Regards psy

Jusqu’où faut-il se protéger des bactéries et des virus ?

On est en 2001 : assis par terre, j’observe en face de moi Pablo qui marche à quatre pattes et se retourne pour voir le regard de sa maman. Elle aussi est assise par terre dans le couloir, comme presque tous les patients qui attendent leur tour dans ce grand hôpital de Quito. L’enfant perd sa sucette, il se retourne pour voir la réaction de sa maman qui lui dit de la ramasser, puis il la remet dans sa bouche.

Je suis frappé par la différence de culture entre la Suisse et l’Équateur. On m’a toujours dit de faire attention aux microbes, de me laver les mains, de ne pas toucher par terre, surtout dans un hôpital. Pourtant ces gens ont l’air en santé, robustes.

On est en 2021 : j’observe une personne masquée seule dans sa voiture, un gel hydro-alcoolique à portée de main.

 

Les bactéries et les virus sont essentiels à la vie humaine

Il y a un peu plus longtemps (environ 1,5 milliards d’années) : on croit qu’une bactérie aurait été intégrée par une archée, ce qui aurait permis l’apparition des organismes eucaryotes (plantes, champignons et animaux, et donc l’apparition de Pablo et à peine plus tard de sa sucette)[1]. Et sans virus, pas de mammifères ! C’est en effet une protéine d’origine virale qui a permis à nos ancêtres de développer le placenta, et ainsi de ne plus avoir à pondre d’œufs[2].

C’est donc grâce à une bactérie audacieuse et une série de virus que vous me lisez. On peut dire merci (ou pas).

Autre fait troublant : notre intestin recèle une cellule humaine pour 10 micro-organismes (bactéries, virus, etc.). S’il est composé de 10% d’unités humaines, peut-on encore le qualifier d’humain ?[3] Et environ 8% de notre ADN est composé de séquences transmises par des virus à nos ancêtres. On constate de plus en plus clairement que virus et bactéries sont indissociables de la vie humaine. « Être parasité n’est pas un état anormal. Surtout, si les virus modifient de façon notable la physiologie, la morphologie et le comportement de leur hôte, la plupart ne sont pas pathogènes. […] La diversité des gènes, des espèces et des écosystèmes constitue le « tissu vivant » de notre planète […] »[4]. La phagothérapie en est un exemple (l’utilisation de virus bactériophages afin de traiter certaines maladies infectieuses d’origine bactérienne).

 

J’aimerais insister scientifiquement sur la nécessité vitale qu’est la rencontre de l’autre. La diversité de nos interactions est une richesse qui contribue positivement à notre bonne santé. L’autre m’enrichit de son lot de bactéries et de virus : on appelle cela le microbiote et on commence à découvrir son importance. Nous sommes composés de plus de bactéries que de cellules humaines, et chacun de nous porte facilement un lot de 100 000 virus, le tout cohabitant dans un équilibre qui nous permet d’être en bonne santé. Ainsi, le petit bébé humain est enrichi du bouillon de microbes qu’il rencontre en passant de l’utérus très protégé de sa mère à l’air, via le bassin, pour arriver dans les mains d’une personne qui n’est pas forcément de sa famille, car il a besoin de toutes ces interactions. Il est donc urgent de nous éloigner de peurs irrationnelles qui appauvrissent notre système immunitaire et nous mettent collectivement en danger.[5]

 

La croyance qu’il faut éradiquer la plupart des virus et bactéries est dangereuse. Je crois que cette stratégie à court terme affaiblit le système immunitaire des prochaines générations (et la nôtre). On croit au contraire que le développement du système immunitaire est lié au maintien de la richesse et de la diversité de nos virus et bactéries[6].

Pablo va bien!

 

 

 

[1] Certains modèles postulent que les eucaryotes ont émergé à partir d’une lignée ancestrale unique via des mutations successives au cours du processus évolutif. D’autres modèles postulent plutôt que les eucaryotes sont apparus à partir d’une association symbiotique de cellules procaryotes dont la fusion aurait réalisé la transition du procaryote à l’eucaryote (source).

[2] Chantal Abergel, directrice de recherche CNRS et directrice du laboratoire Information génomique et structurale (source). Lire aussi Ono, R. et al., Nat. Genet., 38, 101, 2006

[3] L’analyse métagénomique appliquée à l’intestin du corps humain recèle près de 100 000 milliards de micro-organismes, soit dix fois plus que nos propres cellules (source).

[4] Franck Courchamp, directeur de recherche CNRS au laboratoire Écologie, systématique et évolution (ESE – CNRS/AgroParistech) (source).

[5] Dr. Professeure Alexandra Henrion-Caude, généticienne (source).

[6] La co-évolution mammifères-microbes constitue un « paradoxe immunologique », appelé aussi « inflammation physiologique ». Ce paradoxe revient à se demander par quels mécanismes les mammifères peuvent en même temps conjuguer une tolérance aux microorganismes symbiotes / commensaux (symbiontes) et une élimination des microorganismes pathogènes (pathobiontes). D’où l’émergence d’un nouveau paradigme scientifique selon lequel le développement du système immunitaire est lié au maintien du microbiome (source).

 

 

 

Crédit photo : Alessandro Castiglioni

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