Égoïsme. Un mot fortement connoté, mal-aimé et également mal connu. L’égoïsme c’est le Mal ! Les chrétiens tendent la joue gauche, les bouddhistes font preuve de compassion (ce qui signifie littéralement souffrir avec) et les autres, pour remplir les critères du Bien, doivent penser à la communauté. Nous voici potentiellement formatés.
Je fais la distinction entre égoïsme et égocentrisme[1]. L’égocentrisme est pour moi l’art de prendre soin de sa personnalité et de se soucier de l’image qu’on donne. Le profil psychologique le plus marqué dans ce sens est le pervers-narcissique[2]. Les personnes égocentriques sont craintes et souvent admirées. Ce sont aussi des personnes très seules, car nourrir sa personnalité a comme impact de faire fuir les gens, les rendre dépendants ou les attirer pour ce qu’on montre et non pour qui on est réellement.
L’égoïsme est pour moi le fait de s’occuper de ses besoins. Si vous y réfléchissez cette définition est neutre, elle n’a pas de connotation. Là où je vais peut-être vous surprendre c’est que le besoin étant vital, l’égoïsme l’est aussi. Penser à soi est une qualité qui a permis à nos ancêtres de survivre et qui aujourd’hui nous permet par exemple d’éviter le burn-out, de nous mettre à l’abri des manipulateurs ainsi que d’être présent pour ses clients ou ses enfants.
L’égoïsme altruiste : un cercle vertueux
Si j’ai l’habitude de mettre l’intérêt de l’autre avant le mien je me mets en position de fragilité vis-à-vis du monde extérieur, et en particulier de cette partie du monde qui tire profit du manque de limites, de la gentillesse, de l’altruisme. Une[3] thérapeute a le devoir d’être égoïste si elle veut être performante. Quand je passe mes journées à m’occuper des autres, comment pourrais-je le faire en étant pleinement présent et centré sur mes clients si je suis préoccupé par mes difficultés personnelles ? C’est ce que j’appelle l’égoïsme altruiste : la capacité de prendre soin de mes besoins afin d’être disponible pour mon entourage.
Si je n’en suis pas capable je vais finir par m’épuiser, par manquer d’équilibre entre ce que je donne et ce que je reçois. Ce manque d’équilibre est aussi la porte ouverte à l’égocentrisme car recevoir étant un besoin vital, je vais finir par revendiquer brusquement l’attention que je n’arrive pas à me donner.
Permettez-moi d’illustrer mes propos à l’aide d’une situation que j’ai vécue.
Le psy égocentrique et le psy égoïste
Cette histoire remonte à plusieurs années en arrière. Je voulais comprendre certains aspects de ma vie alors j’ai contacté un psychanalyste (la psychanalyse est une approche réputée efficace pour apporter de la compréhension) ; je lui dis au téléphone que mon budget me permet de le voir au plus une fois par semaine.
Durant les deux premières séances j’entends « bonjour », puis plus rien jusqu’à des mots liés au thème de l’agenda, et finalement « au-revoir ». Voici un extrait du milieu de la troisième séance :
Psy (m’interrompt) :
Vous avez les compétences pour entreprendre une psychanalyse
Moi (coupé dans mon discours, surpris de constater qu’il ne fait aucun lien avec ce que je lui dis) :
…
Psy :
Ça voudrait dire qu’on se verrait trois ou quatre fois par semaine
Moi (sous le choc) :
Vous vous souvenez peut-être, je vous ai dit au téléphone que mon budget ne me permettait pas de vous voir davantage qu’une fois par semaine.
Psy (me fixe dans les yeux avec un semblant de satisfaction, me semble murmurer un oui dans sa barbe) :
…
Moi :
Est-ce que ça signifie que soit je vous vois plusieurs fois par semaine, soit je dois arrêter la thérapie ?
Psy :
C’est cela
Moi (après un moment à être dans mon ressenti) :
Je vis une grande frustration et une colère
Psy :
Je vous comprends
Moi (sous le choc, puis je me lève et pars) :
…
Suite à cette expérience, je lui ai écrit que je n’allais pas régler les deux dernières séances que je lui devais à cause de ce que je qualifiais de faute professionnelle. Il m’a écrit en retour qu’il n’en était pas question, qu’il m’avait écouté et que donc je lui devais ces honoraires. Je lui ai écrit à nouveau, en lui exposant mes raisons précisément, puis je n’ai plus entendu parler de lui. Dans cet exemple, en ne tenant pas compte de moi je dirais qu’il s’est montré égocentrique. Quant à moi, en écrivant mes deux lettres je me suis occupé de mes besoins de justesse et de respect, ce qui m’a ensuite permis de poursuivre ma semaine de travail en étant pleinement présent à mes client·e·s. J’ai ainsi fait preuve d’égoïsme altruiste.
Et vous, vous autorisez-vous à être égoïste ?
égoïste ou égocentrique ?
[1] Les deux mots sont quasiment synonymes. Ce qui m’a amené à faire cette distinction, c’est que égoïsme a été créé au XVIIIe siècle et dérive du mot amour-propre « Sentiment légitime et nécessaire qui attache chaque personne à son existence et lui fait rechercher son bien-être » (Wiktionnaire) et « attachement exclusif à sa propre personne, à sa conservation et à son développement » (Petit Robert), tandis qu’égocentrisme est un néologisme du début du XXe siècle « caractère individuel, non-social, de la pensée enfantine, se traduisant par l’absence d’objectivité » (Petit Robert). On aurait aussi pu inclure le mot égotisme : « culte du moi, poursuite trop exclusive de son développement personnel » (Petit Robert). J’ai choisi égocentrisme pour sa popularité dans le langage parlé.
[2] Il est rarissime de croiser ce profil en thérapie ; une personne qui souffre de cette affection pourrait venir consulter pour entendre une validation de ses points de vue, et changerait de thérapeute jusqu’à trouver satisfaction de ce besoin.
[3] Pour des raisons de logique et de facilité de lecture, thérapeute est à nouveau au féminin dans le texte
Crédit photo : Clemens Gilles
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