Regards psy

Est-ce que les psys peuvent sauver le monde?

Un psy en train de sauver l'Univers

J’ai posé cette question à des psychothérapeutes, en imposant deux contraintes : 1000 caractères espaces compris et un délai d’un mois. Les réponses sont étonnamment créatives et diverses. Voici le résultat (par ordre alphabétique) :

 


 

« Est-ce que les psys peuvent sauver le monde? ». Bien sûr que non ! Comment en effet répondre à cette question par l’affirmative sans être, à juste titre, taxé de mégalomanie ? Et puis, le monde, c’est vaste, et beaucoup – politiciens, scientifiques, philosophes, éducateurs, économistes, leaders de tout poil – , avant les psys, ont tenté de le sauver, sans véritable succès semble-t-il… (encore que le Christ, à mes yeux de croyant, y soit parvenu quant à lui, mais c’est là une autre histoire !).

Non, la tâche des psys est infiniment plus modeste : prendre soin de l’homme (de la femme) et l’accompagner dans la traversée de sa souffrance – et non pas le guérir, ou parfois seulement, et partiellement, car on ne soigne pas le psychisme comme un rhume ! -, l’aider à advenir à lui-même et, ce faisant, l’aider à s’aimer dans les différentes dimensions de son être et de son agir, avec l’espoir que, par rayonnement, ce mieux-être bénéficie à ses semblables… puis aux semblables de ses semblables !

Maigre résultat ? Peut-être. Encore que…

Pierre-Olivier Bressoud

 


 

Quand une personne avec le soutien bienveillant de sa psychothérapeute commence à prendre conscience de comment elle contribue à sa propre souffrance mentale en se renfermant dans une version d’elle-même trop réduite, un processus d’auto guérison débute. Dans ses circonstances de vie personnelles, elle est invitée à cultiver des qualités naturelles de l’esprit-cœur comme l’empathie et l’auto-compassion lorsqu’elle se reconnecte aux différents aspects de son vécu. Elle commence à s’accepter avec tendresse dans la vulnérabilité propre à l’expérience humaine. Nous pouvons offrir aux autres le regard aimable et compatissant que nous nous offrons. La résilience apaise le sentiment de séparation que la souffrance psychique alimente, permettant l’émergence d’un souci plus grand pour le bien-être du Monde, un sentiment né de la réalisation de notre interdépendance: je suis parce que nous sommes. Voici la réponse d’un cœur véritablement libéré et en paix.

Maria Martinez Alonso

 


 

Une vision des choses est que la souffrance a souvent comme racine l’inconscience et que le monde pourrait être « sauvé » grâce à la conscience. Et en la matière les psys ont un rôle à jouer : notre job c’est de sentir, d’observer et de communiquer consciemment. Nous avons un certain pouvoir sur la conscience ; et comme le pouvoir donne la responsabilité, nous avons aussi une responsabilité par rapport à la conscience individuelle et collective.

Cette responsabilité, je crois que c’est celle de transmettre, d’éveiller, d’inspirer. En thérapie bien sûr, mais aussi de manière beaucoup plus discrète et banale : une manière d’être, une présence, un échange de regards… un texte.

Être inspiré, c’est pouvoir faire le choix conscient de qui je suis. Et comme le dit Angela Merkel, « ne plus faire un choix parce qu’il est possible, mais parce qu’il est juste ».

Thomas Noyer

 


 

Dans le cadre de notre travail de psychologue, je crois qu’il existe une réticence à accueillir des thématiques qui dépassent les sphères individuelles et interpersonnelles. Cette fermeture est peut-être liée au sentiment d’impuissance par rapport au malaise ambiant lié à la perspective d’un avenir incertain. Mais au-delà de ça, je crois que notre écoute dépend largement de notre propre cheminement lié à la question de la transition écologique. J’imagine un continuum allant du déni et de l’indifférence (qui se traduisent par une résistance au changement personnel), à l’engagement vers des comportements plus sains pour notre planète, avec un passage nécessaire par la conscientisation des émotions bouleversantes que provoquent la crise écologique et le climat d’incertitude (peur, colère, désespoir, impuissance, etc.). Pour aider nos patient-e-s à transcender ces émotions et s’engager dans la transition, je pense qu’il est déjà de notre devoir de s’approprier ces questions, et bien sûr d’accorder à ce processus sa juste place lorsqu’il apparaît en séance.

