Tartuffe à la plage

Cette année je vais faire des économies de fringues : plus possible d’acheter chez H&M, chez Zara, chez Uniqlo, Marks &Spencer ou Dolce Gabbana. Ils figurent sur ma liste du boycott intégral.

Intégral comme les voiles, tuniques, burkinis et autres emballages pour femmes que ces marques proposent désormais. Sur les photos on voit des filles minces et super maquillées manifester leur joie et leur bien-être dans ces sacs d’infamie que je refuse d’appeler des vêtements. « La publicité ment » m’a dit une amie. Oui, c’est vrai. Elle ment toujours, qu’elle nous fasse croire que le bonheur familial réside dans le Ricoré du petit-déjeuner, que l’idéal est de peser 45 kilos pour 1,75 m, ou que la cuisine se nettoie toute seule grâce à Ajax et sa « tornade blanche ». Et là elle ment encore en prétendant qu’on peut être belle et heureuse sous des kilos de tissus lourds, une cagoule en latex qui vous emprisonne la tête et cela sous un soleil de plomb. Elle ment pour les 484 milliards de dollars que représenterait, dit-on, le marché musulman. Bon, c’est vrai qu’à ce prix-là, on hésite à dire la vérité…

Alors c’est peut-être à nous que les milliards ne concernent guère, de la dire et même de la crier.

Code vestimentaire… Ce n’est pas la première fois qu’en observatrice attentive des codes sociaux je m’achoppe avec cette question. Cette fois, mon problème, c’est le plus effarant de ces accessoires de l’auto-proclamée « mode pudique », le burkini. Mais il s’agit toujours de rappeler que le vêtement n’est pas uniquement un accessoire de mode, un gadget qu’on porte pour rigoler ou se sentir bien, mais que c’est aussi (surtout) un langage. Qu’on dit quelque chose sur soi, sur notre place dans la société, sur notre rapport aux autres, en choisissant de porter tel ou tel vêtement, et même telle ou telle couleur.

Alors je m’interroge sur le sens de cette « mode pudique » et tout particulièrement sur le burkini, dont un récent article du Temps nous apprend qu’il fait problèmes « sur les réseaux sociaux » (comme si la température d’un problème social ne se prenait désormais plus que là, sur les sacrosaints « réseaux sociaux ». Mais c’est une autre question). Le burkini (contraction nous dit-on – non je ne rigole pas, je jure que c’est vrai – de burqa et de bikini) est une sorte de combinaison d’homme grenouille, collante et enveloppante, ne laissant à découvert que le visage, les mains et les pieds. Les malheureuses musulmanes sont sensées le porter pour se baigner tout en protégeant les mâles en rut perpétuel qu’elles côtoient. Car la vue de leurs genoux ou de leurs fesses moulées dans un une-pièce, de leurs seins mis en valeur par un soutien-gorge pigeonnant, risquerait de mener ces malheureux à l’apoplexie ou, au minimum, à de mauvaises pensées qui leur fermeraient définitivement le paradis où les attendent (enfin, ouf, il était temps, ça allait exploser là-dedans à force de refoulement !) les houris promises au bon croyant qui empaquette sa femme, sa fille, sa sœur et lapide celles qui ne sont pas d’accord.

Bon, on a sans doute compris que je n’étais pas vraiment pour… Car c’est bien ce que dit ce costume effarant : que le corps des femmes n’est qu’un objet de luxure, un ramassis d’impuretés qu’il faut dissimuler aux yeux du monde et surtout des hommes ; que ces hommes eux-mêmes sont des bêtes incapables de contrôler leurs pulsions. Et les pauvres malheureuses qui, chez nous, le portent "volontairement" et montrent par là la justesse de la maxime de Chamfort : « La servitude abaisse les hommes jusqu’à s’en faire aimer », proclament leur soumission, leur condition d’objet répugnant, leur demie-humanité…

Les marchands de fringues dont j’ai parlé font leur boulot de marchands : ils vendent n’importe quoi au plus de monde possible. Je n’essaierai donc pas de leur tenir un discours éthique, cela serait juste risible.

Mais chez nous, il y a des gens (et même des femmes !!) qui défendent la burqa, le burkini et tous les autres instruments de torture du même genre, au nom du « féminisme », du « libre choix des femmes », et proclament qu’encore une fois, être contre c’est dénier aux femmes le droit de décider elles-mêmes de ce qu’elles veulent porter. Ce sera d’ailleurs, à ce que j’ai cru comprendre, un des thèmes de l’opposition à l’initiative anti-burqa lancée, hélas, par l’UDC et dont nous reparlerons inévitablement.

Cet argument est désespérant. On ne « choisit » de porter les signes de sa servitude et de son infériorité que parce qu’elles nous ont déjà écrasé, rendu, comme autrefois les esclaves, incapables de se penser autrement.

L’article du Temps que j’ai cité se termine par une bien étrange conclusion : « Le Burkini répond à un besoin réel. Sans lui certaines femmes ne pourraient sans doute pas goûter aux joies de la baignade. N’est-ce pas là l’essentiel ? » On tombe par terre ! Alors oui, il est désormais normal de considérer que « certaines femmes » n’auraient simplement pas le droit de se baigner (sauf empaquetage préalable)… Qui le décide ? Qui dicte cette loi ? Les femmes « libres » ? Je n’ai pas envie de rire…

C’est vrai que, sous l’Occupation, l’étoile jaune répondait « à un besoin réel ». D’abord on savait enfin à qui on avait à faire, et ensuite les juifs avaient intérêt à la porter car ils risquaient gros à sortir sans elle. Et puis elle ne les empêchait pas de prendre le métro (dans le dernier wagon, n’exagérons pas la licence), ni même de se maquiller les yeux…

J’exagère ? Peut-être, mais il y a des fois où il faut hurler pour réveiller les endormis, les rêveurs, les ravis… et les marchands du temple.

 

 

Sylviane Roche

Sylviane Roche, professeur et écrivain, s'intéresse depuis toujours aux règles qui gèrent la vie en société. Pour les connaître, les comprendre et même, éventuellement, les enfreindre en connaissance de cause.