Regards psy

Comment vaincre le jugement

Parce que nous sommes des animaux sociaux le jugement fait peur, et parce que nous avons besoin de nous sentir exister (j’y reviendrai plus tard), le jugement est menaçant. Il y a cependant des moyens de prendre du recul.

 

Madeleine

Mon patron n’arrête pas de reprendre tout ce que je fais et dis, la plupart du temps sans raison. Ce matin je prends une décision, les collègues m’ont félicité et lui il m’a dit que c’était une mauvaise idée. Vous avez pas un truc pour qu’il cesse par hasard ?

Moi

Il n’y a que lui qui peut cesser… par contre vous pouvez agir sur votre réaction

Madeleine

Et comment ?

Moi (après un court silence)

Si je vous dis « vous êtes belle », de qui est-ce que je parle ?

Madeleine (surprise)

Euh… de moi, non ?

Moi

Je parle surtout de moi : de mes goûts, de mes opinions, de mon regard

 

C’est pareil avec tous les commentaires qu’on fait sur les autres… on parle de soi. Le patron de Madeleine est peut-être perfectionniste, ou il y a quelque chose en elle qui le confronte avec un aspect de lui-même qui le dérange.

 

Madeleine

Mais quand vous me faites une remarque vous parlez un peu de moi aussi, non ?

 

Madeleine a raison, le jugement est presque toujours une réaction à un aspect de moi que l’extérieur révèle. Si je trouve quelqu’un beau, c’est que la beauté que je perçois chez l’autre existe chez moi (elle existe donc chez les deux). Si je trouve quelqu’un con…

C’est exactement cette raison (l’interdépendance entre nous) qui nous permet de prendre du recul et de développer de l’empathie.

 

Petite parenthèse : ne pas confondre jugement et observation[1]

Il y a parfois des observations qui ressemblent à des jugements, et l’inverse. C’est une différence qui m’a longtemps fait réfléchir car elle a souvent un rôle central dans les problématiques de couple, et je souhaite à présent me risquer à une définition toute personnelle.

Selon moi le jugement porte sur l’intégrité d’une personne (« tu es belle », « tu es conne ») ou a trait à des valeurs (« c’est une mauvaise idée »). L’observation porte sur un fait[2] (un comportement, une action ou des paroles : « ton visage est symétrique », « tu as fait plus de 5 erreurs ce matin ») ou encore mieux parle de ma propre réaction à ces faits (« ton visage m’inspire de la grâce », « quand tu dis ça je perds confiance »).

Le jugement appelle une réaction de défense ou une lutte de pouvoir car elle implique une menace à l’intégrité[3]. L’observation est un cadeau qu’on fait à quelqu’un qu’on aime et qu’on souhaite voir évoluer.

 

« Tu es belle » c’est un jugement ?

Il existe des jugements « positifs ». Tout comme les jugements « négatifs » ce sont des affirmations qui portent sur l’intégrité d’une personne ou qui ont trait à des valeurs. Ces jugements n’appellent pas la même réaction de lutte de pouvoir, mais peuvent amener une réaction défensive (inconsciente le plus souvent) car la personne qui les reçoit peut ressentir une forme d’amour ou d’acceptation conditionnelles, c’est-à-dire la pression d’être à la hauteur de l’éventuelle attente derrière le jugement.

Par exemple Madeleine, si elle entend qu’elle est belle, va peut-être faire en sorte de paraître belle avant de venir me voir pour ne pas décevoir l’attente qu’elle perçoit. Elle va ainsi perdre de la liberté de choix.

Dans sa situation professionnelle, d’autres personnes plus fragiles que Madeleine pourraient s’adapter au mobbing en se soumettant à l’attente perçue, trahissant ainsi leur propre identité.

 

Comment éviter qu’un jugement me blesse ?

Si j’arrive à garder en conscience qu’un jugement parle d’un aspect de moi et d’un aspect de l’autre, je peux prendre du recul et observer plus facilement ce qui est en jeu.

 

Madeleine (après un moment, comme si elle parlait à son patron)

Quand vous me dites que c’est une mauvaise idée je trouve ça étonnant, vu que les collègues ont tous une opinion contraire. Je suis toutefois prête à ce que mes collègues et moi nous trompions. Pouvez-vous me dire ce qui justifie votre commentaire ?

  

Comment éviter que mon jugement blesse ?

Un jugement blesse si la personne qui l’émet et la personne qui le reçoit n’ont pas conscience de leur interdépendance.

Parler de soi et garder le lien assurent une communication sans violence (sans pression et sans menace à l’intégrité). Dire « je vous trouve belle » ou « je trouve con ce que vous faites, et j’aurais apprécié que vous preniez conscience de l’impact que ça a sur moi » évite de blesser l’autre.

 

 

 

[1] Tout ce que nous entendons est une opinion et non un fait. Tout ce que nous voyons est une perspective et non la vérité (Marc Aurèle)

[2] J’appelle quelque chose un fait si n’importe quelle personne qui l’observe le décrit sensiblement de la même manière

[3] Donc au fond il y a comme une menace de mort (ou d’annihilation) dans le jugement

 

 

 

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Crédit photo : Viola Madau

 

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