Eco-conception, responsabilité et priorités

L’éco-conception de tout emballage devrait aller de soi, devrait même être rendue obligatoire. Mais cette étape ne devrait-elle pas être que transitoire sur le chemin de la réduction de la production de nos déchets ? Tout dépend de l’objectif et de la logique que l’on poursuit.
Récemment, Le Temps a publié une interview de Julien Boucher, chercheur à la HEIG-VD et fondateur du Pôle éco-conception suisse. Le titre me dérange quelque peu… “Emballages. Il n’existe pas encore de matière miracle”. De même que la notion de “paradoxe de l’emballage”, qui dit que si l’emballage est un déchet, il a aussi son utilité. Comme si on ne pouvait pas se passer d’emballages, qui plus est, d’emballages plastiques. Il existerait donc des emballages plastiques justifiés, vertueux… Vraiment ? Je pose la question, car il me semble que le cadre de réflexion n’est pas le bon.
(c) photka, sur le site www.actu-environnement.com
L’éco-conception, c’est bien et c’est nécessaire. Pas un-e industriel-le ne devrait avoir le droit de produire quoi que ce soit sans s’être soucié-e au préalable des déchets que son produit produira pendant sa production, sa distribution, en fin de vie ou de consommation. Tous les matériaux utilisés pour le fabriquer, le conditionner, le transporter, le vendre devraient avoir été analysés dans l’optique d’une économie circulaire où rien n’est jeté, détruit ou brûlé, mais où tout est réutilisé, recyclé, composté, méthanisé, etc.
Avec une telle contrainte, nous n’aurions plus beaucoup gadgets “made in China” ou de fast fashion dans nos magasins… Celui ou celle qui utiliserait encore le concept d’obsolescence programmée dans la conception et la production de ses produits serait soumis à de fortes pénalités et aurait l’obligation de changer sa pratique rapidement. Les gyres ou vortex de plastiques qui tournent dans nos océans verraient leurs nombreuses sources taries rapidement (voir l’illustration de www.raceforwater.com, une fondation qui a pour but de préserver l’eau. Leur nouvel odyssée 2017-2021 est partie de Lorient le 7 avril dernier. A suivre ici).
(c) www.raceforwater.com

Pour réussir à vraiment éliminer les emballages, très souvent du plastique qui finit sa vie dans les océans, il doit être question de transfert de responsabilités. Le producteur est responsable de ses produits et de ses emballages jusqu’au bout (c’est lui le pollueur, pas le consommateur), tandis que le consommateur est seulement responsable de la propreté des contenants qu’il ré-utilise et amène au magasin.

Transfert de responsabilité

L’éco-conception est nécessaire, mais on ne devrait pas mettre tous nos espoirs en ce qui devrait n’être qu’une étape de transition. Si on veut réellement diminuer, voire éliminer les emballages et les déchets, il faut aussi changer de mentalité et de réflexes, d’un bout à l’autre de la chaîne de production-consommation.
Il faut abandonner l’idée que l’emballage jetable ou à usage unique – la plupart du temps en plastique – est nécessaire et irremplaçable. Saviez-vous que 95% des déchets en mer sont constitués de plastique? Saviez-vous que 36% de tout le plastique produit sur terre est destiné aux emballages ? Le National Geographic a produit ce graphique ci-dessous: la partie rose est celle des emballages. Depuis son célèbre numéro consacré au problème du plastique, une plateforme d’informations sur ce gigantesque problème est disponible ici (en anglais).
(c) National Geographic
Et la consigne me direz-vous? C’est un pis-aller car le nettoyage de ses contenants par le producteur ou le détaillant doit être fait dans les règles de l’art (et de la législation). En plus de transport aller et retour, cela demande un équipement particulier, de l’eau, etc., eux aussi coûteux pour le producteur (mais j’en paie une partie comme consommatrice) et pour l’environnement. Il faut donc que si consigne il y a, le nombre de kilomètres parcouru soit le plus restreint possible.
Pourtant, on le sait, une bouteille consignée, si elle passe 15 fois par le système, est de loin la solution la plus écologique, tous les facteurs étant comptés. C’est le résultat d’une étude commandée par Coca Cola à l’ingénieur Arsen Darney (extrait de l’émission Cash investigation de France2 consacrée au plastique ici) il y a cinquante ans déjà! Malgré les résultats sans équivoque, Coca Cola a enterré sa bouteille en verre et tout le système de reprise qui allait avec. Par appât du gain. La multinationale est en train de faire pareil en Tanzanie actuellement…
A mon sens, les consommateurs doivent se réapproprier la responsabilité du transport des denrées qu’il achètent. Il s’agit aussi de transférer la responsabilité de la propreté du contenant au consommateur. On s’éloigne nettement du fonctionnement de notre société de sur-consommation et de déresponsabilisation. L’éco-conception devrait déjà aller de soi, mais c’est un changement profond de toutes nos habitudes de consommation qui doit s’opérer, si on veut éviter l’usage du plastique à usage unique et si on vise un bilan carbone le plus favorable possible pour les emballages qui subsistent. Seuls les grands contenants seraient nécessaires, ceux qui servent à ravitailler les détaillants et bien sûr, ils devraient être réutilisables.
La voie vertueuse existe: c’est la vente en vrac. C’est amener ma bouteille propre (nettoyée par mes soins) et la faire remplir chez le détaillant ou le producteur. Je le fais pour l’huile, le vinaigre, le produit vaisselle ou la lessive (quand je ne les fabrique pas moi-même), certains produits de droguerie (benzine rectifiée p. ex., alcool de désinfection). On peut le faire pour la bière (www.beerstation.ch), le vin (système des cubitainer en plastique, mais à réutiliser). Pour les produits laitiers liquides (lait, yaourts, crème), j’ai recours au système de consigne. La production est locale et les contenants ne font pas beaucoup de kilomètres aller et retour.
Et bien sûr, tous les fruits et légumes qui se pèlent ont déjà leur emballage avec eux, naturel et compostable. De grâce, boudez les emballages des citrons et des bananes, des oignons et des kiwis, des carottes et des mangues!
Station de pressage de jus d’orange frais, comme on commence à en voir en supermarché.
Bien sûr, c’est impossible pour certains produits particuliers (champagne p. ex.), mais je rétorque qu’on en consomme pas tous les jours non plus… Pour le jus d’orange de l’illustration, je pense qu’il est aussi possible d’amener sa propre bouteille de même contenance pour éviter de prendre celle en plastique. Encore faut-il que le magasin joue le jeu.
Pour toutes les autres denrées de base solides, mouillées ou sèches, rien de tel que les boîtes hermétiques que l’on apporte soi-même, des sachets en tissu dont on peut faire la tare au magasin… Mais ça, vous le savez déjà !

