Philanthropie : trois idées reçues que vous avez peut-être…

A l’heure où les nouvelles générations portent un regard critique sur l’engagement pour le bien commun, Etienne Eichenberger démonte une à une les idées reçues et apporte un éclairage nouveau sur la philanthropie d’aujourd’hui : partagée, multiforme, simple et vivante.

Alors que je co-animais récemment une formation sur la philanthropie, à l’attention des Millennials, j’ai été surpris de constater à quel point la next Gen pouvait avoir une perception négative de la philanthropie alors qu’elle faisait partie, ces dix dernières années, de ce que l’on pourrait appeler les buzzwords. A priori, la philanthropie incarne tour à tour à leurs yeux, soit un altruisme inefficace, soit un loisir pour personnes fortunées, soit une façon d’éviter la fiscalité ou une mauvaise utilisation des ressources financières.

Je ne prends pas cet avis à la légère, d’autant que cette perception ne se limite sûrement pas à leur génération. Après avoir passé deux jours en leur compagnie, je mesure combien leurs réserves, sévères et négatives, sont le fruit d’un manque de pédagogie sur ce sujet complexe. Alors, revenons un peu sur les trois grandes idées reçues les plus tenaces…

Idée reçue n°1 : « La philanthropie, c’est pour les gens fortunés… »

Aujourd’hui, l’engagement philanthropique de Melinda et Bill Gates, à travers leur fondation, est omniprésent dans les médias et les discussions. A juste titre, car le couple a fait de son engagement un modèle à suivre exemplaire ainsi qu’un encouragement exigeant à faire comme eux à travers leur Giving Pledge. Le risque porté par cet exemple, c’est que nos Millennials imaginent que la philanthropie n’est faite que de grands fleuves et jamais de petites rivières ; que donner soi-même devient inutile si l’on ne dispose pas de milliards, ou au moins de millions, sur son compte en banque ! En résumé : la philanthropie, ce n’est pas pour eux !

Bien sûr, cette idée reçue ne représente pas la réalité, car la philanthropie des « très grands donateurs » n’est qu’un visage partiel de ce qui existe même si les médias relayent souvent cette facette spectaculaire. Il faut savoir qu’en Suisse, Caritas, la Fondation Théodora ou la Chaîne du Bonheur ne pourraient pas mener leurs activités sans les soutiens de chacun d’entre nous ! Trois ménages sur quatre font un don moyen annuel de CHF 300 à des associations. Dernier en date, le skieur Daniel Yule a annoncé récemment avoir donné un partie de ses primes de course pour soutenir le climat. On le voit, la philanthropie, comme la générosité, est bien l’affaire de tous !

Idée reçue n°2 : « La philanthropie, ce n’est que de l’argent… »

Il faut reconnaître que la philanthropie est devenue une notion abstraite, souvent réduite au don d’argent. Des montants tellement importants qu’elle serait réservée aux plus fortunés. En Suisse pourtant, à titre d’exemple, plus de 300 000 personnes se sont engagées autrement, en donnant de leur temps bénévolement, pour 40 millions d’heures de prestations. Plus de 62 000 personnes siègent dans l’une des 13 172 fondations d’utilité publique du pays.

Chacun de nous, dans la cause qu’il a choisie ou choisira de soutenir, découvrira que l’engagement individuel est souvent à la mesure de ses moyens et de ses talents. Si l’argent est fréquemment présent au point de départ, il se transforme rapidement en devenant plus personnel. Comme le disent élégamment les Anglo-Saxons, la philanthropie c’est souvent du « time, talent, treasure and ties. »

Idée reçue n°3 : « Il faut avoir sa fondation pour que ça marche… »

Certains diront que si l’on n’a pas sa fondation à 50 ans, c’est qu’on a raté sa vie ! Lorsque l’on observe la courbe démographique des pays européens, c’est sans doute en partie vrai puisque la moitié des fondations existantes ont été créées au cours des vingt dernières années. Cette dynamique illustre une puissante réalité : les particuliers, au même titre que les entreprises, sont animés du désir de contribuer à des causes d’utilité publique de leur vivant.
Cependant, ce que l’on feint d’ignorer, c’est qu’en Suisse par exemple, en 2017, alors que 364 nouvelles fondations ont été créées, près de 187 autres ont dû fermer, selon les données de SwissFoundations. Un ratio de 50% qui tire la sonnette d’alarme et nous incite à penser que porter une fondation, c’est aussi exigeant que de gérer une entreprise. Tout le monde n’est pas fait pour avoir sa propre fondation.

C’est pourquoi le fonds philanthropique abrité est une alternative intéressante à la création d’une fondation. Il permet en effet de déléguer l’aspect administratif pour se concentrer uniquement sur la gestion des dons, année après année. Aux Etats-Unis, pays où l’on possède davantage de données sur ce thème, les fonds abrités connaissent, ces derniers temps, une réelle croissance à deux chiffres. De quoi stimuler la générosité de chacun ! Ces fonds philanthropiques ont aussi la particularité, d’après le rapport du National Philanthropy Trust, de donner, en moyenne, plus de 20% de leurs avoirs, par année, à des associations.

