Ô Canada, suite et fin.

Lors de sa première semaine en tant que Président des Etats-Unis, Trump a invité à « museler » la presse, considérée comme « le parti de l’opposition, ne comprenant pas le pays». Si cette haine envers les médias n’est pas nouvelle, au Canada, on s’étouffe en particulier de voir que toute allusion au changement climatique a disparu du site de la Maison-Blanche. Pire, cette censure s’accompagne d’une mauvaise nouvelle pour les écologistes, ainsi qu’une grande partie de la population opposée aux énergies fossiles.

Le changement climatique disparait, pas l’opposition

Trump a ainsi décidé de relancer les deux projets d’oléoducs controversés dont je vous parlais précédemment dans ce blog. Une décision qui a par ailleurs coïncidé avec l’explosion d’un pipeline au Saskatchewan, une province de l’ouest canadien, provoquant une pollution sans précédents sur les terres des Premières Nations. Pour la presse canadienne, l’acharnement du gouvernement Trump à ne pas reconnaître le changement climatique et le besoin de se tourner vers les énergies vertes – rappelons qu’il a nommé un climato-sceptique à la tête de l’agence de l’environnement  – pourrait bien être l’une des causes majeures des protestations à venir aux USA.

Toutefois, si Trump peut se permettre de supprimer les références scientifiques relatives au changement climatique du site de la Maison-Blanche et placer ses « pions » climato-sceptiques issus du milieu pétrolier au sein des agences gouvernementales, il ne peut cependant museler la presse, les agences non-gouvernementales et les réseaux sociaux, qui ont pris les devants en développant une « alliance rebelle » afin de continuer à informer la population de la menace que représente le changement climatique. La NASA, a d’ailleurs développé un compte «rebelle » regroupant des scientifiques en désaccord avec la vision de la Maison-Blanche. Le New-York Times, lui, a choisi de baisser ses tarifs afin que le maximum de personnes puisse accéder à une information de qualité, expliquant implicitement que l’information gouvernementale est désormais à prendre avec du recul.

De l’importance de l’information de qualité

Ainsi, l’importance de pouvoir accéder à une information fiable, de qualité, et exposants différents points de vue semble être l’un des défis actuels des Etats-Unis. A l’heure où les réseaux sociaux américains contre-attaquent les positions gouvernementales, faire la part des choses au sein de la diversité des sources d’informations paraît plus que jamais nécessaire. A cet égard, la disparition de L’Hebdo résonne comme une alerte, le journalisme étant fondamental pour faire la part des choses entre les informations issues des réseaux sociaux et les prises de positions gouvernementales.

Des ponts plutôt que des murs

C’est avec un sentiment très étrange que je rédige aujourd’hui le dernier billet de ce blog, qui s’arrêtera dans le sillage de la fin de l’Hebdo. Pourtant, il y a de nombreux aspects que j’aurais souhaité pouvoir encore vous partager entre le Canada et la Suisse, deux pays qui partagent tant de valeurs communes, et ce malgré une distance géographique certaine. Bâtir des ponts l’un envers l’autre, tel était le but de ces différents articles.

Merci à L’Hebdo de m’avoir offert l’opportunité de rejoindre l’équipe des blogueurs, merci d’avoir cru en mon idée de plateforme canado-suisse, merci pour votre accueil et votre disponibilité, et plus largement, merci d’avoir contribué à une information de qualité durant ces nombreuses années, vous avez été plus que bon pour la tête.  

Le Canada face à l’ère Trump

Cette semaine, le Canada a vécu un remaniement de ses ministres, un peu comme si nos conseillers fédéraux décidaient de se redistribuer les départements, au prix de l’éviction de certains conseillers et de l’arrivée de nouvelles têtes. La raison principale de ce jeu des chaises musicales est de se préparer à l’ère Trump, qui débutera le 20 janvier prochain. Des changements qui sont révélateurs du climat tendu provoqué par les incertitudes du futur gouvernement américain, premier partenaire économique du Canada. L’occasion également de se pencher sur la forme du gouvernement canadien, si souvent cité en exemple par sa diversité et son modernisme.

Des remaniements politiques stratégiques

Tout d’abord, l’arrivée de Mme Freeland au poste de nouvelle Ministre des Affaires étrangères est révélateur du besoin de s’entourer des plus aptes à négocier sous l’ère Trump. Ancienne journaliste habituée à travailler au sein du Ministère du Commerce International, on a récemment parlé d’elle par son échec à faire adopter l’accord de libre-échange CETA aussi facilement que prévu. Cependant elle n’en demeure pas moins redoutable pour dialoguer avec les milieux économiques et financiers, dont elle ne craint ni les millionaires ni les magnats financiers. Sa nomination démontre la nécessité de s’entourer des meilleurs éléments aux affaires étrangères afin de pouvoir négocier avec le prochain Président des USA, fervent opposant au libre-échange et au rapprochement avec la Chine que prône le Canada.

