Un enfant émerveillé observe intensément les flocons tomber du ciel. Son papa lui explique que c’est de l’eau solide qu’on appelle « neige ». L’enfant est alors catapulté dans une nouvelle expérience, celle de réfléchir son vécu. Il est alors privé de son expérience directe et de son émerveillement.
Cette histoire, probablement que beaucoup d’entre nous l’ont vécue. Et chez certains enfants la connaissance intellectuelle remplace durablement l’expérience directe, surtout s’ils font de longues études pour devenir psychothérapeutes.
J’ai la chance d’avoir attendu longtemps avant d’entreprendre des études. Je parle de chance car cette attente était en réalité un entraînement à observer et m’émerveiller de l’expérience.
Client (désespéré) :
Vous feriez quoi à ma place ?
Il y a des personnes qui amènent leurs soucis chez moi comme elles amèneraient leur voiture chez le garagiste : les déposant chez l’expert et les reprenant une heure après, réparés durant leur absence. La tentation d’apporter une réparation immédiate existe (nommer la neige), mais ce serait induire quelque chose qui n’appartient pas forcément à l’autre (son expérience directe : observer la neige). La recherche montre qu’une telle réparation est moins durable que si elle provient de la personne même qui éprouve la difficulté (et qui pourrait être parfois une conséquence naturelle de l’observation ou de l’expérience). Ainsi, apporter une solution détourne parfois de l’expérience directe.
Moi :
Je pourrais vous dire ce que je ferais, mais je ne suis pas convaincu que ça vous soit vraiment utile. Je crois que vous savez mieux que moi, et j’aimerais bien vous aider à trouver vos propres réponses
Client (surpris et un peu énervé) :
Mais je viens justement voir un professionnel parce que je n’ai pas trouvé seul !
C’est une invention moderne que de transformer les professionnels en experts dont on dépend. Une invention qui a toute sa place dans une société qui valorise la consommation, la dépendance et la pensée rationnelle davantage que l’émerveillement et l’ouverture à l’expérience directe.
Je ne suis pas un expert de l’autre. Dans mon garage je vois chaque voiture comme un modèle unique. Ainsi chaque séance est unique elle aussi. Comme les flocons de neige. On peut dire « c’est de la neige », mais qu’est-ce que cette définition dit du flocon unique ?
L’attitude de ne pas savoir
Je perçois le savoir comme un filtre qui m’empêche d’être pleinement présent à ce qui est. Ne pas savoir c’est rester ouvert et témoin de la vie qui s’exprime autour de moi et en moi grâce à une attitude de vulnérabilité absente de toute volonté propre. Cette attitude oblige aussi la personne en face à se responsabiliser, l’invitant à chercher en elle les réponses à ses épreuves.
Client :
Mais alors vous servez à quoi ?
Quand je dis « ne pas savoir », j’entends que mon savoir est au service de mon vécu et non l’inverse. Dans mon expérience, si mes interventions partent de mon savoir elles ont de grandes chances de ne pas coller complètement au vécu de la personne en face de moi. « Ne pas savoir » signifie donc pour moi que je tente de m’accorder à l’expérience de l’autre en étant pleinement ouvert à ma propre expérience, sans a priori. Ce n’est qu’à la suite de cet accordage que mon savoir peut être sollicité au service de mon vécu.
Moi :
Ce que je peux faire pour vous, c’est vous aider à trouver vos propres ressources en partageant mes observations et en vous posant des questions qui vous aident à explorer qui vous êtes et ce dont vous faites l’expérience
Client :
Un psy qui ne sait pas… il va neiger !
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A mes yeux, l’expérience est l’autorité suprême. Ma propre expérience est la pierre de touche de toute validité. Aucune idée, qu’il s’agisse de celles d’un autre ou des miennes propres, n’a le même caractère d’autorité que mon expérience.
Carl Rogers
Il faut distinguer les expériences provoquées par la croyance et l’expérience spontanée. La croyance agit manifestement au détriment de l’état d’expérience, et ce n’est que par l’expérience directe, et non par la croyance, que l’on peut découvrir la réalité des choses. La croyance n’est pas nécessaire, tandis que l’état d’expérience est essentiel, surtout dans un monde où existent tant de contradictions, tant de spécialistes, chacun offrant sa propre solution.
Jiddu Krishnamurti
La connaissance s’acquiert par l’expérience, tout le reste n’est que de l’information.
Albert Einstein
Crédits photos :
Enfant devant les flocons de neige : Raphael Goetter
Gros plan sur l’enfant : Patrick Demory
Les deux flocons de neige : Janice Sherman
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