« Faire du bien aux autres, c’est de l’égoïsme éclairé » disait Aristote. La philanthropie est un mouvement vers l’autre, elle s’adresse d’abord à tout ce qui n’est pas « soi » et peu importe la taille ou la forme du don. En s’engageant d’une façon ou d’une autre, c’est soi-même que l’on transforme avant tout, progressivement. L’essentiel, c’est de commencer, ici et maintenant. Gageons que nos Millennials auront quitté l’atelier d’information sur la philanthropie avec l’envie d’en savoir plus, ou d’en faire plus ? Peut-être vous aussi. C’est le sens du Blog que nous initions avec le Temps cette année.

Bonne lecture,

Etienne Eichenberger

Etienne Eichenberger

Etienne Eichenberger est le Président du Conseil de fondation de Swiss Philanthropy Foundation, fondation abritante de référence en Suisse. Cette structure représente pour des donateurs l’alternative à la création de leur propre fondation, permettant ainsi de soutenir les causes qui leur tiennent à cœur, tout en s’affranchissant de la charge administrative qu’implique la gestion d’une fondation.

3 réponses à “Philanthropie : trois idées reçues que vous avez peut-être…

  1. Ce billet est intéressant mais vous ne répondez pas au dernier point que vous citez au début du texte: “une façon d’éviter la fiscalité”.
    C’est particulièrement flagrant dans le cas de Bill Gates. Sa société (et bien d’autres) utilise tous les moyens légaux et immoraux possibles pour ne pas payer d’impôts (ou presque). Par contre, ils choisissent leurs pauvres et donnent (ou pas) selon la tête du client.
    Ça me rappelle les dames patronesses du 19e siècle. Elles voulaient bien aider quelques pauvres mais il devaient être méritants et ne pas militer chez les socialistes.
    Au 21e siècle, les sociétés minières (et leurs actionnaires) font tout ce qu’elles peuvent pour ne pas payer dans d’impôts dans les pays où sont situées leurs mines. Et si une catastrophe se produit (destruction de rivière au Brésil ou ouragan au Mozambique), les pays concernés n’ont pas les moyens financiers pour faire face ni pour faire payer les responsables. Et d’ailleurs l’argent ne remplacera jamais une rivière ni sa faune ni sa flore. On fait donc appel au bon coeur et à la générosité des gens qui paient tant bien que mal leurs impôts ici. Et ça marche! Pourquoi se gêner…

    Chacune, chacun et chaque société (PME ou multinationale) est sensé payer correctement ses impôts, ce qui permet aux états, régions, villes concernées de redistribuer les richesses correctement et de faire face au imprévus. Sans aller chercher Bill ou Ingvar.

    1. Merci pour votre commentaire tout à fait pertinent, même si nous reconnaissons que pour la longueur de notre Blog, nous avons dû faire des choix thématiques.

      La fiscalité est une composante de la philanthropie, mais elle n’était pourtant pas au cœur de notre propos dans l’article que vous avez lu. L’expérience dont nous souhaitions faire l’écho, est que si la fiscalité accompagne l’acte de donner, elle n’en n’est pas le moteur pour autant. Il nous a semblé intéressant de souligner également ce sont “les petits rivières” qui comptent aussi, et ce sont ces élans de générosité, parfois monétaire, mais parfois sous la forme de bénévolat, qui donne un visage vivant et humain à la philanthropie. Votre commentaire ouvre d’autres questions et pourrait faire l’objet d’un prochain article.

      Bien à vous,
      L’équipe de Swiss Philanthropy Foundation

  2. Bonjour,
    Je suis tombée par hasard sur votre article fort intéressant. Bien entendu, la fiscalité est une façon de “financer” les fondations et de payer moins d’impôts, en suisse également mais mon point n’est pas là. Et après tout, je dirai pourquoi pas.

    Il me semble qu’au delà de la Philanthropie et des fondations d’entreprises qui existent et viennent en complément des modèles d’affaires traditionnels des entreprises (toujours basés sur le seul profit), les jeunes générations réclament du “sens” dans les missions des entreprises et c’est plutôt bien.
    Autrement dit, pourquoi pas faire évoluer le but même de l’entreprise et sa façon de gérer son activité pour concilier progressivement économie, social et environnement. En étant un peu caricaturale, je dirai pourquoi “s’acheter” une bonne conscience et créer une fondation si l’on peut agir à la source ?

    Il me semble que ces interrogations sont légitimes et doivent être prises en compte dans l’organisation et la raison d’être des PME, multinationales, etc…

    Avec plaisir, je lierai votre feedback.

    Bien cordialement,

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