Autre remaniement révélateur, l’actuel Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, se voit évincé au profit de Ahmed Hussen, avocat de Toronto d’origine somalienne et lui-même ancien réfugié au Canada, arrivé seul à l’âge de 16 ans. C’est ainsi une première pour le Canada de nommer un ancien réfugié parmi les 30 ministres formant le gouvernement. Son vécu en tant que réfugié et sa maitrise juridique font de lui un interlocuteur de premier choix pour comprendre les dossiers complexes que sont les réfugiés syriens et la nécessité de les intégrer rapidement au sein de la société canadienne. Cette nomination, largement saluée par la presse canadienne, est une victoire de plus pour le multiculturalisme et l'ouverture du Canada, qui prévoit notamment l’arrivée de 320'000 migrants pour la seule année 2017.

Trudeau et son nouveau Ministre de l'Immigration, l'ancien immigré juriste Ahmed Hussen. Crédit: Adam Scotti.

Un gouvernement canadien en contraste avec son voisin

Ces remaniements ne changent cependant pas la parité hommes-femmes instaurée par Trudeau lors de son élection en 2015, avec 15 hommes et 15 femmes, choisis parmi les 183 députés du Parti Libéral. La diversité de ses membres n’est également plus à prouver, avec plusieurs représentants de la communauté sikh, une représentante autochtone à la tête du Ministère de la Justice, différentes religions et milieux culturels, mais un seul gouvernement, uni jusqu'à présent. 

Alors que chez son voisin américain on s’apprête à célébrer l’investiture d’un gouvernement composé de l’élite des milieux économiques et de l’establishment, allant des anciens de Goldman Sachs et de Wall Street à des businessman milliardaires issus du milieu pétrolier et des proches de Trump, le Canada fait plus que jamais figure de rempart idéologique contre l’idée de cette politique menée selon un management de multinationale. Le Canada nous prouve cette semaine que même s’il y a des agencements effectués pour négocier au mieux avec le gouvernement de l'ère Trump, il continue néanmoins sa route vers le multiculturalisme et l’ouverture aux minorités, les appliquant toujours plus au sein de la vie politique canadienne. 

In Canada we trust

« Veuillez prendre note que notre bureau d’intégration des nouveaux arrivants de Montréal sera ouvert exceptionnellement après le vote américain ». Ce tweet incisif, en provenance du maire de Montréal, Denis Coderre, résume bien la situation qu’il règne au Canada en cette nuit d’élection américaine. Dès les premières annonces mardi soir de la domination de Trump dans les sondages, le site internet de l’immigration canadienne s’est retrouvé saturé par les multiples recherches de citoyens américains cherchant le moyen de fuir la présidence du controversé milliardaire. Au Canada comme en Suisse, la victoire de Trump est une surprise. A la différence que pour le Canada, il s’agit non seulement de son premier partenaire économique mais également de son seul voisin direct. La victoire du candidat républicain occupe ainsi l’ensemble des discussions et les incertitudes sont totales quant à l’avenir des relations entre les deux Etats nord-américains.

D’une part, le phénomène migratoire des Etats-Unis vers le Canada n’est pas pris à la légère. Il y a quelques mois déjà, une ile de Nouvelle-Ecosse, une province au nord-est du Canada, avait fait le buzz en proposant d’accueillir les « réfugiés » américains en cas de victoire de Trump afin de combler le déficit démographique dont souffrait la région. Si l’histoire se voulait humoristique, le succès fut réel, avec plus de 2’000 réponses positives du côté américain. Plusieurs célébrités ont également fait part de leur volonté à traverser la frontière en cas de oui, reste à savoir si cela se réalisera. L’écrivain Stephen King ou les chanteuses Cher et Barbra Streisand pourraient ainsi devenir citoyennes et citoyens du Canada dans les prochaines années. Finalement, la popularité du Premier ministre Justin Trudeau auprès des Américains et les sondages montrant un soutien de plus de 80% à Hillary Clinton de la part des Canadiens ont achevé de convaincre les Américains qu’une terre d’accueil se trouvait peut-être au Nord.

