Mon homme existe-t-il ?

Je viens de lire avec un peu de retard dans un magazine romand un article qui m’a plongée dans les affres de l’interrogation métaphysique. L’article s’intitule « Une tribu pour exister » et recense différents groupes masculins affublés de noms bizarres (j’y reviendrai). Un sociologue nous explique ensuite que « ces groupes ont une véritable fonction identitaire sans laquelle on a le sentiment de ne plus exister ». Et vlan !

Evidemment, l’observatrice des codes sociaux qui ne sommeille jamais vraiment en moi dresse l’oreille. Mais aussi simplement la femme. Je regarde mon homme en train de lire sur le canapé et je me demande avec angoisse s’il existe, tant il me semble ne pas correspondre aux descriptions hallucinantes de l’article…

Alors voilà : nous avons tout d’abord le spornosexuel, mot valise combinant sport, porno et sexe. C’est un mec, je cite « extrêmement concerné par sa garde-robe ». Ce qui le caractérise (je cite toujours, je ne m’en lasse pas) c’est « décolleté plongeant, épilation intégrale et muscles saillants ». Ces caractéristiques, sont, tenez-vous bien son « mantra ». J’imagine un type comme ça (déjà à l’épilation intégrale j’ai des nausées) qui récite sans arrêt, les yeux mi-clos « décolleté plongeant, épilation… » J’arrête, sinon je n’aurai plus de place pour les autres qui ne sont pas mal non plus.

Bon, ensuite l’inévitable métrosexuel, plus connu, et qui n’est pas, comme je l’ai cru naguère le type qui vous tripote dans le métro aux heures de pointe, mais « la première génération d’hétéros refusant d’être stigmatisés en raison de leur passion pour les vêtements, le luxe et les produits de beauté » (je citais bien sûr). C’est bien, ça, les gars, de refuser la stigmatisation. On frise l’engagement politique. Mais ici il s’agit juste d’être de posséder vingt paires de chaussures et une douzaine de paires de lunettes de soleil. Fastoche !

Le lumbersexuel, lui, doit avoir l’air « de sortir d’un tipi et de se laver dans une rivière » et d’être « en osmose avec la création » (sic). Mais évidemment ce n’est pas le cas. Il a juste l’air. En vrai, il est trader chez HSBC comme les copains, et sa barbe, en apparence hirsute, il passe une heure à la tailler chaque matin, quel boulot !

On a encore le yummy (pour young urban male). C’est un « jeune loup des villes qui adore s’acheter des habits, de la maroquinerie, des montres et des cosmétiques (…) chers et griffés ». Arrivée là, je pense au Petit Chaperon rouge et je pleure.

Mais je sèche mes larmes car j’ai encore le normcore et le hipster. Le premier est « le tenant de l’ultra-normalité » et son modèle est… Marc Zucherberg ! Je m’interroge… Pas très longtemps car l’article m’explique : La normalité c’est « baskets hors d’âge, jeans mou et sweat à capuche ». Je regarde tendrement mon anormal qui lit toujours sur le canapé.

Quant au hipster, last but not least, il « ose les mariages entre tatouages et lunettes d’écaille façon fifties ». Quelle audace ! C’est un « nostalgique d’une époque qu’il n’a pas connue ». J’ai beau chercher, visiblement, moi non plus.

Mais, rassurez-vous, on nous prévient que ces deux derniers sont déjà un peu ringards. Pour le normcore incarné par Zucherberg, ça ne m’étonne pas depuis que ma petite-fille m’a dit que Facebook c’était « pour les vieux ».

Le sociologue cité plus haut prend soin de nous avertir que « nous ne sommes plus dans un contexte de protestation ». On avait compris. On est dans un contexte de consommation et rien d’autre. Godasses, maroquinerie, lunettes, cosmétiques, coiffeur… Ça y est, ils ont réussi à attraper les mecs ! Trop fort, ces « Mad men » de la pub !

Et puis attention, dans la valise, sur six, vous avez trois fois le mot sexuel. Cette peur de ne pas « exister vraiment », elle se situerait donc  aussi là, sous la ceinture… ?

Pas vraiment un scoop, non ?

Sylviane Roche

Sylviane Roche, professeur et écrivain, s'intéresse depuis toujours aux règles qui gèrent la vie en société. Pour les connaître, les comprendre et même, éventuellement, les enfreindre en connaissance de cause.