Je peux pas, j’ai collecte de sang !

Combien de fois je me suis arrêté devant cette affiche, sublime de poésie et de simplicité. Il y pleut des roses stylisées, dont le rouge irradie sur fond vert. En deux couleurs et quelques traits, les graphistes sont parvenus à tout dire : la goutte de sang, sa nature précieuse, le don que représente sa collecte, comme si l’on offrait un magnifique bouquet de roses à un parfait inconnu.

Cette affiche de la Croix-Rouge polonaise fait partie d’une collection exceptionnelle, au cœur de la Genève internationale. Près de 11’000 affiches y sont conservées au Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Les parcourir, c’est plonger dans 150 ans de campagnes d’information conçues et déployées par les sociétés nationales dans plus de 160 pays. Les messages sont innombrables et toujours spécifiques à un contexte culturel et historique. Cela dit, quelques grands thèmes sont récurrents : les récoltes de fonds, la prévention des maladies ou des catastrophes naturelles, le recrutement des bénévoles, l’enseignement des premiers secours et bien sûr, le don du sang.

C’est donc devant ce bouquet de roses rouges que j’aimais m’arrêter avec mes visiteurs. Il était idéalement placé à mi-parcours de notre récente exposition temporaire Arrêt sur affiches. J’aimais attirer leur attention sur ces tâches rouges sur fond vert, insignifiantes au premier coup d’œil, mais qui, avec le soutien de quelques explications, devenaient tout à coup fascinantes. Puis un jour, en pleine visite, je m’approchai du cartel de l’affiche pour en lire, à voix haute, le titre exact : « Le sang – le don de la vie ». En prononçant ces mots, je me rendis compte d’une absurdité, à mon sens : je n’avais jamais donné mon sang. Je comprends toute l’importance de la collecte de sang, je disserte sur les stratégies de représentation du don du sang et je travaille pour un musée associé à la plus grande organisation humanitaire au monde. Pour autant – et j’en ai un peu honte –, je n’avais jamais donné mon sang. Je m’en retrouvai bouche bée, tout à coup entouré d’affiches qui, du haut de leur cimaise, me dévisageaient avec leur appel au don. Pas le temps de reprendre le fil de ma visite. Le slogan d’une affiche du Canada – « Votre groupe est en demande » – m’amena à un second constat, tout aussi gênant : je ne connaissais pas mon groupe sanguin. Etais-je la seule personne au monde à ne pas connaître son groupe sanguin à presque 40 ans ?

Je conclus ma visite aussi bien que possible, remerciai mes invités de leur intérêt et remontai me réfugier dans mon bureau. Dans l’heure, je réglai la question du groupe sanguin en fixant un rendez-vous médical, mais celle du don m’interpellait. Pourquoi n’avais-je jamais donné mon sang ? L’occasion ne s’était pas présentée, je n’avais pas trouvé le temps, je m’étais renseigné puis ça m’était sorti de la tête. J’en ai trouvé, de bonnes excuses, mais la raison, au fond, était évidente : je n’avais tout simplement jamais fait l’effort. Et si je ne l’avais pas fait moi-même, il était probable que de nombreuses autres personnes ne l’avaient pas fait non plus.

En quittant mon bureau, je traversai le hall d’accueil du musée et passai devant notre salle de conférence, dont les espaces sont généreux. Je pensais à l’affiche polonaise et à la séance de travail que j’avais eu plus tôt dans la journée avec mon équipe. Nous discutions de ma vision du musée : un forum citoyen, ouvert, accueillant et bienveillant, un outil au service de la communauté… « Et si on organisait une collecte de sang au musée ? » Très enthousiaste, je partageai l’idée avec mes collègues le lendemain.

Tous motivés, ils ont depuis pris contact avec les Hôpitaux universitaires genevois. L’enthousiasme est réciproque et un projet est lancé. Au second semestre 2020, si notre quotidien reprend un peu de couleurs, nous organiserons une collecte de sang au Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge dans notre belle salle Henry Dunant. A tous ceux qui participeront, nous offrirons des billets d’entrée aux expositions et des visites guidées conçues pour l’occasion sur le thème du don.

Plus qu’un lieu d’exposition, un musée est un lieu de vie ! Mes collègues et moi seront heureux de le mettre à votre disposition pour que vous puissiez, avec moi, offrir de magnifiques bouquets de roses à de parfaits inconnus.

Le rendez-vous est pris.

A bientôt !

Pascal

Pascal Hufschmid

Pascal Hufschmid est directeur du Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (MICR). Historien de l’art spécialisé en photographie, il pense que l’art et les musées permettent eux aussi de mieux comprendre l’actualité. Il s’appuie sur son expérience internationale du secteur muséal, du marché de l’art et des organisations internationales pour développer des projets culturels pluridisciplinaires à large échelle avec des partenaires publics et privés. A ce jour, il a été actif dans plus de 40 pays. Avant de rejoindre le MICR, il était responsable du développement et des affaires extérieures du Musée de l’Elysée. A Lausanne, il a notamment contribué à la création du nouveau quartier des arts Plateforme 10 et lancé le Prix Elysée, un prix international de soutien pour la photographie. Il a également travaillé à la Galerie Jan Krugier et aux Nations Unies à Genève. Il donne régulièrement des conférences en Suisse et dans le monde sur l’innovation, le développement d’affaires et le leadership.