Mona Radda

 


 

« Sauver… », voici un terme qui nous ramène, selon moi, à la religion, notamment chrétienne, dans laquelle il est question de « salut » avec l’idée « d’aller au paradis ».  Or, de nos jours, les « psys » sont séparés du religieux et, même si une notion comme la « spiritualité » commence à reprendre sa place dans le domaine des soins et donc aussi en « psy », il y a un monde d’écart entre spiritualité et religion, et un autre monde encore plus grand entre la « psy » et la religion. Nous voilà coupés en morceaux, comme en médecine, avec la tête d’un côté, le corps de l’autre, et l’âme qui erre sans trop oser se montrer ou se nommer au risque de se faire brûler ou fustiger ou encore enfermer dans les limbes. Alors ce que nous pouvons faire, en tant qu’être vivant, pendant un moment, c’est laisser les mots de côté, ainsi que les élans de mission de « sauvetage » que nous croyons devoir accomplir, et retrouver l’expérience vivante d’être simplement et d’exister… au sein d’un tout.

Alexis Rohrbach

 


 

« En bien ou en mal ? » Voici la question que me lança l’un de mes fils, espiègle, à la lecture du défi proposé par Thomas Noyer. Si les psys peuvent changer le monde, c’est parce qu’ils ont appris que l’humain est un être traumatisé. Traumatisé de ne pas avoir décidé de naître. De découvrir que sa mère, source de toute sa confiance, le trompe avec un autre. Que la sexualité adolescente l’attaque depuis l’intérieur pour l’inciter à faire des choses qu’il ne comprend pas. Nous n’avons que des bonnes raisons d’avoir peur de notre corps, de nos partenaires les plus proches, du passé, et donc de l’avenir. L’énigme, ce n’est donc pas la méfiance et la peur. Non, l’énigme c’est quelque chose d’invraisemblable qui permet à l’homme de survivre, de s’adapter. D’avoir réussi à trouver dans ce monde un « même que moi », et d’avoir senti intensément que cette alliance, cette communauté de destin me rend plus fort. Socrate disait qu’une fois un tel secret découvert, nous avions l’obligation d’en « prendre soin. » Pour le meilleur et pour le pire.

Emmanuel Schwab

 


 

“Major Dallas, vous avez été choisi pour une mission de la plus haute importance : sauver le monde !”

Cette réplique tirée du film “le 5ème élément” de Luc Besson (1997) met en évidence un militaire reconverti en conducteur de taxi sur les épaules de qui repose la survie du genre humain. La menace n’est autre qu’une force obscure qui n’a qu’un objectif : la destruction. A quoi pourrait bien correspondre cette puissance annihilante dans le champ de la psyché ? J’opterai pour l’orgueil. Il se fait volontiers oublier, passer pour autre chose. Parfois il revêt un smoking et porte le masque de la fierté. L’orgueil est passé maître dans la dissimulation et il fait tout son possible pour mener le bal sans être identifié. J’ai foi en cette psychothérapie qui est génératrice de prises de conscience telles que la vie s’en trouve illuminée et donc bouleversée. Les psys sont à même d’accompagner vers la lumière ; or rien ne peut éliminer ce qui a été percé à jour.

Léonard Vullioud

 


 

J’ai longtemps suivi une adolescente qui se questionnait sur sa légitimité à pouvoir être heureuse voire même à vivre. Elle avait beaucoup inquiétée la psychologue novice que j’étais et la voir souffrir me faisait sentir terriblement impuissante, frustrée et en colère de ne pas pouvoir la « sauver ». La sauver de quoi ? je ne savais alors pas très bien.

Mon superviseur m’a demandé : « Si elle devait mourir, qu’est-ce que cela vous ferait ? » Cette question m’a bien fait réfléchir. J’en ai compris que mon rôle n’était pas de la maintenir à tout prix en vie mais plutôt d’aider la part en elle qui souhaitait vivre.

Il n’y a pas longtemps, mon superviseur m’a dit :  « le jour où j’ai compris que je ne pouvais pas sauver tout le monde, cela a été une énorme libération pour moi ». Je partage son point de vue. Je ne sais pas si les psys peuvent sauver le monde mais ce que je sais c’est que je fais du mieux que je peux afin d’accompagner ces jeunes en souffrance pour qu’ils se sauvent (d’)eux-mêmes.

Emilie Werlen

 


 

 

J’ai eu beaucoup de plaisir à susciter cette réflexion, à organiser une mise en commun et à découvrir la diversité et la richesse des contributions. Je renouvellerai sans doute l’expérience avec d’autres thèmes ; dès lors, si vous êtes psychothérapeute et que vous seriez a priori intéresséE par l’idée, vous pouvez me laisser un commentaire à cet article (j’aurais accès à votre adresse mail, pas les lecteurs) ou ailleurs. Merci à vous, qui avez ou qui aurez participé !

 

 

 

Découvrez des extraits de séances et d’autres moments inédits de dévoilement du thérapeute dans mon ouvrage « Dans la peau du psy »

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