Le conflit constructif

La porte d’entrée s’ouvre. Céleste a 8 minutes de retard.

 

Céleste (essoufflée, l’air coupable et stressé, légèrement fâchée) :

Je m’excuse pour mon retard, j’ai croisé une amie, ça c’est typique moi, j’ai pas osé l’interrompre

Moi :

Vous aviez envie de l’écouter et aussi d’être à l’heure à notre rdv…

Céleste :

Oui c’est ça. Elle me racontait ses problèmes de santé et je voyais l’heure, ça me stressait

Moi :

… et vous ne vous êtes pas permise d’exprimer cette partie de vous qui était stressée

 

Céleste se permet de vivre une partie seulement de son expérience, la partie d’elle qui est empathique. Les autres parties, celles qui sont impatientes, stressées et en colère, sont perçues comme une menace car « si je ne suis pas gentille je vais être rejetée ». Elles ne correspondent pas à l’idée qu’a Céleste des attentes de son amie. Et dans sa conception, si elle ne répond pas aux attentes elle n’est pas aimée.

Elle a appris que si elle exprime sa colère sous n’importe quelle forme (impatience, irritation, stress, tension, etc.), elle va créer un conflit et donc ne pas être aimée.

 

Moi :

Et moi, vous aviez peur que votre retard me fâche ?

 

 

Il est impossible d’être en colère contre quelqu’un

Céleste croit que si elle exprime sa colère, l’autre va se sentir rejeté·e. Elle croit aussi qu’elle serait responsable de ce ressenti ; elle confond la colère contre quelqu’un (soi ou l’autre) et la colère contre une action ou des paroles. Je vais vous confier un secret : il est (presque) impossible d’être en colère contre quelqu’un. La colère est dirigée contre un comportement ou des paroles, pas contre une personne.

 

Céleste :

Oh mon Dieu non, j’ai même pas pensé à ça mais ç’aurait été le summum

 

 

Garder le lien

Ce secret me permet de faire la distinction entre l’objet de ma colère et la personne impliquée. Je peux ainsi exprimer ma colère et mon empathie en même temps, dans une même phrase :

 

Moi :

Si j’avais été contrarié par votre retard, j’aurais pu vous dire quelque chose comme « je ressens de l’irritation du fait que vous êtes en retard, et je me réjouis de travailler avec vous ». Qu’est-ce que ça vous fait que je vous dise ça ?

 

Provoquer un conflit constructif nécessite de garder le lien avec la personne dont le comportement ou les paroles font l’objet de la colère.

Obama garde le lien avec quelqu’un qui interrompt son discours

 

Céleste :

Vous le dites sans animosité… c’est à la fois étonnant et apaisant

Moi :

…et si vous imaginez un conflit constructif avec votre amie, ça donnerait quoi ?

Céleste (après quelques essais) :

« j’aimerais beaucoup pouvoir prendre le temps pour t’écouter et te soutenir mais je me sens stressée car si je ne pars pas maintenant je serai en retard pour un rdv important. Est-ce que je peux t’appeler ce soir ? »

 

 

 

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Credit photo: Wikimedia

 

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Thomas Noyer

Thomas Noyer travaille comme psychologue-psychothérapeute (adultes et couples) et superviseur au Cabinet Sens à Neuchâtel. Il anime des groupes sur le masculin et les troubles alimentaires. Il écrit dans un blog personnel et contribue aussi à un blog collectif, où il s'exprime surtout sur la psychothérapie humaniste. Il est aussi l'auteur de "Dans la peau du psy" (2023).

14 réponses à “Le conflit constructif

  1. Ah, ami Thomas, je vous ai vu sur la RTS, comme quoi, ces blogs sont canons:<<<<<<<<<<<<<<<<<<<0

    Votre Mona Lisa, serait-elle intéressée à me faire une thérapie, à un prix d'ami?
    Sinon, je lui ferai moi, un prix d'ami, pour lui rendre son vrai sourire 🙂

    1. “Notre Mona Lisa”… vous parlez d’une de nos nouvelles acolytes? Il faut lui poser la question! Et si vous voulez augmenter vos chances d’être reçu, je pense qu’il faut lâcher l’insistance grivoise.

