Reprendre le dialogue

Grâce à l’hospitalité de l’Hebdo, je vais pouvoir reprendre à partir d’aujourd’hui la réflexion sur le code social, le savoir-vivre, leurs règles et leur évolution que j’ai menée pendant plusieurs années, chaque semaine dans Le Temps. La forme en sera un peu différente, moins de contraintes de format, plus de liberté de propos, puisque je ne me soumettrai pas obligatoirement, comme c’était le cas dans ces précédentes chroniques, aux questions posées par les lecteurs. Néanmoins, le dialogue avec ces lecteurs est pour moi capital. Aussi j’espère susciter réactions, réflexions, commentaires, et j’y répondrai avec joie. Bref, je souhaite poursuivre le dialogue qui m’a enrichie pendant toutes ces années et qui me manque. J’espère qu’il y a quelque part quelques anciens lecteurs de RSVP à qui il manque aussi. C’est l’occasion de le renouer.

Bon. Ceci posé, de quoi allons-nous parler?

Ce qui m’intéresse, comme je le dis en commençant ce premier texte, cette première prise de contact, ce sont les questions qui tournent autour de la politesse, des règles de savoir-vivre, de l’étiquette aussi, vous savez, ce qui se fait ou ne se fait pas. Mais mon propos n’est pas, justement, de me contenter d’énoncer «on ne coupe pas la salade avec un couteau», mais d’essayer de comprendre pourquoi, de prolonger aussi les réflexions ébauchées dans le récent numéro de l’Hebdo qui posait la question de savoir si la politesse avait une couleur politique.

Notre société évolue à une vitesse vertigineuse. Ma génération a vu les idéologies et bien des règles sociales se casser la figure. Au point que certains ont le sentiment qu’il n’y en a plus. Pour l’idéologie, je ne suis pas vraiment compétente, même si j’ai mon idée là-dessus. Mais pour le code social, je sais qu’il ne peut exister de société humaine qui en soit dépourvue, et que ce à quoi nous assistons n’est pas la disparition des règles, mais leur remplacement par d’autres. Comment, pourquoi, quelles sont-elles? Tout cela est passionnant.

Comprendre aide à accepter. Je m’y contrains parfois, parce que, disons-le tout de suite, il y a bien des choses que je n’aime pas dans ce monde du XXIe siècle. Je ne suis pas exempte de nostalgie. Mais je m’efforce de la reconnaître quand elle risque de biaiser mon analyse. Et puis parfois je la revendique haut et fort. Je revendique le droit de regretter, par exemple, la disparition d’un code vestimentaire à caractère social, c’est-à-dire le temps pas si lointain où on s’habillait aussi pour autrui, pour la circonstance, pour faire honneur, pour marquer son respect, son chagrin, sa joie… Bref, où se vêtir n’était pas juste l’expression du j’ai bien le droit et du j’ai envie de généralisés… Oui, il y a des tendances que je déteste, la dictature du mou, du cool et de l’informel par exemple. Bon, je ne vais pas plus loin sur ce sujet pour le moment, nous aurons, je l’espère l’occasion d’y revenir longuement.

Bref, je m’intéresse au monde comme il va, aux gens comme ils sont, au spectacle infini du ballet social et j’aime y tenir ma place. J’aime les dîners où tout est bon et beau: la table, les convives, la conversation. C’est là qu’on peut s’achopper avec le politiquement correct, qu’on peut essayer de me prendre en flagrant délit de snobisme ou de contradiction. Comment me positionner face la méchante étiquette (des manières de table par exemple) qui semble n’avoir d’autre fonction que celle de discriminer, de distinguer, justement, ceux qui savent (et qu’on fréquente) de ceux qui ne savent pas, boivent l’eau des rince-doigts, et qu’on exclut résolument des cercles comme il faut?

Comment puis-je dire à longueur de pages que la politesse a une fonction de protection des faibles, de canalisation de la violence, mettre en exergue la phrase d’Alphonse Karr qui dit que «sans la politesse on ne se réunirait que pour se battre», et répondre sérieusement quand on me demande à quoi servent les couteaux à poisson?

Malgré les apparences, il ne m’est pas très difficile de répondre à ces supposées contradictions, et je compte m’y employer dans des prochaines chroniques. Car cela pose bien sûr la question de l’évolution, de ce qu’on garde et ce qu’on abandonne des anciens usages, telle qu’Anna Lietti l’évoquait dans le récent numéro de l’Hebdo dont j’ai parlé.

Je parlerai de ce que je vois, de ce que j’entends, je réagirai à vos réactions… Et, pour commencer, je me familiariserai avec ce nouveau moyen d’expression au nom d’extra-terrestre, le blog… J’ai longtemps renâclé, encore une manifestation de l’égocentrisme ambiant, du Moi tout puissant qui s’étale partout, ce que JE pense, ce que JE sens, voilà que maintenant JE ne me contente plus de pérorer au comptoir du café de Commerce devant mon pastis et quelques habitués, JE peux M’étaler sur le net, des milliers de lecteurs potentiels en un clic, et puis qu’est-ce que c’est que ce mot, blog, ça fait penser à jogging, encore le sport et l’anglais, dans le costume et le vocabulaire, partout, non, pas pour moi. Je ne voulais pas être blogueuse, entre joggeuse et blagueuse, deux caractéristiques aussi loin de moi que possible.

Et puis me voilà. Je me rends. C’est un média magnifique, sa plasticité, son immédiateté… Ah, si César avait connu le téléphone et si Montaigne avait tenu un blog…

«Il faut fléchir au temps sans obstination» dit Philinte dans le Misanthrope de Molière. Ne pas tourner à l’imprécateur, au contempteur de la modernité et savoir prendre à l’époque ce qu’elle nous offre de magique. La nôtre, c’est internet, sans hésitation possible.

Donc, bienvenue sur mon blog, et à bientôt.

Sylviane Roche

 

A lire dans L'Hebdo

Bonnes manières, à prendre et à laisser, par Sylviane Roche (17 octobre 2013)

Sylviane Roche

Sylviane Roche, professeur et écrivain, s'intéresse depuis toujours aux règles qui gèrent la vie en société. Pour les connaître, les comprendre et même, éventuellement, les enfreindre en connaissance de cause.