nous lutterons pour obtenir du respect, du temps, de l’argent ! Pour les situations au travail que je viens d’évoquer, cette lutte se concrétise par les revendications suivantes :

  • Dans tous les secteurs, nous exigeons des salaires et des taux d’occupation qui permettent de gagner décemment sa vie.
  • Nous demandons des horaires de travail clairs et planifiables, qui permettent de concilier la vie familiale ou privée et la vie professionnelle. Nous rejetons le travail sur appel et la disponibilité permanente.
  • Et nous revendiquons le respect envers les femmes et leur travail.

Rendez-vous le 14 juin !

Vania Alleva

Vania Alleva est présidente d’Unia, le plus grand syndicat du secteur privé en Suisse qui représente les intérêts de quelque 190 000 membres. Elle est aussi vice-présidente de l’Union syndicale suisse. Auparavant elle a travaillé comme journaliste, enseignante et experte en migration.