      Pour la RTS et d’autres médias, exception faite des célébrités dont je ne fais pas partie les journalistes ne sont en général pas au courant de qui est blogueur au Temps. J’ai été contacté par un autre biais 😉

      1. Pauvre Mona Lisa, Acolyte ou alcoolique, je vous plains, le grivois c’est vous, pauvre donneur de leçons juif, enfin bonne chance, les psys ont toutes leur chance, comme le monde devient fou 🙂

        1. « ….. donneur de leçons juif »

          Ah! ces clichés de racistes…. Et pour continuer dans les clichés:
          Pourquoi juif? Il vous a fait payer quelque chose……?

  2. L’auteur de ce blog donne apparemment la priorité au souci d’assurer une large liberté d’expression, au détriment de considérations en rapport de son souhait premier : accueillir des lecteurs intéressés à échanger des idées, des expériences, ou des sentiments à partager sans devoir être obligatoirement étudiés. La salle du blog n’est pas celle d’un restaurant, je le sais bien, et ici aussi nous pouvons souhaiter prendre place même si le sol est sale de la boue qu’un égaré traîne sous ses bottes. Mais ce n’est pas toujours rationnellement que les visiteurs se dirigent, une étude du journal « Le Monde » allait dans ce sens : les lecteurs se détournent des blogs où la salle de rencontre sent mauvais… Ce serait donc comme dans le bon restaurant où un seul client chasse les autres, par exemple celui qui passe lourdement sa main autour de la taille de la sommelière, traite de « juif » le patron, ou de fous les gens qui le supportent.

    J’ai fait l’effort de revenir dans la salle du blog pour donner ce court message avant de faire demi-tour. Vous m’excuserez de privilégier maintenant mon confort, le vôtre sera peut-être meilleur aussi, ces situations ne me concerneront plus.

    1. Merci pour la note “bon restaurant” qui n’échappera pas à Google!
      En ce qui concerne les clients, je me suis permis une rare censure hier soir, accompagnée d’un e-mail explicatif. Vous et moi mettons ainsi en pratique le conflit constructif!

      1. Vous me répondez avec calme, humour, désirez rester positif envers et contre tout, c’est quelque part une bonne nouvelle. Peut-être que j’ai oublié l’époque où je résistais sans difficultés aux comportements agressifs ou injurieux de certains patients de la clinique psychiatrique, je n’avais pas une seule fois réagi de manière « normale » comme me le conseillaient souvent mes collègues… Aujourd’hui je suis donc devenu plus normal, je suis à la retraite pour les activités lucratives, et il m’est arrivé de lancer à l’un ou à l’autre : « Je ne suis plus payé pour supporter placidement les personnes comme vous ! Il est préférable que vous gardiez vos distances ! » J’oublie dans ces moments que je faisais des heures supplémentaires gratuites parce que j’aimais mon métier. Alors pourquoi ai-je changé ?.. Peut-être une sorte de fatigue de l’âge, et je termine mon commentaire en espérant que vous partagerez mon humour pas toujours apprécié : Je ne suis pas croyant au sens de la religion, mais écoute volontiers les croyants s’ils ont envie de m’écouter aussi. Un jour je trinquais avec un pasteur au bistrot, et lui ai donné le récit d’un pasteur alpiniste, resté gravé dans ma mémoire : « Mon camarade de cordée avait perdu prise, le choc était violent, peu de temps après je comprenais que j’étais au bout de mes forces, nous allions chuter les deux dans le vide… Je suis là pour vous en parler, et suis encore là pour songer à ce miracle si heureux et si triste à la fois ! La corde s’est rompue d’un coup, pas même contre une arête mais au beau milieu ! Un cruel miracle m’a sauvé… » Le pasteur du bistrot avait réagi en haussant les épaules : « Ah les miracles, j’ai longtemps voulu y croire, mais maintenant je n’y attache plus aucune importance… Je suis suffisamment vieux pour savoir que si je vais au ciel ce ne sera même pas un miracle… » C’est triste d’être fatigué de vivre, tout ce qui compte le plus en soi peut s’en aller déjà avant.