Plusieures agences immobilières ont surfé sur la vague migratoire des Américains au Canada

 

De plus, les incertitudes sont nombreuses quant à la politique bilatérale canado-américaine à venir. La raison est très simple : Trump n’a jamais fait part d’un programme précis quant aux relations commerciales et politiques avec ses partenaires principaux. Son aversion pour les accords de libre-échange internationaux, comme l’ALENA, qu’il a déjà menacé de dénoncer, pourrait peser dans les actuelles négociations de l’Accord Transpacifique du Canada. L’accord de libre échange entre le Canada et l’Union Européenne, le fameux CETA, dont les rebondissements ont tenu en haleine le pays il y a encore quelques semaines, se voit également ébranlé par ce nouvel échiquier politique. Le libre-échange est mis à mal par l’arrivée du candidat Trump, clairement en faveur d’un repli sur la production américaine.

Mais ces questions commerciales ne sont pas la menace principale. Un autre enjeu canado-américain se trouve ébranlé par la victoire de Trump : l’énergie. Si Obama a imposé son véto à la construction du controversé Oléoduc XL, visant à transporter le pétrole issu des sables bitumineux d’Alberta jusqu’aux raffineries du Mexique – en passant par les terres appartenant aux Sioux – son successeur, lui, a déclaré qu’il en ferait l’un de ses objectifs principaux. Suivant une stratégie de relance des énergies fissiles (sic), Trump souhaite également dénoncer l’accord de Paris sur le climat car, après tout, « le réchauffement climatique n’est qu’un hoax créé par les Chinois pour freiner l’économie américaine ». Le Canada, déjà dans une position environnementale ambiguë avec son énergie issue des sables bitumineux,  arrivera-t-il à ne pas céder aux pressions politiques américaines et aux lobbys des énergies fossiles ?

Ainsi, les incertitudes sont nombreuses aujourd’hui au Canada quant à l’avenir de l’Amérique du Nord. L’équilibre qui régnait depuis l’élection de Justin Trudeau il y a tout juste un an et l’amitié nouée avec son voisin Obama, digne d’une véritable bromance, se voit remise en question et il ne fait aucun doute que la politique étrangère du Canada – si souvent citée en exemple par son multiculturalisme, sa tolérance et son ouverture aux autres – va devoir s’adapter à celle de son nouveau voisin. Aujourd’hui, in Canada we trust. 

Oléoduc XL, coulera ou coulera pas?

« Je veux le voir construit ». C’est par ces mots que le candidat à la présidence américaine Donald Trump a qualifié sa position quant au projet de construction de l’oléoduc XL, un gigantesque projet de pipeline reliant l’Alberta jusqu’aux raffineries américaines du golfe du Mexique, soit une installation continentale acheminant la production des sables bitumineux canadiens sur plus de 3'000 kilomètres. Si ce projet ne vous évoque rien, il a cependant été l’objet d’une véritable crise diplomatique outre-Atlantique entre le Canada et les Etats-Unis et continue aujourd’hui de faire régulièrement la une des journaux par les scandales reliés à TransCanada – la société responsable du projet – et les différents partisans et opposants au projet. Les déclarations de Trump ne font ainsi qu’ajouter de l’huile (minérale) sur le feu et relance la question de l’avenir énergétique du Canada. Alors que révèle l’oléoduc XL au-delà du combat entre partisans de l’exploitation des sables bitumineux et leurs opposants ? Quels sont les intérêts en présence et quel futur est envisageable ? L’oléoduc XL, coulera-t-il ou ne coulera-t-il pas ?

Afin de mieux cerner tous les enjeux liés à ce pipeline, il est nécessaire de remonter à sa source : les sables bitumineux. Cette technique de production de pétrole a certes permis de prolonger l’échéance des réserves de pétrole et de développer de nouvelles technologies d’extraction et de transformation des « sables » en huiles minérales mais au risque d’un coût environnemental énorme, le pétrole issu de cette production étant l’un des plus sales au monde. Malgré cela, la production n’a cessé d’augmenter ces dernières années en Alberta, au risque de proquer de graves conséquences environnementales : lourdes émissions de gaz à effet de serre, détérioration de l’eau et des rivières, boues toxiques et aridité des sols ne sont que quelques effets observés sur les lieux d’extraction, terres noires et lunaires rythmées par le seul va-et-vient des machines à extraction des sables. Selon les journalistes de cash investigation qui se sont récemment penchés sur les enjeux pétroliers en Alberta, si l’on veut respecter les engagements de la COP21, 85% des sables bitumineux ne devraient ainsi pas être exploités, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