Priorités

Certains grincheux et ronchonnes diront ne pas avoir le temps de faire leurs courses de cette manière. Que leur répondre ? S’approvisionner des denrées qui nous font vivre, s’informer sur leur qualité, leur provenance, leur mode de production, et puis les cuisiner, les préparer, les manger, les partager… ne sont-elles pas des activités prioritaires ou tout le moins des activités qui devraient redevenir prioritaires dans nos vies ? Est-ce vraiment mieux d’avoir placé nos nombreuses activités accessoires à notre survie (comme le travail, nos loisirs, nos hobbies, notre hyper-présence sur les réseaux sociaux virtuels…) au centre de notre activité d’être humain?
Pour ma part, faire les courses était devenu une corvée: moins elle me prenait de temps, mieux c’était.  La question qui se pose est: et tout ce temps gagné, c’est pour en faire quoi ? A-t-on réellement plus investi dans nos relations sociales, cet autre ingrédient indispensable à notre survie d’êtres humains ?
Oui, j’admets, faire ses courses ailleurs qu’en supermarché, cela prend du temps. Mais franchement, c’est aussi très chouette. Faire mes courses, c’était une corvée, c’est devenu un loisir car rien ne remplace les contacts humains autour des choses que l’on sait bonnes.

Valérie Sandoz

Valérie est engagée sur la réduction des déchets à titre privé depuis des années. Elle est l'auteur de plusieurs guides, donne des conférences, des cours et anime des ateliers. Géographe et ethnologue de formation, elle interroge notre façon de consommer et partage ses découvertes. Adepte du «fait maison» (conserves alimentaires, lacto-fermentation, cosmétiques, produits de nettoyage, etc.), Valérie anime un blog personnel consacré à la cuisine sans gluten, à la réduction des déchets et du gaspillage et à un mode de vie simple et joyeux.

5 réponses à “Eco-conception, responsabilité et priorités

  1. Le sac plastique n’est que l’emblème des déchets de notre civilisation. Aller faire ses courses avec un bol réutilisable ne représente même pas un changement de paradigme , mais seulement un retour au bon vieux temps. Pour tourner la page des déchets, il faut concevoir les produits selon un cycle tel que la nature nous l’expose: les déchets naturels sont réutilisés par d’autres espèces.
    Dans notre cas, il faut concevoir des produits de manière que tous leurs composants soient maitrisés dès le début en prévoyant leur récupération . Nous le faisons déjà très partiellement avec le verre, le papier, le PET, … il faut continuer dans cette voie en ne mettant sur le marché que des matières récupérables ou bio dégradables.
    Il faut en tout cas éviter que nos déchets finissent dans les océans ou la nature en général quitte à les incinérer .
    Les recettes de grand-mères ne sont pas d’actualité .

