Je suis donc Asperger. Même si j’ai moi-même initié le bilan d’évaluation psychologique en vue de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse de symptôme, je suis un peu secoué par la nouvelle. Secoué et aussi soulagé, car elle vient mettre du sens sur ces moments où je me sentais un peu « à côté », décalé. Ce sera aussi l’occasion de saisir l’impact de mon comportement et de l’adapter à l’environnement, et surtout de plus pleinement accepter mes singularités.
En fait, cette nouvelle est un éloge des singularités.
Tout commence dans le couple. « Heureux hasard », ma compagne travaille entre autres avec des personnes atteintes de trouble du spectre autistique, et au bout de dix ans de vie commune elle s’interroge suite à l’observation d’une concordance de facteurs (hypersensibilités sensorielles, patterns répétitifs, anomalies qualitatives dans l’interaction sociale réciproque, faible notion du temps). Elle fait peut-être des heures supplémentaires ! Je vais vérifier ça.
La psychologue, une copine spécialiste des profils atypiques me propose une batterie de tests. Parmi ces tests, un de cognition sociale (Perception des émotions faciales – BCS/mini SEA). Je suis un peu étonné car elle m’en a déjà fait passer deux similaires. Elle souhaite vérifier quelque chose, car selon ses mots elle est perfectionniste et j’ai eu des temps de réaction cinq fois supérieurs à la moyenne. Quand j’apprends qu’il s’agit de regarder des visages qui expriment une émotion et de les reconnaître, je me sens légèrement surpris, humilié, impatient, irrité, frustré. Pourquoi me demande-t-elle ça à nouveau ? Je déteste avoir la sensation de faire mauvais usage de mon temps. Bon, je vais faire ce test et lui confirmer que je suis un expert en la matière.
Ce fut une énorme surprise. J’ai eu de la peine à reconnaître les émotions et ai fait de nombreuses erreurs (score final 28/35). J’étais scotché, moi à qui on attribue régulièrement des pouvoirs magiques de télépathie (en réalité il s’agit d’empathie hyper développée). Consciente de ça Laetitia est très curieuse d’entendre mes stratégies d’adaptation et de reconnaissance, car je comprends soudainement qu’elles sont artisanales et uniques, développées complètement en-dehors de la norme. Ce que je peux dire c’est que ce test m’a fait me rendre compte que ce sont principalement la vie et les mouvements qui me donnent les indices d’une émotion : l’intensité du regard, les mouvements oculaires ainsi que des muscles du visage, les changements d’expressions, les variations de tonalité et d’intensité de la voix et les variations d’énergie (visible et subtile). Une richesse de perception qui est très marginalement accessible via l’observation d’une photo.
Lorsqu’on grandit avec une norme, on pense qu’elle est universelle. Laetitia m’a fait me rendre compte que ma manière de percevoir les émotions n’était pas commune, pas normale. Et que ma perception des émotions est probablement plus fine que la moyenne, à condition d’avoir un être humain en face (et non une photo).
Au vu notamment de mon métier qui m’a longtemps entraîné aux compétences sociales (l’apprentissage des compétences sociales est typiquement un attribut de l’autisme) et d’un QI « dans la stratosphère » et donc une très grande capacité d’adaptation, le diagnostic est très difficile à confirmer. Cependant, après discussion avec Laetitia, il me semble assez clair qu’il est pertinent.
Qu’est-ce que je retire de cette expérience ? Que personne, à part la femme avec qui j’ai vécu plus de dix ans pouvait imaginer que je suis Asperger. Cette découverte me rappelle que chaque personne est unique. Que la singularité fait partie de l’expression de la vie et que de ce fait j’aime la percevoir comme naturelle et normale. Oui, vous avez bien lu : c’est normal d’être anormal ![1] Que les chemins pour arriver à destination sont nombreux et que la diversité amène de la créativité, de nouveaux points de vue et une richesse dans la biodiversité humaine.
J’ai rencontré de nombreuses personnes avec des ressources et des compétences inouïes et uniques et qui, du fait de ces singularités et de leur non-reconnaissance du point de vue normatif, vivaient de la honte et se dénigraient. Oui c’est difficile et douloureux de se sentir seul·e, incompris·e, mais ce n’est pas en faisant des copies que le monde évolue.
J’évolue et le monde évolue si j’accepte pleinement mes singularités et si j’ai le courage de les déployer face au monde.
[1] Lire à ce sujet « C’est normal, doc ? »
Crédit image: Adele Firth
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