Exploitationn des sables bitumineux en Alberta   PHOTO : JEFF MCINTOSH

Mais cet essor de la production de sables bitumineux ne plait pas à tout le monde. En novembre 2015, après des années d’incertitudes et de négociations, Obama annonce son opposition à ce projet et enterre ainsi l’oléoduc XL, au grand malheur du gouvernement canadien de Stephen Harper et de la compagnie TransCanada, qui poursuit aujourd’hui le gouvernement américain en justice et demande 15 milliards à la puissance américaine de dommages et intérêts, un procès historique pour les Etats-Unis. L’histoire aurait pu ainsi s’arrêter là. C’était sans compter l’arrivée d’un nouveau pion sur l’échiquier, Donald Trump, qui en quelques déclarations, ressuscite le projet à lui seul en annonçant que l’oléoduc sera construit s’il est élu président. Du côté canadien, on se frotte les mains chez TransCanada et on appréhende du côté de l’opposition. La position est ainsi renversée : le gouvernement canadien de Trudeau hésite, préférant de nouveaux projets moins controversés, et les Etats-Unis sont favorables à sa construction, un vrai cas de RealPolitik. Dans ce nouveau cas de figure, impossible de savoir qui l’emportera finalement, d’autant qu’il reste à Trump à se faire élire, ce qui n’est encore qu’une projection aujourd’hui.

De plus, d’autres projets d’oléoducs ont émergé au cours de ces différents épisodes de la saga pétrolière. Le plus important est très certainement le projet Energie Est, qui consiste à transporter les sables de l’Alberta au Québec, pour ensuite exporter la production pétrolière en Europe. Total en est ainsi l’un des partenaires principaux de ce projet qui devrait voir le jour d’ici 2019 et s’étendre sur plus de 4'000 kilomètres. Les 155 communautés autochtones présentes sur le tracé du projet ont ainsi soudainement reçu des financements pour leurs fêtes traditionnelles, des nouveaux locaux de réunions, et ce à grand renfort de logos Total présents un peu partout. Mais dans la province du Québec, la situation est différente. Le Québec s’oppose encore et toujours à l’envahisseur, n’hésitant pas à manifester régulièrement, à multiplier les marches contre TransCanada et à installer des pancartes explicites « Coule pas chez nous» dans leurs jardins et places publiques, impossible de les manquer de Montréal à Québec, elles sont partout.

Manifestation contre le projet Energie Est PHOTO: Ici Radio Canada

Ainsi, si le sort de l’oléoduc XL est dépendant du résultat des élections américaines et du résultat judiciaire du bras de fer entre le gouvernement américain et TransCanada, le projet Energie Est, lui, va dépendre de l’accord trouvé entre les différentes provinces canadiennes, le gouvernement de Trudeau, TransCanada et la société civile. Le cas des oléoducs canadiens nous montre ainsi bien plus qu’un simple projet énergétique, il est non seulement réflecteur de la situation géopolitique et économique actuelle mais représente également un symbole de la complexité de la politique énergétique canadienne, partagée entre une position historique de pays extracteur de matières premières et la volonté d’amorcer un tournant énergétique orienté vers les énergies vertes, portée par le gouvernement Trudeau.

 

Pour plus d’informations :

http://www.coulepascheznous.com

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La cabane à sucre, ou l’art de la conservation des traditions

La température qui repasse en degrés positifs, la neige qui entame son timide repli, les oiseaux migrateurs qui reviennent, pas de doute, un vent de printemps souffle en terres canadiennes. Cette période de l’année correspond également à un événement très important : la récolte du sirop d’érable, qui s’accompagne d’une grande fête des sucres, se prolongeant du mois de mars au mois d’avril, au rythme des gouttes d’eau d’érable s’échappant des précieux feuillus. Si l’on connaît bien le sirop d’érable en tant que produit en bouteille, disponible dans toutes les grandes surfaces, le chemin parcouru de la sortie de l’érable jusqu’à notre table, en passant par la valeur culturelle de ce précieux sirop, reste encore relativement méconnus du grand public. Alors que cache l’érable au-delà de sa place d’icône du drapeau canadien ? Quelle importance tient le sirop d’érable dans la culture canadienne d’aujourd’hui ?