    1. Cher Hubert,
      On est d’accord, on dit la même chose, à peu de choses près…! Moi j’aime bien les recettes de grand-mère: souvent de bon sens, mesurées, adéquates et économiques. Cela fait longtemps que je ne crois plus aux sirènes du marketing, un peu comme Saint-Thomas, je dois voir, expérimenter pour “croire” (ou plutôt être convaincue). Voilà pourquoi les recettes de grand-mère et de grand-père ont toujours leur place dans notre société d’aujourd’hui.

  2. Bonjour Valérie,

    Merci pour cet article plein de bon sens. Le débat se focalise, comme vous l´écrivez, sur le côté eco-responsable des emballages, ce qui amène à toujours produire des déchets alors qu´il faudrait insister la réduction pure et simple des déchets en achetant beaucoup plus en vrac et avec des bouteilles consignées. Dès que l´on argumente dans ce sens, beaucoup de gens se braquent malheureusement et disent qu´ils en ont assez d´êtres culpabilisés et que le changement doit venir des gouvernements et des entreprises (alors que l´on n´a rarement vu un changement venir “d´en haut” tant que les intérêts économiques à persister dans la même direction, si dommageables les effets sur l´environnement soient-ils, sont là…).

    Le problème réside essentiellement dans la culture de consommation fortement ancrée dans les mentalités depuis les années 50, à savoir travailler au moins 40h par semaine dans un boulot qui ne plait pas forcément et ne pas avoir le temps et l´énergie ensuite pour avoir un échange social, une consommation responsable et une participation démocratique. Rajoutez à cela la croyance qu´une (sur)consommation est symbole de réussite et vous obtenez l´équation de la dégradation actuelle de notre planète. Ainsi, si notre modèle de société change, notamment notre rapport au travail et à l´argent (par le biais par exemple d´horaires de travail allégés mais qui permettent tout de même de vivre décemment, de plus de logements d´utilité publique, etc.), les citoyens seront beaucoup plus enclins à adopter des modes de consommation respectueux de l´environnement.

    Le travail de sensibilisation fait par ZeroWaste est très important et, au-delà du “simple” fait de réduire ses déchets (ce qui est déjà vraiment pas mal :)), permet une réflexion plus générale sur le type de société dans laquelle nous voulons vivre.

    Sophie

    1. Merci Sophie! Vous résumez très bien les choses. C’est même une réponse qu’on peut donner à Hubert (voir plus bas!).
      Le déchet qu’on évite, qu’on ne produit pas, ce n’est effectivement que le haut de l’iceberg… C’est comme une pelote de laine: cela commence par un petit bout, très anecdotique. Puis on tire sur le fil, et on dévide toute la pelote! On commence par faire sa lessive maison, à amener ses petits sachets au magasin, c’est très anecdotique, ça fait sourire en coin les sceptiques, et au final, on en arrive à questionner l’éco-conception des emballages, un concept nouveau pour les rendre plus acceptables alors que le véritable objectif est la non production de ces emballages s’ils sont non réutilisables ou non compostables.
      Demain, nos choix de citoyennes et de citoyens seront sans doute très différents par rapport à avant-hier, justement parce qu’on aura commencé par des petits gestes très anecdotiques qui peuvent faire sourire. Continuons, dans la joie et la bonne humeur!

  3. Je crois que la solution pour la prise de conscience passe par le porte monnaie, il faudrait dans l’exemple du jus d’orange vendre des bouteilles en plastiques de qualité, que l’on puisse les réutiliser. Une sorte de consigne, comme l’on peut voir pour les gobelets en plastiques pour la bière au stade. Vous payez 1€ soit vous le gardez soit vous le ramenez, il a une valeur.
    Pourquoi l’on jette des emballages qui peuvent resservir? Parce on en connait pas la valeur. C’est le fait de savoir que cela à un coût indiqué qui fait réfléchir les gens.
    Moi je suis passé à l’utilisation du vrac dès que je peux, j’ai mes flacons, pots et autres pousse mousse que j’ai pris ici neuf: https://nettoyer-la-maison.com/25-stockage-conditionnement
    Un petit investissement vite rentabilisé, ils me suivent régulièrement quand je me réapprovisionnent, et ne risquent pas de casser à contrario du verre qui est peut être plus intéressant écologiquement à première vue mais je suis pas convaincu.
    Entre le sable, la température de chauffe pour la création du verre et son recyclage aussi qui nécessite beaucoup de chaleur, je doute que l’impact soit moins élevé, même si ce n’est pas le débat ici.

    L’emballage est nécessaire, il met en valeur le produit contenu mais sert aussi à la transporter, qu’est ce qui empêche d’avoir des paquets de gâteaux consignés, que l’on ramène au magasin par exemple ou son pot de légume en boite réutilisable?
    Une idée à creuser

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