Regards psy

Troubles alimentaires et émotions

Troubles alimentaires et émotions

Dialogue entre une diététicienne et un psychothérapeute

 

Thomas

Dis-moi Florence, tes patients arrivent avec quelles émotions chez toi?

Florence

Ils arrivent le plus souvent avec un mélange de crainte et de soulagement. L’appréhension liée aux représentations souvent négatives du métier de diététicienne qui va les priver et les mettre au régime. Le contentement de prendre du temps pour explorer leurs difficultés autour de leur alimentation et de leur comportement alimentaire. Du sourire aux larmes. Au bout du compte, ils repartent avec le sourire des personnes qui ont pu avancer dans leur questionnement et les larmes des émotions verbalisées durant la rencontre. Et chez toi, avec quelles émotions les patients franchissent-ils le seuil de ton cabinet?

Thomas

Dans mon expérience, les personnes qui viennent pour travailler autour des troubles alimentaires sont souvent habitées par l’insécurité et la honte. La peur liée à l’insécurité est une émotion naturelle et comme toutes les émotions elle a une fonction de survie de l’espèce. En l’occurrence, la peur donne l’élan de se mettre en sécurité. La honte par contre est une émotion à part, car elle est dépendante d’une culture et d’un conditionnement. Elle n’a pas de fonction de survie. Avec ces personnes, le travail que nous faisons est donc souvent de les déconditionner

Florence

Et déconditionner cela consiste en quoi?

Thomas

Comme la honte est dépendante du regard extérieur, la qualité de la relation entre nous est primordiale car elle donne une expérience nouvelle et positive de l’impact qu’a le comportement alimentaire sur autrui : j’accueille cette personne telle qu’elle est, et cet accueil est thérapeutique de deux manières : je n’ai pas de jugement, et la personne n’est plus seule à garder un secret. En groupe, le déconditionnement de la honte est encore plus marqué car il y a plusieurs témoins, et ces compagnons de groupe qui ne sont pas des professionnels sont eux aussi accueillants car ils partagent des souffrances similaires. Selon les situations il m’arrive aussi de proposer des exercices concrets dans le but de remplacer des habitudes par d’autres, par exemple de remplacer l’affection du pot de Nutella par quelque chose qui a du sens pour la personne

Florence

Oui et aussi apprendre à penser du bien des aliments que l’on mange. Si je suis habitée par des pensées contradictoires sur ce que je mange, cela devient difficile de ressentir de l’apaisement et du plaisir en mangeant. J’ai envie de manger du chocolat par exemple car je l’aime et qu’il me fait du bien et en même temps j’ai peur de ne pas arriver à en manger peu, de craquer et d’en manger beaucoup et du coup de me sentir coupable ou regretter d’en avoir consommé. Il y aura donc un travail de réconciliation à initier pour pouvoir choisir des aliments appréciés, les savourer et pouvoir à un moment ressentir de l’apaisement et s’arrêter. Un cheminement pour modifier progressivement son rapport aux aliments. Donc un travail complémentaire à celui que tu fais sur les émotions

Thomas

Je crois que c’est ce que tu nommes l’alternance entre contrôle et perte de contrôle

Florence

Effectivement. L’alternance des phases de contrôle alimentaire et de perte de contrôle se présente le plus souvent ainsi. Pour toute sorte de raisons, certaines personnes essaient de piloter leurs apports alimentaires tant au niveau qualitatif que quantitatif avec leurs pensées. Ils vont pouvoir le faire un moment mais c’est un mécanisme épuisant car il ne correspond pas à ce que la physiologie de notre corps a prévu. Au bout d’un temps qui peut être très variable d’une personne à l’autre, le « mangeur contrôleur » va craquer et manger plus en quantités ou des aliments qu’il s’était interdits et va se reprocher de l’avoir fait. Peu à peu va se mettre en place une alternance de phases de contrôle et de perte de contrôle alimentaire, et ce cercle vicieux va lui aussi amener de nouvelles émotions comme la culpabilité ou le regret, qui à leur tour vont amener nos patients à manger pour apaiser leurs émotions. Et nous revoilà dans ton domaine, celui des émotions!

Thomas

La culpabilité que ce cercle vicieux entraîne peut effectivement dans ce cas être une forme de colère contre soi-même : celle de ne pas réussir à satisfaire des besoins qui paraissent contradictoires, comme manger et avoir une bonne image de soi. Mais aussi, il me semble que tu décris le passage entre émotions et sentiments

Florence

C’est-à-dire?

Thomas

L’émotion est naturelle et saine. Si je la réprime à répétition, je développe des sentiments c’est-à-dire que mes émotions deviennent réfléchies. Je crois par exemple que j’ai faim mais en réalité je suis frustré. Manger devient alors une stratégie pour remplir un besoin émotionnel et cette stratégie peut devenir une habitude, d’où l’importance de se reconnecter à ses émotions

Florence

Donc notre travail est complémentaire et se répond : un lien augmenté et plus spontané à ses émotions de ton côté et à ses sensations corporelles de mon côté, pour que manger reste un plaisir et amène de la satisfaction et du réconfort

 

 

 

Cet article a été co-écrit par Florence Authier et Thomas Noyer, qui animent à Neuchâtel un groupe pour les personnes ayant des troubles alimentaires atypiques. Toutes les infos sur leurs sites web Espace Nutrition et Cabinet Sens.

 

Crédit photo : epickidstoys Smith

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