        1. Même si je n’ai pas votre âge, j’ai remarqué ce mouvement de découragement aussi chez moi. Pourtant je suis obstiné à aimer l’être humain et je crois que mon optimisme réaliste est à la fois le but que je souhaite atteindre et un moyen pour réaliser mes idéaux. J’essaie simplement de m’en souvenir quand le doute et le découragement me rendent visite.

  3. J’ai envie de vous donner une courte réponse, mais pas besoin de me répondre !

    Quand je pense « optimisme réaliste », je me sens des ailes parce que je songe à mes projets qui me tiennent à cœur, et suis certain que j’y arriverai même quand on me dit « c’est trop tard, à ton âge… » Je suis optimiste sur le « plaisir de faire » et cela, c’est déjà « arriver ». Je vous dis un de ces rêves : apprendre le formage des tôles brutes et souder, pour rénover la voiturette à trois roues sortie de l’usine Isetta il y a 65 ans, achetée 200.- quand j’avais 21 ans… C’est seulement maintenant que j’ai enfin « tout mon temps » pour commencer ce long travail. Pour arriver « au bout » ? Mais le vrai rêve n’est peut-être pas à la fin, je l’aurai déjà dès les premières pièces arrondies et lisses parties de presque rien. Un vieil ami m’a dit récemment : « Ah cette voiturette que tu as traînée avec toi à chaque déménagement, je trouvais cela insensé ! Mais maintenant je te donne raison, tu sais que si tu arrives à la rénover, elle vaudra 45 à 55’000 francs ! » Son pessimisme était devenu un « optimisme réaliste », la réalité du rêve c’est 50’000,00 francs ! Alors je lui ai dit : « Les vieilles voitures qui ont échappé à la casse n’auraient jamais pris de valeur si quelques personnes n’avaient pas donné une valeur à quelque chose d’invendable, et ils n’étaient pas des « optimistes réalistes », on les disait seulement irréalistes sur leur optimisme… » Où est le rêve ? On voudrait qu’il existe, comme nous pour qu’il puisse naître, vivre, et mourir ? Jamais ! Alors vous voyez, je me suis toujours défini comme étant un « pessimiste réaliste ». Et là je rencontre mon contraire. Nous raisonnons et disons autrement, mais je pense que nous ne sommes pas différents. Heureusement qu’on n’a pas l’idée de demander à notre rêve : « Qui es-tu ? » Sauf à un enfant, si je lui demande qui est son rêve, il me répondra en riant : « C’est moi ! » Et je lui donne raison, à cet âge il est seulement réaliste, il n’y a que nous qui ne voulons pas nous tromper sur ce que nous étions, sommes devenus, et peut-être serons.

    1. Pensez à ce que vous étiez, ce que vous avez envie de faire, et non à ce que vous serez! Et fuyez les éteignoirs du genre «  c’est trop tard, à ton âge « 

      Bonne continuation pour une longue vie 😊

  4. J’ai un peu de mal à comprendre ce que vient faire la photo de Greta Thunberg au-dessus de votre article, par ailleurs excellent. En effet, je vois mal comment interpréter son “I want you to panic” comme modèle de conflit constructif, à moins que, n’étant pas psychiatre, je n’aie rien compris à celui-ci.

    Si je lui répondais: “I don’t want to panic, in fact I don’t need to… I already did”, me refuserait-elle le dialogue sous prétexte que je suis un psycho-rigide?

    Pourriez-vous éclairer ma lanterne à ce propos?

    1. Merci pour votre retour ainsi que votre question.
      J’ai choisi cette photo parce que j’y sentais sa colère. En même temps c’est quelqu’un qui selon moi parvient malgré la force de sa colère à rester en lien, même lorsqu’elle dit “I want you to panic”.
      Votre réponse pourrait provoquer le dialogue, en tout cas elle ne l’empêche pas. Pour construire un conflit constructif elle pourrait répondre “what would you need to take action?”, par exemple.

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