De l’érable à la bouteille

Il faut savoir que le sirop d’érable est le fruit d’une importante transformation. D’abord récolté des érables sous forme d’eau, dont le goût sucré est presque indétectable, le sirop est ensuite obtenu par un procédé d’ébullition qui permet de séparer le sucre de l’eau pure. Il faut ainsi 40 litres d’eau pour créer 1 litre de sirop d’érable. Bien des exploitations tiennent aujourd’hui à conserver la tradition de la récolte à l’aide de seaux fixés aux arbres et non de câbles reliant les arbres directement à la cuve centrale. La tradition prime ainsi sur la productivité dans plusieurs de ces cabanes, luttant contre une récolte certes plus efficace mais bien moins ancestrale.

Une tradition qui perdure

Industrie sans pareil au Canada, le commerce de l’érable a parfaitement intégré le milieu touristique de ses multiples dérivés à l’érable : le beurre d’érable ou le popcorn à l’érable valent largement le détour, soyez-en assuré. Mais l’érable va au-delà de la simple production de sucre, tout un art de vivre y est associé : la production étant fortement reliée au climat particulier qui est nécessaire à la production de la sève, l’érable illustre une dépendance à l’environnement qui se fait rare dans les autres productions agricoles, les engrais et les méthodes modernes permettant de maitriser les aléas de la nature. L’érable, lui, conserve cette fragilité même si l’évolution de la technologie a tout de même permis d’accroitre la production. Cette année s'avère notamment être une récolte exceptionnelle, la production étant jusqu'à doublée chez certaines acériculteurs tant les conditions climatiques sont idéales. De plus, la production de sirop représente aussi tout un art des produits du terroir, qui sont mis à l’honneur durant les fêtes des sucres : saucisses à l’érable et tartes au sucre y remportent toujours un franc succès. Cette dépendance au climat ainsi que les produits d’antan mis à l’honneur forment ainsi un rappel à un passé qui semble toujours plus lointain, au fil de l’évolution des modes de vie de nos sociétés.

Cuve tradittionnelle pour préparer le sirop d'érable, Sucrerie de la Montagne

De la cabane à sucre à la buvette d’alpage

Si les cabanes à sucre authentiques sont des hauts lieux de conservation de la tradition, elles ne sont pas sans rappeler une forme d’équivalence connue en Suisse. En effet, le chalet d’alpage et sa traditionnelle buvette pour randonneurs ou les fêtes de la désalpe ne sont que quelques exemples de cet appel à la tradition que nous connaissons également en terre helvétique.

Ces différents lieux et événements forment ainsi des ponts entre tradition et modernité, démontrant une époque révolue mais dont on n’est pourtant pas prêt à se séparer. Alors pensez-y la prochaine fois que vous sucrerez vos crêpes au sirop d’érable, c’est toute la tradition et le terroir canadien que vous dégustez. 

La bromance canado-américaine

Cette semaine, impossible de passer à côté de cette information. Journaux quotidiens, chaines d’information, radio… au Canada, tout tourne autour de la visite historique de Justin Trudeau chez son grand voisin nord-américain. Il faut dire que cela fait plus de 16 ans qu’un Premier ministre canadien n’avait pas eu d’invitation officielle avec le Président des Etats-Unis. Cela révèle le tournant sans équivoque de la politique canadienne depuis l’ascension des libéraux en novembre dernier, mené par le Premier ministre Justin Trudeau.

« Il n’y a pas de relation dans le monde comme celle entre le Canada et les Etats-Unis »

Le ton est donné. La phrase est de Trudeau mais Obama trouve également des mots très forts : « On dit qu’on peut choisir nos amis, mais pas nos voisins. Par la géographie, nous sommes voisins, mais c’est par choix que nous sommes des alliés indéfectibles et les amis les plus proches ». Ces quelques mots, loin d’être anodins, prononcés par un Président américain rayonnant, ont surpris plus d’une personne par la teneur chaleureuse et familiale anormalement décontractée pour une rencontre entre deux chefs d’Etats. Se lançant mutuellement de nombreux compliments, qu’il s’agisse de la diversité de leurs populations respectives, de leurs relations économiques et commerciales ou du fait qu’aux Etats-Unis et au Canada, chacun est aujourd’hui libre d’aimer qui il souhaite, cette rencontre semble en passe de devenir historique, du moins au Canada. La relation entre le Premier ministre le plus cool du monde et le Président le plus classe du monde est qualifiée par les médias et les réseaux sociaux de véritable « bromance », vous savez, cette amitié virile et tendre mais sans sentiment amoureux. La toile s’enflamme ainsi de « bromance » et de « Trubama » à mesure que la rencontre diplomatique se poursuit.

