Les solutions provisoires d’aujourd’hui feront-elles le monde de demain ?

Dans le soin, l’alimentation ou la collaboration médicale, le bénévolat a suscité une créativité inédite pour faire face à notre nouveau monde pandémique. Ces innovations sont-elles durables ? Quel futur préfigurent-elles ?

Trouver un producteur ou un commerçant local en Suisse romande n’a jamais été aussi pratique, grâce à la plateforme Local Heroes. Si vous êtes à risque et que vous cherchez un·e volontaire en bonne santé pour faire vos courses, vous le trouverez sur l’application gratuite Covhelp, le site Coronaide.ch, ou une autre initiative locale, parmi les dizaines ayant émergé. Grâce au hackathon #VersusVirus et ses 5000 participants d’autres projets devraient encore voir le jour.

Le point commun de toutes ces innovations ?

Elles sont bénévoles, initiées par des personnes qui ont offert leur temps, leurs fonds et/ou leurs compétences. Et en cela, elles rendent notre monde plus humain. Ces particulier·e·s, ces entrepreneur·e·s, ces étudiant·e·s, ou ces coaches, ont choisi de donner. Spontanément, face à l’urgence, ils ont imaginé des réponses, rassemblé des partenaires, agi. Ils montrent que construire des solutions collectives est possible hors d’une logique marchande et comptable.

Surtout, ces projets créent du lien. On a vu, grâce à la générosité, des contacts se nouer entre des personnes qui n’avaient jamais échangé : habitants d’une même région, d’un même quartier, bénévoles engagés autour d’une même cause… À l’échelle de villes, de villages, de nouvelles solidarités sont nées, des conversations ont été initiées. 20 % des Suisses apprécient l’amélioration des contacts avec leur voisinage selon un sondage SSR.

Enfin, une série de ces micro-initiatives portent en germe de nouveaux moyens pour prendre soin. Elles nous outillent pour être attenti·v·e·s les uns envers les autres, s’impliquer sur un territoire, s’approprier la santé publique, que nous redécouvrons comme un bien commun.

Parmi ces solutions émergentes, lesquelles vont demeurer ?

On peut imaginer que celles qui facilitent la vie, par exemple ces tablettes distribuées par les HUG aux patients pour communiquer avec leurs proches, resteront. Celles qui ont accéléré la réponse à des aspirations de longue date, — consommer plus localement —, sans doute aussi.

Enfin, tout ce qui permet de prévenir d’autres situations d’isolement sera forcément utile à l’avenir. Ainsi, lister les personnes fragiles et isolées dans un quartier facilite leur suivi en cas de très forte canicule, par exemple.

Et après ?

On le voit, la philanthropie, quand chacun se l’approprie, se révèle un puissant espace d’innovation. Dans un monde devenu complexe et incertain, elle ouvre des îlots de simplicité ou s’élabore cet « après », qui, nous l’avons désormais compris, sera forcément très différent. Est-ce que cela préfigure d’autres modes d’organisation sociale ? Aux Pays-Bas, l’entreprise de soins infirmiers Buurtzorg fait déjà florès, avec ses services à domicile holistiques, centrés sur le local et l’humain. Et certains penseurs comme Jacques Attali voient, demain, l’empathie devenir un moteur économique…

Et si finalement, être philanthrope, y compris à petite échelle, c’était, au même titre qu’un entrepreneur, être pionnier ? Initier des solutions ou soutenir celles des autres ? Repenser les liens au monde qui nous entoure ? Le quotidien d’avant-pandémie misait sur la rapidité, l’efficacité, mais il était vulnérable à bien des égards. Les solutions que construisent ces « innovateur caritatifs », parce qu’elles développent des liens durables, contribuent à la résilience de nos sociétés.

Crédit illustration : www.save2020.org

 

La générosité locale en ébullition grâce au Covid-19

C’est à qui offrira le plus ! Les dons et la générosité explosent en cette période de Covid-19. Avec une particularité : ils se « relocalisent », stimulant les communautés locales, soutenant nos voisin·e·s et aîné·e·s … Allons-nous tisser de nouveaux liens ?

Des fleurs, des gants, de la crème pour les mains et de la nourriture en quantité : à Lausanne, le CHUV croule sous les dons pour ses soignants. A tel point qu’il a fallu structurer cet élan : un fonds d’entraide a été lancé, tout comme aux HUG, à Genève, pour recueillir toutes les marques de générosité.

Ce désir d’aider est loin d’être purement financier. Il y a les initiatives technologiques : on ne compte plus les plateformes, souvent montées bénévolement, pour encourager la consommation locale. Ni les collectifs pour accompagner les personnes à risques : à Genève, un groupe de réfugiés syriens aide ainsi les aîné·e·s à faire leurs courses. Des idées similaires ont rapidement essaimé en Suisse romande : préparation de repas, garde d’enfants… Le tout facilité par des paroisses, des communes, ou par l’application « Five up » de la Croix-Rouge, qui réunit des bénévoles. Le plus bluffant ? On a découvert que l’on peut participer à cet effort massif …en restant tranquillement chez soi ! Les chaînes téléphoniques de ProSenectute ont ainsi trouvé une seconde jeunesse.

Reprendre le contrôle

Comment comprendre cette vague de générosité ‘locale’ ? J’y vois le même élan qu’il y a trois mois, lorsque nous étions tous tournés vers l’Australie. Les posts Facebook avaient fleuri, reflet de notre impuissance face à ces forêts en flammes, à des milliers de kilomètres. Comme à l’époque, l’ampleur de la catastrophe nous a un temps laissés pantois. Mais après la sidération, une envie irrépressible d’agir nous a envahis. Pour conjurer le sort, redevenir acteurs au sein de ce difficile confinement. Et, peut-être aussi, par empathie…

Est-ce que ce soudain repli sur nous-mêmes, qui nous force à ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure, renouvelle notre altruisme ? Fallait-il être assigné à domicile pour se rendre compte que nos aîné·e·s ont besoin qu’on les écoute, que nos commerçants locaux ne peuvent pas survivre sans notre fidélité ?

Vulnérabilité

En Suisse, pour la première fois nous craignons pour nos besoins élémentaires : manger, demeurer en bonne santé et en sécurité. Et s’il fallait ressentir sa propre vulnérabilité pour avoir besoin –ou envie– de se tourner vers l’autre ? L’opulence et le confort peuvent exacerber notre attention aux inégalités. Ou l’inverse. Soudain, nous devenons hypersensibles à des situations qui ont toujours existé : l’isolement, la fragilité et les inégalités.

L’essence du don

Privés de tout, nous déployons des trésors d’ingéniosité pour exprimer notre reconnaissance. Jusqu’à tambouriner sur des casseroles à nos fenêtres à 21 heures tapantes. Nous semblons redécouvrir que donner c’est d’abord exprimer sa reconnaissance et sa gratitude. Dire : « merci d’exister et de faire ce que vous faites ! » Cette générosité-là ne vient en rien s’opposer à des dons ‘sonnants et trébuchants’, au contraire, elle les complète. Peut-être même qu’elle les fonde. Donner relève d’abord d’un état d’esprit, d’une sensibilité : on se tourne vers l’autre quand on reconnaît sa vulnérabilité, ses limites, ses peurs.