Élections en Afrique : Entre alternances politiques contestées et troisièmes mandats, que choisir ?

Élections en Afrique : Entre alternances politiques contestées et troisièmes mandats, que choisir ?

Depuis quelque temps, c’est la psychose un peu partout autour de nous, à cause du coronavirus qui a été finalement déclaré officiellement comme pandémie par l’OMS. Pour une fois, l’Afrique est moins touchée que l’Occident (pour l’instant seulement 140 cas de contamination) par ce fléau qui bouleverse bien des habitudes dans les pays dits riches. Au lieu de rajouter à la psychose ambiante qui règne autour de ce virus, dont ni l’ampleur ni la durée ne sont prévisibles pour l’instant, j’ai choisi d’aborder dans cet article un autre sujet, tout aussi sérieux, mais moins traumatisant. En principe. C’est celui des alternances pacifiques en Afrique et des prolongations de mandats présidentiels.

L’Afrique, d’une manière générale, a souvent été indexée pour ses alternances ratées, à cause de plusieurs raisons qu’il serait très complexe de développer ici. Plutôt que de m’attarder sur la situation de l’ensemble du continent, je mettrai l’accent ici sur l’Afrique de l’Ouest. Pourquoi cette partie de l’Afrique ? Elle a connu ces derniers temps une série de scrutins pour élire ou réélire des présidents qui, en principe, arrivaient au terme de leur deux mandats. D’autres pays de cette région connaîtront en cette année 2020 des consultations populaires, annoncées périlleuses pour certains, et jouées d’avance pour d’autres. Les spécialistes rappellent souvent que les pays d’Afrique, francophones notamment, sont assis sur une poudrière de scrutins à haut risque de déstabilisation, comparativement aux pays d’Afrique anglophone, qui semble-t-il, ont une longueur d’avance en matière d’avancées démocratiques. Cette assertion, défendable à bien des égards, est tout de même à relativiser, eu égard à quelques « bons élèves » qu’on peut recenser en Afrique francophone, dans sa partie Ouest plus particulièrement. Tentons d’y voir un peu plus clair pour comprendre les enjeux dans quelques pays choisis, qu’ils soient lusophones, anglophones ou francophones.

Commençons par la Guinée-Bissau, petit pays lusophone situé entre le Sénégal et la Guinée. Ce pays a organisé une élection présidentielle, en décembre 2019, qui l’a plongé dans un certain chaos, à tel point que les deux candidats à la présidence ont revendiqué chacun la victoire. D’un côté, Umaro Sissoco Embalo, donné vainqueur par la commission nationale électorale, avec 53,55 % des suffrages, de l’autre, l’ex-premier ministre Domingos Simoes Pereira, arrivé second avec 46,45 % des voix.  Dans un climat de forte tension, Umaro Sissoco Embalo a entamé depuis ce 10 Mars une tournée régionale au Sénégal, au Niger et au Nigeria, sans doute pour rassurer ces pays et s’assurer de leur soutien. Au final, la situation devrait rentrer dans l’ordre et Umaro Sissoco Embalo devrait exercer la réalité du pouvoir, lui qui a déjà prêté serment.

Chez l’autre Guinée voisine, francophone celle là, les élections législatives et le référendum constitutionnel n’auront pas lieu le 15 mars contrairement à ce qu’avait annoncé le président Alpha Condé à la fin du mois de février dernier. Ce dernier est soupçonné par ses détracteurs de vouloir tripatouiller la constitution et se présenter pour un troisième mandat. Le flou règne dans le pays et nul ne peut prévoir ce qui va se passer dans un avenir proche.

En Gambie, pays anglophone qui se trouve dans le ventre du Sénégal, le président Adama Barrow connaît des difficultés avec son ancien parti, lui qui a décidé de passer outre sa promesse de ne rester au pouvoir que trois ans avant de remettre son fauteuil en jeu. Vraisemblablement, il ira donc jusqu’en 2021. Après la période Yahya Jammeh, prédécesseur de Barrow, ce petit pays pourra-t-il survivre à une crise politique d’envergure ? Rien n’est mois sûr.

Au Bénin, au lendemain de son élection à la tête du pays, le président Patrice Talon avait promis de rester le temps d’un unique mandat. Or, les choses ont changé depuis et il n’a toujours pas dit s’il comptait s’arrêter à cinq ans ou non. Au Togo voisin, l’élection présidentielle a eu lieu le 22 février 2020 et a permis au président sortant Faure Gnassingbé d’être réélu, après avoir fait modifier la constitution, pour un quatrième mandat consécutif. Il a obtenu plus de 70 % des suffrages, un résultat contesté par l’opposition qui accuse le gouvernement de fraude électorale. A coté de ces incertitudes qui prévalent dans ces pays, d’autres ont choisi, tout au moins de se donner des chances d’organiser des élections sans avoir recours au classique tripatouillage constitutionnel. Il s’agit de deux pays leaders en Afrique de l’Ouest.

D’abord, la Côte d’Ivoire. En octobre 2020, ce pays va organiser une élection présidentielle à hauts risques. Avec la question de savoir si le président Alassane Ouattara va rempiler pour un troisième mandat ou non. La réponse est non semble t-il. Le président Ouattara ne sera pas candidat. Il l’a déclaré le jeudi 5 mars dernier, mettant fin à d’interminables polémiques autour de sa volonté de se représenter à une nouvelle élection présidentielle. Pour Jobst Von Kirchmann, ambassadeur de l’Union européenne en Côte d’Ivoire, la décision d’Alassane Ouattara de ne pas rempiler pour un troisième mandat est un signal fort de démocratie qui devrait servir d’exemple aux autres acteurs politiques ivoiriens.

Enfin, au Sénégal, tous les regards sont rivés sur le président Macky Sall, dont le mandat arrive à échéance en 2024. Mais déjà, ses adversaires lui prêtent l’ambition de vouloir bricoler la constitution pour un passage en force à la fin de son second et dernier mandat. Mais en fin tacticien, Macky Sall a clos le débat dernièrement en se prononçant en faveur d’un respect de la limite à deux mandats. Cette clarification a été plutôt très bien accueillie par le peuple sénégalais qui, comme on le sait, est habitué à des alternances pacifiques, ce qui fait du Sénégal une référence en la matière en Afrique. Mais la prochaine élection présidentielle est loin. Elle est prévue pour 2024 et d’ici là bien des rebondissements pourraient avoir lieu.

Une chose est sûre. La jeunesse africaine d’une manière générale n’est plus prête à cautionner les magouilles de ses dirigeants qui veulent s’éterniser au pouvoir. Pour cela, elle est prête à y laisser sa peau, comme on l’a vu dans d’autres pays africains. Dans un prochain article, nous reviendrons sur la situation dans les pays du Maghreb.

Tidiane Diouwara

Tidiane Diouwara est journaliste RP et spécialiste des sciences de l’information. Il est titulaire d’une maîtrise universitaire en linguistique, d’un doctorat 3 ème cycle en sciences de l’information. Il est Directeur du CIPINA (www.cipina.org), une association spécialisée dans la promotion de l'image de l'Afrique. Il est également Conseiller diplomatique et expert des Droits de l'Homme.