 L'une des images illustrant la "bromance" entre Trudeau et Obama qui enflamme la toile et les médias

Des relations pas toujours au beau fixe

Cette relation privilégiée est pourtant inédite. Il y a encore moins de deux ans, les relations avec l’ex-Premier ministre Harper étaient au plus mal, ce dernier exerçant de fortes pressions sur Obama afin de faire valider le controversé – et désormais enterré – projet d’oléoduc transnational. Ce gigantesque projet de construction visait à relier les régions nord-canadienne exploitatrices de sables bitumeux jusqu’aux Etats-Unis, provoquant de forts risques de pollution des eaux ainsi qu’une contribution supplémentaire au réchauffement climatique. Malgré un Congrès à majorité républicaine favorable à ce projet, Obama use de son véto en novembre 2015 et enterre définitivement le projet, du moins jusqu’à la fin de son mandat.

Aujourd’hui, l’un des sujets principaux de cette rencontre officielle est justement de prévoir un cadre d’action visant à la mise en place des engagements pris à la COP21 ainsi qu’un ambitieux plan de réduction des émissions de méthane de 40% d’ici à 2025. En outre, les deux dirigeants ont d’emblée réaffirmé leur volonté commune de faire de la lutte contre le changement climatique une priorité de leur politique. Le contraste avec la situation d’il y a deux ans est ainsi saisissant.

L’ombre de Trump en arrière-plan

Cette rencontre idéelle cache cependant certaines appréhensions quant à l’avenir. Au Canada, plus précisément à Montréal où je me trouve, la peur de voir Trump accéder à la présidence américaine est maintenant bien réelle. Il y a quelques mois encore, le milliardaire provocateur n’était pas pris comme une réelle menace. Cependant, les récents résultats du Super Tuesday, étape clé des primaires présidentielles, ont créé une réelle prise de conscience sur la possibilité de le voir accéder au siège présidentiel, provoquant aux USA une ruée sur les informations quant à savoir comment émigrer au Canada. Une ile canadienne a même proposé d’accueillir les « réfugiés » américains qui souhaiteraient fuir le futur régime de Trump.

Bien que l’avenir des relations diplomatiques entre le Canada et les Etats-Unis soit fortement dépendant du résultat des élections américaines, il n’en est pas moins impressionnant de voir les relations presque familiales qui se sont établies en très peu de temps. A l’heure des dissensions internationales et du morcellement des alliances, cette « bromance » a de quoi faire de nombreux jaloux à l’international. 

Le Trudeau Show

En octobre 2015, Justin Trudeau remportait les élections canadiennes et provoquait un renversement de pouvoir en issant le Parti Libéral au pouvoir au détriment des conservateurs. Près de 100 jours après son élection, quel bilan dresser de ce jeune Premier ministre qui, une chose est certaine, passionne les foules, en bien ou en mal ? Quel crédit accorder à sa personnalité atypique, rompant avec les traditions de la vie politique ?

Tout d’abord, il faut savoir que Justin Trudeau porte un nom dont l’héritage est conséquent. Il est en effet le fils de Pierre-Elliott Trudeau, Premier ministre pendant 16 ans, ayant fortement contribué à rehausser le Canada sur la scène internationale et dont le caractère flamboyant en a fait une personnalité incontournable au Québec. Cet héritage, qui peut être un atout comme un fardeau, n’a cependant pas été revendiqué par Justin Trudeau lors de sa campagne, lui-même semblant penser que cela ne fait pas de lui un chef d’Etat et qu’il faut trouver des arguments ailleurs pour convaincre l’électorat.

Le nouveau visage de l’homme politique

Alors où a-t-il trouvé les arguments visant à prouver sa capacité à gouverner le 2ème Etat du monde en termes de superficie et le 11ème en termes de puissance économique ? C’est à travers le visage d’un homme politique résolument nouveau, à contre-courant des politiciens habituels, qu’il s’est démarqué. C’est d’ailleurs toujours sa ligne de conduite maintenant qu’il est élu. Sa fraîcheur, son jeune âge, ses déclarations politiquement incorrectes et sa parfaite maîtrise des réseaux sociaux lui ont permis de convaincre une large part de la population, dont les jeunes, qui ont voté en très grande partie pour lui. Etudiante à l’Université de Montréal, je croise régulièrement des étudiants portant des t-shirts à son effigie ou des badges issus de la campagne d’octobre dernier. Imaginons un instant une pareille situation pour un Johann Schneider-Ammann. Impossible. Devenu une icône par la proximité créée avec le peuple, Justin Trudeau ne porte pas tout le temps de cravate, prend part à des matchs de boxe contre ses adversaires politiques et répond avec un flegme exemplaire à un journaliste lui demandant pourquoi avoir instauré la parité homme/femme dans son cabinet par un « Parce que c’est 2015 », lui valant d’être repris par un large panel de médias locaux et internationaux.

