Philanthropie – trois pistes d’action dans un monde en rupture

En 2019, Swiss Philanthropy Foundation a inauguré un blog autour de la générosité en partenariat avec Le Temps car nous étions convaincus ensemble que la philanthropie était un thème de société dont l’importance allait grandissant. Grâce à 24 contributions variées, nous avons pu voir combien la philanthropie est un sujet pluriel, qui permet de traiter de motivation de donner, de collaboration, de fiscalité, d’élans de solidarité mais aussi combien elle est sommée d’agir face à l’immense défi du changement climatique.

Les 49’285 visites sur ce blog attestent de cet intérêt, qui mérite donc ce débat public pour communiquer de façon transparente et informée sur le rôle et la valeur ajoutée de la philanthropie. Ne nous trompons pas : en trois ans, nous avons changé d’époque, et bien plus vite qu’aucun de nous n’aurait pu l’anticiper, entraînant son lot d’incertitudes qu’il convient d’adresser. À l’heure de la fermeture de ce blog, afin de nous ouvrir à d’autres moyens de communication, nous avons souhaité publier un dernier article qui clôture ce partenariat sous la forme d’une réflexion plus personnelle car dans le monde qui se profile, si la philanthropie sera valorisée pour le bien qu’elle fera, elle sera sûrement chahutée pour sa façon de le faire.

Oser donner son capital

La fondation est souvent associée à une idée de pérennité, promesse parfois faite à une fondatrice ou un fondateur d’une forme d’éternité de sa structure. Puisque notre société est bien à ce carrefour face aux enjeux climatiques ou aux inégalités sociales, il me semble que cette notion de pérennité mériterait d’être interrogée plus souvent. L’ambition d’une fondation devrait moins être sa propre pérennité que celle des vies aidées, des patrimoines conservés, ou d’une nature restaurée.

L’action d’une fondation est paradoxalement souvent d’autant plus utile que la société, la nature ou l’économie vivent des périodes de crises. Face à ces constats, nous pouvons affirmer que le capital d’une fondation devrait plus souvent être consommé sur un temps donné. Pour aller plus loin, une fondation ne devrait-elle pas être créée pour une période limitée ? A titre d’exemple, Swiss Philanthropy Foundation, en tant que fondation abritante, a créé 85 fonds philanthropiques depuis sa création en 2006, dont 21 ont fermé depuis. Elle a facilité des dons à hauteur de CHF 235mio pour CHF 355mio reçu.

Être un partenaire fiable

Dans nos métiers, nous avons la chance d’engager des conversations avec des personnes souhaitant préciser leur projet philanthropique, qui peut souvent prendre la forme d’une fondation d’utilité publique ou d’un fonds abrité dans une fondation abritante. Le dilemme suivant se pose alors souvent : va-t-on recevoir des sollicitations spontanées de projets ou chercher les organisations qui correspondent à l’ambition de ses donations ? Comment avoir une relation de partenariat où le philanthrope et le bénéficiaire deviennent des partenaires ?

Nelson Mandela disait lui-même « Une vision qui ne s’accompagne pas d’actions n’est qu’un rêve. Une action qui ne découle pas d’une vision c’est du temps perdu. Une vision suivie d’action peut changer le monde ». Il me parait déterminant qu’une fondation soit explicite et communique sur sa vision comme ses critères de sélection de projets pour faciliter les recherches de soutiens. Pour approfondir, nous voyons aussi se développer une approche basée sur la confiance mutuelle pour faciliter des partenariats, à l’image de la Trust Based Philanthropy qui mérite toute notre attention car le monde anglo-saxon a souvent un temps d’avance sur ce sujet.

Se lancer dans une gouvernance participative

La Suisse compte 13’790 fondations, dont 337 nouvellement créées rien qu’en 2022, comme annoncé ce lundi par l’avant-première du Rapport sur les fondations suisses. Cependant, toutes ces fondations ne sont pas égales face à leur avenir puisque près de 80% d’entre elles n’ont pas de personnel, et ne peuvent compter que sur le bénévolat de leur Conseil pour gérer leur stratégie et sa mise en œuvre.

Face aux formidables bouleversements qui nous attendent, la philanthropie risque de devenir mal comprise si elle ne renforce pas son rôle d’acteur à part entière de la société civile, facilitant le vivre ensemble. Oser des pratiques de gouvernance participative dans des projets, en incluant les bénéficiaires, est l’une des pistes qui me semblent prometteuses pour renforcer ce rôle. A cet égard, l’exemple de Catapult à Bâle, ou celui du fonds collaboratif hébergé par Swiss Philanthropy Foundation  qui va permettre à dix jeunes de sélectionner des projets par et pour les jeunes en Suisse romande sont des cas intéressants pour ce développement.

Les fondations d’utilité publique sont empreintes d’une grande diversité : certaines détiennent un musée ou une collection, d’autres un immeuble au service d’une institution sociale, parfois une entreprise, ou elles sont, si souvent, propriétaire d’un capital financier. Véhicule par excellence de la philanthropie en Suisse, la fondation d’utilité publique n’a ni client, ni propriétaire, ni actionnaire. Cette extraordinaire liberté voulue par le législateur engage aussi une extraordinaire responsabilité : celle d’agir avec audace et humilité face à l’ampleur des besoins.

 

Etienne Eichenberger

Etienne Eichenberger est Président du Conseil de fondation de Swiss Philanthropy Foundation, fondation abritante de référence en Suisse romande. Il a co-fondé la société de conseil WISE-philanthropy advisors, qui accompagne les entrepreneurs et leurs familles dans l’élaboration de leur stratégie jusqu’à la réalisation de leur projet philanthropique sur le terrain. Il siège aussi dans le Conseil de Board for Good et de Partner for a New Economy.