Il est indéniable que nous vivons depuis plusieurs années dans un monde V.I.C.A. : Volatile, Incertain, Complexe et Ambigü. Des problèmes économiques et sociaux fleurissent un peu partout. L’appétit de l’humanité va grandissant et les pressions sur les systèmes naturels ne cessent de s’intensifier. Le réchauffement du climat constitue un défi inédit. La récente pandémie mondiale nous a révélé la fragilité de nos sociétés et la complexité du monde. Dans ce contexte d’évolutions profondes et rapides des problématiques, la philanthropie doit nécessairement évoluer. Comment faire preuve aujourd’hui d’une philanthropie vertueuse qui réponde efficacement aux crises concomitantes que subit la planète ? Voici quelques idées tirées de mon expérience au sein de la Fondation MAVA. Cette fondation, active de 1994 à 2022 et créée par Luc Hoffmann, avait pour mission de conserver la biodiversité au bénéfice des personnes et de la nature en finançant, mobilisant et renforçant une communauté d’acteurs de la conservation.
Partenariats : le bon équilibre
Les donateurs et les porteurs de projets sont des alliés naturels : ils souhaitent résoudre les mêmes problèmes. Pourtant, force est de constater que les rapports entre ces deux types d’acteurs ne sont pas évidents. Comme décrit dans ce blog, le rapport de force est fondamentalement biaisé. Les philanthropes ont l’argent et le pouvoir de l’attribuer aux porteurs de projets. Mais rien ne les oblige à entretenir ou à favoriser cette distinction primordiale. Au contraire, un partenariat où chaque partie est à l’écoute des attentes de l’autre mène à une vraie collaboration qui va au-delà du simple financement de projet contre reporting en bonne et due forme. Un tel partenariat permet au philanthrope d’élargir sa connaissance du contexte et d’apprendre des réalités de la mise en œuvre. Il permet aussi au porteur de projets de mieux comprendre le monde des donateurs et de bénéficier d’une ouverture vers d’autres approches. La co-construction de projets entre philanthropes et partenaires de mise en œuvre permet une compréhension partagée de problèmes complexes et favorise des solutions adaptées.
L’organisation et les individus comme fin en soi ?
Le « projet » a envahi le monde, aussi bien au sein des entreprises privées que des services publics ou des organisations de la société civile. L’approche « projet », avec sa méthodologie et son vocabulaire dédiés (logframe, diagramme de Gantt, etc.) est d’une efficacité implacable. A tel point que le projet s’est peu à peu imposé comme l’objet même de la philanthropie. Mais n’oublions pas que le projet n’est qu’un moyen et non une fin.
Le projet est une représentation simplifiée et partielle d’une initiative (avec son objectif, sa théorie du changement, ses activités, son calendrier, son budget etc.) auquel le philanthrope contribue, au moins financièrement. Ce qui importe au philanthrope ce n’est pas seulement la réalisation du projet (par ex., le creusement d’un puits au Sahel), mais bien de l’initiative dans son ensemble (par ex., un meilleur accès à l’eau potable, dans un contexte de suffisance alimentaire et de sécurité pour les habitants).
Au-delà de la réalisation du projet, le philanthrope doit se préoccuper des conditions de sa mise en œuvre et de la durabilité de l’organisation porteuse. Trop souvent, en se focalisant sur le projet et en imposant à l’organisation son exigence d’efficacité (un maximum de résultats avec un minimum de coûts), le donateur sabote les conditions de durabilité du porteur… et finit par porter préjudice à l’initiative dans son ensemble. Les organisations de la société civile ont besoin de respirer : elles doivent supporter leurs coûts de fonctionnement, retenir et former leur personnel, leur donner les moyens de travailler dans des conditions satisfaisantes, faire évoluer leurs outils, avoir la flexibilité budgétaire pour faire face à des évènements non-prévus etc. En finançant une organisation plutôt qu’un simple projet (coûts récurrents, salaires, développement organisationnel, formation… la « part des anges » évoquée ici), le philanthrope apporte une contribution à l’initiative dans ses multiples composantes, sur la durée et soutient la vie de l’organisation pour avoir plus d’impact. Le philanthrope peut aussi investir dans les individus eux-mêmes, en finançant leur formation et en leur donnant les moyens de se réaliser en tant qu’initiateurs des changements dont nous avons besoin.
Un vaste système d’acteurs
Dans le domaine qui le concerne, le philanthrope est un acteur parmi une multitude de parties prenantes. Comprendre l’ensemble du système, sa sphère d’influence et ses leviers d’actions, est essentiel. En effet, le donateur n’a pas qu’un pouvoir financier. Il a aussi le pouvoir de rassembler les porteurs de projets, de favoriser les connexions, les collaborations et la recherche de solutions communes à fort impact. De même, la collaboration entre philanthropes (du simple échange d’informations à la mise en place de guichets communs) s’avère souvent très bénéfique. L’animation d’initiatives multi-acteurs (ensemble de partenaires, groupe de donateurs etc.) nécessite de vrais efforts mais les résultats en valent la peine. Les enjeux sociaux et environnementaux actuels nécessitent des initiatives d’envergure, multiples et coordonnées.
La prise de risque
Le risque financier est un critère récurrent et légitime de la philanthropie : le projet est-il « risqué », a-t-il une probabilité suffisante de réussite ? Soyons clairs, les possibles conséquences négatives d’un tel risque sont généralement faibles. Au pire, le projet ne réussit pas : les financements sont perdus ou réaffectés à d’autres activités. Au-delà de la déception de voir un projet échouer, de nombreux enseignements sont à tirer de cette expérience… qui nourrira les prises de décision ultérieures du philanthrope. Mais les projets risqués sont souvent ceux qui, s’ils réussissent, ont un fort impact et provoquent des changements réels.
Le monde est désormais V.I.C.A. Nous avons besoin de philanthropes V.I.C.A. : Vertueux, Impliqués, Connectés et Ambitieux !