Ainsi, près de 100 jours après les élections, sa popularité est grandissante, un dernier sondage montrant que si des élections devaient se tenir aujourd’hui, son Parti Libéral remporterait largement le Canada.

Des ombres (furtives) au tableau

Bien sûr, cette popularité générale n’efface pas une certaine opposition, représentée majoritairement par les conservateurs, qui voient Trudeau comme un novice ne cherchant qu’à mettre son image en avant et en décalage total avec les réalités des enjeux politiques. Ces derniers n’hésitent pas à faire entendre leur voix pour montrer leur mépris envers ce nouveau Premier ministre ultra médiatisé.

Leur inquiétude concerne notamment la perte d’influence du Canada sur le plan international.  En effet, l’une des premières décisions de Trudeau a été de cesser les bombardements contre l’EI, justifiant que « les gens qui sont terrorisés par l'EI tous les jours n'ont pas besoin de notre vengeance. lls ont besoin de notre aide ». Cette politique de retrait n’est pas restée sans conséquence puisque les alliés de la coalition se sont ainsi passés de la présence du Canada lors de leur dernière conférence sur la stratégie à mener face à l’EI, irritant encore plus les opposants à Trudeau qui crient à la décadence du pays. De plus, le récent attentat de Ouagadougou, qui a fait les deux premières victimes suisses de terrorisme, a mis Trudeau dans une stuation difficile : avec sept victimes canadiennes, c’est l’attentat le plus meurtrier depuis le 11 septembre pour le Canada. Cette annonce de retrait des troupes provoque ainsi chez certains un sentiment d’inaction que Trudeau va devoir justifier dans les mois à venir.

Caricature de la position du Canada au sein des enjeux mondiaux, Lengelé

La victoire du Trudeau Show

Justin Trudeau navigue ainsi entre l’image du Premier ministre idéaliste, précurseur, voulant rompre avec la tradition du politico-correct et une image d’un Premier ministre rêveur, naïf et n’ayant pas conscience de la complexité des enjeux canadiens et mondiaux. Même si les sondages montrent une opinion favorable à son début de mandat, les enjeux dont il a la responsabilité sont loin d’être faciles à résoudre et sa cote de popularité pourrait bien être ébranlée au prochain faux pas. Cependant, que l'on aime ou que l'on méprise Trudeau, il faut relever sa capacité à lever les foules, notamment une partie de la jeunesse qui se retrouve en lui et dont il a éveillé un intérêt nouveau pour la politique. A l’heure de l’absentéisme pour les votations et la vie politique, qui se retrouve également en Suisse, on peut déjà parler d’une victoire du Trudeau Show.

 

 

 

Bienvenue au Canada

Le Canada, avec ses presque 10 millions de km² de terrain, forme le deuxième pays en terme de superficie au monde. Cependant, cette vaste étendue de terre est loin d’être homogène. Avec plus de 35 millions d’habitants, dont 8 millions uniquement pour la province du Québec, la diversité régionale et le multiculturalisme sont des éléments clés de cette monarchie constitutionnelle nord-américaine. Historiquement créé sur des bases sécuritaires – vivre ensemble ou mourir seul – le Canada s’est peu à peu forgé une identité propre tout en conservant une forte hétérogénéité, revendiquée notamment par le bilinguisme et le fédéralisme à travers le système politique provincial.

Ces éléments ne sont pas sans rappeler un autre Etat, européen pour sa part, lui aussi confronté au plurilinguisme et à une forte politique régionale. La Suisse, différente en de nombreux points, notamment par sa superficie mais dont le système institutionnel et la culture ne sont pas si éloignés de notre partenaire nord-atlantique. Au niveau culturel, la francophonie et le mode de vie relativement semblable de ces deux Etats en font des voisins particuliers, dont la séparation est créée presque uniquement par le nombre de kilomètres qui les éloignent l’un de l’autre. Ce sont ces similitudes, mais également les éventuelles divergences existantes, que je vous propose de découvrir à travers mon séjour au pays du Grand Nord blanc.

Une source d’inspiration multiple

Au-delà de ces quelques remarques préliminaires, ce qui peut constituer le premier élément de cette analyse des relations helvético-canadiennes est que le Canada est une source d’inspiration pour une pléiade d’enjeux actuels que connaissent la Suisse ou ses voisins européens. Sans pour autant prétendre vouloir appliquer le modèle canadien sur le modèle suisse, des idées, des solutions et des défis de ce grand pays auraient intérêt à être davantage mis en lumières dans la sphère politique et médiatique suisse. Par exemple, la récente élection du libéral et très médiatique Justin Trudeau en octobre dernier au poste de Premier ministre et le souffle d’ouverture qui a suivi depuis est en contraste total avec le vent de fermeture qui s’étend en Europe occidentale. L’accueil du 10’000ème réfugié syrien a d’ailleurs été franchi il y a quelques jours, non sans une forte médiatisation, de la presse autant que du gouvernement libéral. Bien sûr le Canada est un pays très vaste et l’accueil de 10'000 réfugiés fait figure de débutant face à une Allemagne qui, elle, les compte déjà en millions. Il n’en est pas moins que ce vent d’ouverture est une affaire à suivre, car cela va bien au-delà de la problématique migratoire. Le gouvernement de Trudeau a déjà mis sur la table plusieurs dossiers très emblématiques qui n’étaient absolument pas d’actualité sous le gouvernement précédent du conservateur Stephen Harper : tarification du carbone, retrait des troupes au Moyen-Orient, implication dans le conflit israélo-palestinien ou légalisation de la marijuana n’en sont que quelques exemples.

Des enjeux bien présents

Ce contexte d’ouverture est d’autant plus pertinent qu’il intervient dans une situation économique difficile pour le Canada. En effet, le dollar canadien, également appelé le huard, a perdu plus du tiers de sa valeur depuis 2013, victime de la chute des prix du pétrole qui constitue l’une des exportations majeures du Canada. Cette baisse du huard, la plus importante depuis ces 13 dernières années, est d’autant plus problématique que le dollar américain, lui, s’est renforcé tout au long de l’année 2015. Les Etats-Unis représentant le principal partenaire économique du Canada, ce double déséquilibre risque de créer du côté du Canada une importante baisse de la consommation, qui se matérialise déjà aujourd’hui par une forte hausse des prix de certaines denrées importées, comme les légumes. Toutefois, on observe également une progression importante du tourisme en provenance des Etats-Unis, qui nous montre une fois de plus qu’il existe des gagnants et des perdants à cette situation. Sur ce point, il y a bien une différence majeure entre le Canada luttant contre la baisse de son dollar et la Suisse luttant contre le renchérissement du franc.

Un autre enjeu que vit en ce moment le Canada est la capacité du nouveau gouvernement libéral à faire ses preuves après les premiers mois suivant la transition de pouvoir. Les libéraux ont certes remporté haut la main les dernières élections d’octobre 2015, mais les opposants à Trudeau n’ont pas tardé à faire entendre leur voix. Son manque d’expérience exécutive, son jeune âge, ses projets de réforme pour le moins ambitieuses, comme cité plus haut, en font un personnage autant admiré que décrié. Son omniprésence médiatique est également fortement jugée, même au sein de son propre camp. Il est l’un des chefs d’Etats les plus présents sur les réseaux sociaux, n’hésitant pas à publier des photos le montrant dans des situations insolites, du match de boxe caritatif auquel il sort vainqueur en passant par la séance de danse orientale. On est alors loin de nos discrets conseillers fédéraux, qui cultivent avec sagesse l’antithèse du culte de la personne. Justin Trudeau nous fait plus penser à un Barack Obama, présent sur le terrain à grand renfort de communication 2.0. Cependant il serait réducteur de dire que la « Trudeaumania » est forcément un symbole d’incompétence politique, la communication agressive ne signifiant pas qu’il n’y ait pas d’actes concrets et efficaces qui suivent.  Affaire à suivre dans la vie politique de ces prochains mois.

Vers des temps intéressants

Au vu de ces quelques éléments précités, il serait faux de déclarer que le Canada n’est qu’un lointain voisin pour nous autres, Suisses. Un océan nous sépare peut-être, mais le système politique, les enjeux actuels en termes de diversité linguistique, d’immigration, d’environnement ou de fédéralisme nous rapprochent fortement, sans oublier le vent de libéralisme qui souffle sur le Canada et qui promet de voir des changements intéressants se produire au cours des prochains temps. Le Canada mérite donc une place qui soit davantage mise en valeur sous les projecteurs helvétiques à l’avenir. J’essaierai ainsi d’y contribuer à mon échelle via ce blog. 

 

Le Président Schneider-Ammann et son homologue Trudeau lors du Forum Economique de Davos en janvier 2016